Parole Bleue n° 17/21

Aujourd’hui c’est le ‘jeudi de l’Ascension’ – pour beaucoup de personnes d’abord jour un férié, qui invite à « faire le pont » pour s’évader quelques jours, d’autant plus que le vendredi est chômé dans les établissements scolaires.

Selon le récit biblique (Actes 1, 3-11), l’ascension de Jésus vers le ciel arrive 40 jours après sa résurrection. Pendant 40 jours il s’est montré aux disciples, dans une apparence différente de son existence physique pendant sa vie terrestre : beaucoup de disciples ne l’ont effectivement pas reconnu tout de suite lorsqu’il est venu les rencontrer dans cet « entre-deux » entre sa résurrection et l’ascension.

Tableau : Rembrandt , L’incrédulité de Thomas

Pourquoi, peut-on se demander, est-ce que Jésus est revenu? N’avait-il pas encore tout dit, ce qu’il avait à transmettre pendant sa ‘vraie’ vie sur terre ?

Une interprétation peut être que Jésus a aidé les disciples à faire leur deuil. Sa mort brutale les avait laissés orphelins. En plus, son corps avait disparu, le tombeau est resté vide. Seule la parole donnée par les anges y résonne : « Pourquoi cherchez-vous parmi les morts celui qui est vivant ? » (Luc 24,5)

Faire le deuil est extrêmement difficile, si le corps du défunt a disparu : on ne peut pas lui dire au revoir, on ne peut pas exercer les rites funéraires qui sont tellement importants pour le deuil : se souvenir de la personne défunte, s’affirmer comme une communauté vivante face à la mort, se soutenir les uns les autres « par l’amitié et la prière », comme le dit notre liturgie.

La crise du Covid l’a montré de manière terrible. Impossible de se rendre une dernière fois auprès du mourant, impossible de voir le défunt avant la fermeture du cercueil, limitation, par période extrême de réunir sa famille, ses amis et proches pour se soutenir mutuellement, impossible de s’offrir les gestes physiques de consolation et de soutien, parfois plus parlants que les mots qui risquent de manquer ou être maladroits. Tout cela fait que la blessure du deuil met plus longtemps à se refermer. En tant que pasteur.e.s nous avons souvent accompagné les familles touchées par ces privations dû à la pandémie. Parmi vous aussi certainement, des personnes ont souffert de ne pas pouvoir se rendre à des obsèques et entourer les endeuillés. Certains parmi vous ont été touchés en famille ou parmi vos proches par ces restrictions cruelles.

L’ascension de Jésus intervient 40 jours après sa résurrection. Pendant 40 jours Jésus a aidé ses disciples à avancer dans leur deuil pour pouvoir mieux repartir dans l’étape suivante : vivre avec l’absence de leur ami et maître. Lorsqu’il part ‘pour de bon’, vers le ciel, deux anges leur transmettent la volonté de Dieu de ne pas regarder vers le ciel, mais de retourner sur les chemins de la vie et être ses témoins. Pas abandonnés pour autant, mais accompagnés par une nouvelle force, celle de l’Esprit Saint. Il offre une présence différente, non matérielle et pourtant réelle.

Cela aussi résonne avec l’expérience du deuil : nos défunts continuent à être présents différemment dans nos vies, ils continuent d’habiter nos émotions et nos rêves, nos souvenirs, même si c’est bien sûr d’une manière différente. Ils sont souvent autant présents qu’avant, si ce n’est davantage, de par leur statut nouveau.

Par son ascension, « le Christ sort de scène, a-t-on dit; mais il continue d’influer sur le monde, à travers la force qu’il a donné à ceux et celles qui mettent leurs pas dans les siens. Il nous passe le relais : À vous de jouer maintenant! Ce n’est pas moi, nous dit-il, ce n’est pas moi la star de l’histoire. Moi, je vous ai montré que l’amour est plus fort que tout. Que les relations sont plus fortes que la mort physique. Dès aujourd’hui, c’est à vous d’occuper le devant de la scène, c’est à vous de vivre cet amour qui peut vaincre la mort » (Jean-Jacques Corbaz)

Il nous laisse sa promesse qui n’aura jamais fini de s’insinuer dans les tâtonnements de nos vies  :
“Je suis avec vous jusqu’à la fin du monde”.

 

Iris Reuter, Nîmes, 13 mai 2021