Si je vous dis : Koman ou ye ? Comment vas-tu ?
Vous me répondez : Pa pi mal e ou mem ? Ce qui veut dire : Bien, et toi comment vas-tu ? Littéralement on devrait traduire : Pas plus mal et toi-même ?
La langue créole est issue d’un mélange de français et de diverses langues africaines, une langue très imagée, très concrète et dont un grand nombre d’expressions sont pour nous amusantes.
Par exemple il y a une expression souvent utilisée en Haïti pour dire qu’on est fatigué, que la situation que l’on vit est lourde à porter, que l’on n’en peut plus.
C’est l’expression « Tet chaje » (tête chargée). « Mwen se tet chaje » : J’ai la tête chargée, ou j’en ai plein la tête. Une expression qui exprime bien le fait que lorsque les soucis sont trop lourds, on a la tête pleine, les préoccupations occupent toute la place.
On vous l’a sûrement déjà dit au cours de cette journée, les haïtiens sont de très bons artistes peintres et il y a un peintre, du nom de Reynalds, qui a, je trouve, très bien illustré cette expression « Tet chaje ».
Oui, les deux personnages de ce tableau sont bien « Tet chaje », un poids lourd pèse sur leur tête, ils sont écrasés par cette charge, leurs visage sont sombres, ils n’expriment plus rien sinon un sentiment d’épuisement et de fatigue.
Vous l’avez entendu tout à l’heure, le directeur de la Fédération des Ecoles Protestantes, Christon Saint Fort, nous a dit combien aujourd’hui la situation quotidienne des haïtiens était difficile, combien ils sont « Tet chaje » !
Et cela m’a fait penser à cette parole que Jésus a dite à ses disciples :« Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et chargés et je vous soulagerai ». Et cette parole de Jésus me semble très importante. Il ne dit pas à ses disciples : si vous m’écoutez, si vous m’obéissez ou encore si vous vous comportez comme il faut, alors vous aurez une récompense !
Non. Il dit seulement : si vous êtes fatigués, si vous n’en pouvez plus, s’il y a des choses que vous n’arrivez plus à supporter, si vous êtes « Tet chaje », alors venez à moi, je vous soulagerai ! sans condition, sans avoir rien à faire d’autre que de nous confier à lui.
Comme un petit enfant qui vient se réfugier dans les bras de son père ou de sa mère pour être consolé. Dieu ne cherche pas à avoir des enfants bien sages et obéissants (et, je ne sais pas si c’est votre cas, mais moi, je dois dire que ça m’arrange bien parce que je ne le suis pas toujours !), non, Dieu ne cherche pas à avoir des enfants bien sages et obéissants mais Il désire seulement qu’ils soient heureux, bien dans leur peau et dans leur vie, qu’ils ne soient pas « Tet chaje », écrasés par ce qui leur arrive. Dieu ne nous surveille pas, il veille sur nous !
C’est cela que Jésus est venu dire à travers tout ce qu’il a vécu. Et vous le savez, quand il nous arrive quelque chose de difficile, on a parfois le sentiment que personne ne peut vraiment comprendre ce que l’on vit, sauf peut-être ceux qui sont proches de nous, nos amis, nos copains, ceux qui, parce qu’ils vivent ou parce qu’ils ont vécu la même chose que nous, sont les seuls à pouvoir nous comprendre et nous consoler vraiment. C’est à eux et à eux seuls que l’on peut se confier.
Et c’est en quelque sorte cela que nous dit l’Evangile au sujet de Jésus. Il est venu pour partager, comme tout le monde, la vie des hommes, avec tout ce qu’elle a parfois de violent, de difficile, de lourd, de révoltant, d’insupportable pour que nous sachions qu’il est proche de nous, qu’il nous comprend vraiment, que l’on peut se confier à lui, parce qu’il est lui-même, en personne, venu partager notre vie et même partager aussi ce qu’elle a de plus difficile à accepter, partager la mort.
Au centre de la tapisserie haïtienne que les enfants ont étudiée tout à l’heure est représenté Jésus crucifié.
