PAROLE DU JOUR-50

– Apostrophe  –

Les « Paroles du jour » ont quelque chose de rafraîchissant. Elles sont toujours nouvelles, et pourtant elles rejoignent en nous, lecteurs, une parcelle de notre vie. D’une façon différente, selon le style de chaque auteur et de chaque lecteur, ça fait « tilt » ! Quel bonheur !

Et les cultes ? Eh bien, c’est la même chose. À cette différence près que, en tout cas pour les plus âgés, les paroles bibliques sont déjà connues, parfois trop connues, presque désactivées. Et pourtant il y en a qui nous ont un jour touchés, traversés : le culte, et particulièrement la prédication, permettent de les réactiver, de leur rendre leur force. De nouveau, ça fait « tilt ».

La prédication de dimanche dernier portait sur le chapitre 14 de l’Évangile de Jean, au moment où Jésus annonce à ses disciples qu’il va les quitter pour aller vers son Père*.

Or parmi les paroles bibliques qui m’ont un jour touchée, il y en a une qui se trouve dans ce chapitre et qui a à nouveau résonné en moi dimanche dernier. Elle est prononcée par Jésus, en réponse à une requête de Philippe : « Montre-nous le Père et cela nous suffit ».

Et Jésus répond : « Il y a si longtemps que je suis avec vous, et tu ne m’as pas connu, Philippe ! »

En fait, ce qui pour moi donne sa force à la phrase, c’est l’apostrophe : « Philippe ». Une parole adressée, adressée à Philippe, spécifiquement, personnellement. Comment l’a-t-il ressentie ? Nul ne le sait. Mais moi, je me glisse aussitôt dans sa peau, par la puissance de l’apostrophe : Philippe, c’est moi, je peux mettre mon nom à la place du sien. Plus une parole – ou une histoire – est particulière, propre à une personne, plus elle est universelle, parce qu’elle passe par le vécu.
Il y a ainsi une double force dans l’adresse de Jésus à Philippe : la force du particulier et la force de l’apostrophe. On pourrait en ajouter une troisième : la force du nom, qui joue un si grand rôle dans la Bible. Or le nom ne sert pas seulement à nommer, à identifier, il sert à appeler, à interpeller : c’est précisément ce que fait l’apostrophe.

Ici, l’apostrophe accompagne le sens et souligne le ton : un ton de déception, de reproche, peut-être. Je ne sais pas si ma première requête à Jésus – si j’étais en face de lui et dans les mêmes circonstances – serait celle de Philippe. Mais je sais que la déception qui transparaît dans la phrase de Jésus, je la ressens pour moi : en fait, je n’ai rien compris, comme Philippe. Pourtant il y a aussi dans ces mots quelque chose de doux, de paternel ou de fraternel, parce qu’il prononce mon nom. Et qu’il me donne immédiatement la réponse et la consolation attendues : « Celui qui m’a vu a vu le Père ».

C’est bizarre, en y réfléchissant, il me semble que les apostrophes avec le nom sont plutôt rares dans la Bible. Voici quelques exemples qui me remontent à la mémoire**. D’abord le jeune Samuel, appelé quatre fois par Dieu pendant la nuit ; mais c’est seulement à la quatrième fois, celle qui marque le début de sa vocation, que l’apostrophe est employée : « Samuel ! Samuel ! » (I Samuel, 3.10).

La promesse de Dieu à Abraham : « Sois sans crainte, Abram » et, comme en parallèle, l’annonce de l’Ange à Marie : « Sois sans crainte, Marie » (Genèse 15.1 ; Luc, 1.30). Le face à face entre Jésus et Marie de Magdala devant le tombeau ouvert, et le nom prononcé qui permet la reconnaissance : « Marie ! » (Jean, 20.16). La triple adresse de Jésus à Pierre, après la résurrection : « Simon, fils de Jonas, m’aimes-tu ? » (Jean, 21.15-17) et celle qu’a entendue Paul : « Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ? » (Actes, 9.4), qui marquent toutes les deux le début d’une vocation et le commencement de l’évangélisation du monde.

Souvent donc l’apostrophe marque un commencement. Elle est, au niveau du langage, le signe d’un appel, d’une transformation dans l’être profond.

Il y a si longtemps que je suis avec toi et tu ne m’as pas connu, ***  !

 

Sylvie Franchet d’Espèrey

* Pasteurs Claire des Mesnards et Violaine Moné :
https://www.youtube.com/channel/UC9tDagIjYLXeoUr7rQ5llgA

** Si vous pensez à d’autres, n’hésitez pas à me les signaler : despererey.sylvie@sfr.fr

*** À compléter en mettant ici votre nom