Quand t’avons-nous accueilli ?

Chers invités, frères et sœurs en Christ, il y a dans cette parabole deux pièges à éviter. Le premier c’est la lecture moralisante et partisane, le sous -texte pourrait se résumer ainsi : « si je veux aller aux paradis, je dois faire le bien, rien que le bien. Cela tombe bien, c’est ce que je fais tous les jours. Par contre, mon voisin, Dieu lui réservera une mauvaise surprise.»  Le second, c’est la lecture culpabilisante : « je fais tout cela, je n’en fais peut-être pas assez et si je n’en pas fais pas assez, je serai, peut-être, du mauvais côté. Il faut que je me ressaisisse et que j’en fasse beaucoup plus. »

Il est toujours intéressant de sonder les premières interprétations qui peuvent traverser notre esprit. Parfois, certaines d’entre elles peuvent être justes et apparaitre pour nous comme une révélation, comme si notre Seigneur conversait en tête -à -tête avec nous. D’autres fois, certaines interprétations qui montent en nous, sont le reflet d’une conscience torturée, d’un esprit embrouillé, d’une situation familiale ou sociétale compliquée. Je vous ai proposé deux fausses interprétations possibles de cette parabole afin de les écarter. Ce texte, à mes yeux, cherche donc à nous dire quelque chose de plus profond, de plus délicat. Ce qui me permet d’affirmer cela, c’est la découverte d’une vraie bizarrerie dans le récit de cette parabole. Et c’est  cette bizarrerie-là  qui va nous ouvrir vers une autre perspective, vers une autre interprétation plus intéressante, à mes yeux, que la moralisante, la partisane ou la culpabilisante.

Quelle est donc cette bizarrerie ? Que ce soient ceux qui sont décrits comme des brebis comme ceux qui sont présentés comme des petits boucs, ils ne savent pas à quel moment ils ont donné ou pas à manger, à boire au Fils de l’homme, à quel moment ils l’ont visité, ils l’ont accueilli. C’est une bizarrerie intéressante car cela sous-entend que nous sommes appelés à œuvrer dans ce monde sans chercher un quelconque retour sur investissement. Et cela, il est vrai, ce n’est pas l’idéologie dominante.

Totale gratuité ou retour sur investissement ?
En effet, la notion de service gratuit est constamment dévoyée de nos jours. Par exemple, on nous propose des essais gratuits pour nous abonner à une plateforme numérique mais ce ne sont que quelques essais. Cette approche classique, commerciale peut s’entendre et se comprendre. C’est du marketing et personne n’est dupe. Là où cela devient plus délicat, c’est lorsque nous nous engageons pour un service, ou tout simplement si nous rendons service à quelqu’un. Au fond de nous, parfois, il y a cette petite musique qui nous dit : je lui ai rendu un service, j’espère qu’à son tour il me le rendra. Bref, on espère d’une manière ou d’une autre un retour sur investissement. Nous sommes tous influencés par cette idéologie dominante du donnant donnant, du gagnant gagnant. Cette parabole ne s’inscrit pas dans cette idéologie, elle énonce, en tout premier lieu la totale gratuité d’un acte d’Amour, de compassion, de solidarité, d’accueil. Ce que nous faisons : visiter, accueillir, cela va de soi, c’est notre façon de comprendre le message du Christ, c’est notre manière de vivre, qui petit à petit devient une manière d’être. Donc ce qu’il est important de retenir ici c’est que personnes ne sait, ni les brebis ni les petits boucs, à quel moment cette rencontre a eu lieu avec le fils de l’homme. Maintenant que nous avons explicité la bizarrerie de cette parabole. Nous devons enlever un autre malentendu qui se situe sur l’adresse de cette parabole. A qui s’adresse-t-elle en tout premier lieu ?

Une parabole pour les croyants ?