Et qu’est-ce que vous remarquez ? Est-ce que d’habitude on représente Jésus de cette façon ?
Il est noir. Pourtant, très certainement, comme tous les habitants de la Palestine de son époque, Jésus devait avoir la peau plus claire. Alors pourquoi, d’après-vous, est-il représenté avec la peau noire ?
En le peignant ainsi, l’artiste haïtien souligne que c’est aussi la vie des Haïtiens et pas seulement celle des Palestiniens d’il y a 2000 ans, que Jésus est venu partager, la vie dure de ce peuple venant d’Afrique, vendu comme esclaves pour cultiver la canne à sucre et le cacao. Jésus est aussi un des leurs. C’est aussi d’eux, les Haïtiens, que Dieu s’est fait tout proche en Jésus.
Dans des termes un peu compliqués, c’est ce que Jésus a exprimé dans le texte de l’Evangile que nous avons lu lorsqu’il dit : « Personne ne connaît le Fils, si ce n’est le Père. Personne non plus ne connaît le Père, si ce n’est le Fils et ceux à qui le Fils veut le révéler ». Dieu se fait connaître à nous par cette proximité, par ce partage de tout ce qui constitue notre vie et que Jésus est venu manifester lui-même, en personne.
Il est cloué sur un arbre et pas sur une croix. Savez -vous d’ailleurs comment on dit arbre en créole ? Pyebwa ! La croix est faite de bois mort alors que l’arbre est vivant. D’ailleurs vous le voyez, il a d’énormes racines et de grands branchages, pleins de feuilles et de fruits appétissants.
Il plonge profondément ses racines dans tout ce qui est symbole de mort, de souffrance de douleur dans ce pays. L’esclavage, les cyclones, la guerre et les dictatures, aujourd’hui les gangs armés.
C’est dans cette histoire bien douloureuse que l’amour du Christ s’enracine. C’est cette histoire douloureuse qui est transformée par la proximité et l’amour du Christ en une histoire nouvelle possible, une histoire qui porte des fruits, une histoire représentée en haut de la tapisserie par toutes ces scènes d’une vie paisible retrouvée : une vie restaurée où les repas se partagent.
Une vie et une justice restaurées où les droits de tous sont respectés :
C’est une vraie transformation qui est promise, à laquelle tous sont appelés. Une résurrection qui transforme les forces de mort, de violence et de souffrance en une force de vie et d’espérance.Une force de vie et de joie que le peintre Reynalds exprime dans ce 2ème tableau :
Un tableau qui représente un groupe de Rara, ces orchestres de rue qui accompagnent les défilés du carnaval (dont c’est d’ailleurs la période en ce moment).
Contrairement au premier tableau où les personnages sont « Tet chaje », figés sans bouger sous le poids de toutes les difficultés qui les écrasent, dans ce second tableau, ils gesticulent de tous côtés, ils jouent et ils dansent et même tout le paysage et la maison semblent danser avec eux.
Tout est plus lumineux, joyeux, léger, vivant. Ils sont embarqués dans cette promesse faite par Dieu à son peuple depuis bien longtemps et que le prophète Jérémie avait déjà annoncée lorsqu’il écrivait : « Ils viendront tous et pousseront des cris de joie sur les hauteurs des montagnes. Alors les jeunes filles se réjouiront en dansant, les jeunes hommes et les vieillards se réjouiront aussi. Je changerai leur deuil en allégresse, et je les consolerai. Je leur donnerai de la joie après leurs chagrins ».
C’est cette consolation, cette joie retrouvée, cette paix et cette justice restaurées que la présence et la proximité du Christ nous donne.Que le Seigneur aide les Haïtiens, si durement éprouvé aujourd’hui encore, à changer leur deuil en allégresse et à retrouver la joie après leurs chagrins.
Amen
Pasteur Philippe Verseils
Prédication du 18/03/2023, culte caté de l’Eglise universelle sur Haïti, temple de la Fraternité, Nîmes.
Retrouvez la journée caté sur Haïti :https://nimes-eglise-protestante-unie.fr/journee-haiti/