PAROLE DU JOUR-51

La Première épître de Pierre fait partie des rares lettres du Nouveau Testament qui ne soient pas adressées à une personne ou à une communauté précises : c’est pourquoi elle est dite « catholique », au sens d’universel. Il semblerait pourtant que nous la lisions moins volontiers que les lettres de Paul, qui sont non seulement plus nombreuses, mais qui nous rappellent aussi nos racines protestantes. C’est bien la lecture, par un moine respectueux de l’autorité de Saint-Pierre, d’une lettre de Paul adressée aux Romains, qui va enclencher la redécouverte de la grâce et restaurer pour chacun le bonheur de vivre d’une authentique confiance en Jésus-Christ.

Faisons le pari que regarder de plus près une lettre de Pierre (l’auteur n’en est d’ailleurs probablement pas Pierre lui-même mais un chrétien de Rome qui s’inscrit dans son sillage) ne ferait pas nécessairement de nous des ardents défenseurs de sa primauté. D’ailleurs, ce n’est pas en chef que l’apôtre y est décrit, mais comme participant d’une collégialité assumée : Pierre est «sympresbyteros »  (en grec ὁ συμπρεσβύτερος , 1 Pierre 5, 1). La préposition syn (devenant sym lorsqu’elle est suivie de certaines consonnes), que l’on retrouve dans la langue française par exemple dans le terme syndicat ou sympathie, vient souligner qu’il n’est pas seul dans son ministère « d’ancien » de l’Eglise mais qu’il l’exerce bien avec les autres. Cette lucidité n’est-elle pas en accord avec l’organisation presbytéro-synodale qui nous est chère ?
Elle vient en tout cas placer les actions et choix individuels dans une perspective collective ; pour le dire autrement, elle nous rend attentifs à notre appartenance à la communauté. Elle nous aide à nous penser comme « co-conseillers presbytéraux », « co-paroissiens »… et pourquoi pas aussi des « co-chrétiens » ? C’est une autre façon de dire la fraternité qui nous relie. Frères et sœurs, nous sommes invités à nous considérer comme étant réellement partie prenante d’une réalité qui nous dépasse pourtant, mais où chacun a une place : voilà qui résonne avec le discours de Jésus à ses disciples, tel que nous l’avons entendu dimanche dernier dans l’Evangile selon Jean (Jean 14, 1-12).

bas-relief du fronton du Grand Temple, Nîmes

Cette invitation ouvre bien des pistes de réflexion et d’action pour aujourd’hui et pour demain. Il y a les dimensions les plus banales de notre quotidien, et les temps que nous avons traversés récemment nous ont montré à nouveau à quel point nous avons besoin les uns des autres. Il y a la vie civique et politique, et la période qui s’ouvre maintenant est propice à transformer le constat de notre profonde interdépendance en actions et demandes d’action les uns pour les autres. Il y a la façon dont nous comprenons notre lien à l’Eglise, lieu d’un accueil et d’une fraternité toujours à inventer ; « maison spirituelle » (1 Pierre 2, 5) dans la construction de laquelle nous sommes invités à entrer, tous autant que nous sommes, avec tout ce que nous sommes.

Une chose est sûre : nous ne sommes pas seuls ! Et cela donne à nos vies des reliefs bien différents de ce à quoi on pouvait s’attendre. Grâce à Dieu !
Prier les uns pour les autres, c’est aussi une façon de rendre grâce pour nos vies et pour l’inattendu auquel nous ouvrent nos diversités.

Voici donc pour terminer, en écho au passage des « pierres vivantes » que vous pourrez relire dans 1 Pierre 2, 4-9, une prière d’intercession à nouveau à partager :

Seigneur, nous te prions pour ceux qui sont faibles et fragiles comme l’ardoise qui se brise facilement, soutiens-les.
Nous te prions pour ceux qui, comme le granit, sont solides et forts, donne-leur de se laisser émouvoir par le monde qui les entoure, pour qu’ils sachent s’ouvrir aux autres et à Ton amour.
Nous te prions, pour ceux qui, comme la pierre volcanique, sont éprouvés par la maladie, le deuil, les difficultés ou la solitude, ceux qui sont broyés par la coulée des épreuves et des injustices, ceux qui n’arrivent pas à trouver la paix. Donne-leur courage et espérance.
Nous te prions pour ceux qui, comme le galet de la rivière, se sentent ignorés ou méprisés, les petits et les discrets dans leur travail, dans leur famille ou dans l’Eglise.
Fais surgir de leur cœur des richesses insoupçonnées.
Nous te prions pour ceux qui, comme la rose des sables, luttent pour vivre, combattent pour trouver une place, pour ne pas être écrasé par les autres, pour s’épanouir.
Donne-leur la paix et la douceur.
Nous te prions pour ceux qui, comme les pierres qu’on estime précieuses, sont pillés, exploités, mutilés par les puissances de ce monde, pour l’amour de l’argent.
Fais s’élever les voix qui protestent en faveur de Ton amour.
Nous te prions pour tous les hommes et les femmes, pour tous les enfants qui sont comme des multitudes de pierres.
Rassemble-les dans la reconnaissance de leurs différences pour bâtir un monde de justice et de paix; un monde à habiter.
Amen

Claire des Mesnards, le 14 mai 2020