Ce texte s’adresse essentiellement à des croyants. Vous aurez peut-être remarqué que les brebis comme les petits boucs s’adressent au fils de l’homme dans cette parabole en lui disant : Seigneur ! Cette parabole s’adresse donc à des croyants qui veulent connaitre les signes de la fin des temps. Le fils de l’homme de la Parabole les encourage à ne pas perdre leur temps dans ce genre de spéculations sans fin, mais à vivre ce qui est à vivre ici et maintenant. Nourrir, donner à boire qui sont l’essentiel pour qu’une personne puisse vivre. Vêtir et accueillir qui sont des actions primordiales pour permettre à un individu d’intégrer une vie sociale ; soigner et visiter qui constituent la base d’une humanité qui prend soin du prochain. Si cette parabole s’adresse, en priorité, à des croyants cela veut dire que nous devons l’entendre d’une certaine façon.

Une parabole d’édification et non de condamnation

Que celles et ceux qui ont des oreilles entendent et comprennent bien ce qui va être énoncé maintenant. Le fils de l’homme nous dit ce matin : « Vis ce que tu dois vivre ici et maintenant. Celui que tu attends, qui viendra des cieux, Lui, il t’attend, aujourd’hui, là où tu dois être pour le rencontrer. Rencontre donc celui qui a faim, qui a soif, qui est étranger et qui espère être accueilli, visité, soigné. Deviens ce que tu es déjà, mon témoin. » Cette parole s’adresse à la fois à ceux qui le vivent déjà afin de les encourager et qu’ils persévèrent dans cette voie et à ceux qui sont prisonniers de leurs spéculations, de leurs peurs, de l’idéologie régnante afin qu’ils vivent, eux aussi, ce pour quoi ils ont été appelés. C’est donc une parabole d’édification et non de condamnation. En effet, dans une vie nous pouvons être, sans le savoir et selon les circonstances, une brebis ou un petit bouc, car nous ne savons pas à quel moment nous avons donné ou pas à manger ou à boire au fils de l’homme. Il me semble vraiment sage de comprendre cette parabole comme un texte d’édification.

Ce qui est à vivre et non pas ce qui est à faire !

Chacun, là où il est, là où il vit, sait maintenant ce qu’il doit vivre et non pas ce qu’il doit faire. Car s’il tombe dans le faire, il va se comparer et juger ceux qui ne font pas comme lui. Si je fais la différence entre ce qui est à vivre et ce qui est à faire c’est pour éviter que notre faire à tout prix devienne notre salut par les œuvres.

Séparation n’est pas jugement

Ceci dit, il y a encore un verbe dans cette parabole qui peut tracasser notre esprit. En effet, le fils de l’homme est décrit dans cette histoire comme celui qui sépare les brebis des petits boucs. Je remarque que dans la nouvelle Bible Segond le titre de cette parabole s’intitule le jugement dernier. Ce titre induit une interprétation, c’est un choix arbitraire des traducteurs qui nous pousse à comprendre cette parabole avant tout comme un jugement. Le texte biblique parle de séparation, nous pouvons, bien entendu, l’interpréter comme un jugement sans appel vu que les uns iront, au châtiment éternel, et, les autres, à la vie éternelle. Mais nous pouvons l’entendre différemment. En effet, dans la Bible, lorsque Dieu, dans le récit de la Création du livre de la Genèse, sépare la lumière des ténèbres, la terre de la mer c’est pour permettre à ce que la vie se déploie dans cette Création. La séparation ici a pour objectif principal le déploiement de la vie. C’est cette interprétation-là qui, à mes yeux, prédomine dans cette parabole qui est un texte d’édification. Qui dit édification dit aussi vigilance spirituelle, une vigilance spirituelle qui nous encourage à nous replacer chaque jour devant Dieu, à vivre en Christ et à marcher par l’Esprit Saint. Et, je le répète, dans une vie, qu’elle soit courte ou longue, nous pouvons à la fois, être des brebis et des petits boucs selon les circonstances et cela sans le savoir.

Seul Dieu connait les reins et les cœurs des Humains !

Cette parabole rappelle enfin que seul le Fils de l’homme, qui viendra dans sa gloire, a autorité pour discerner l’intime de notre intime et le peser à sa juste valeur. C’est Dieu lui-même qui par son Christ et son Esprit Saint connait les profondeurs de notre être et la réalité de notre vie qu’elle soit courte ou longue. Rappeler cela, c’est une manière de dire que personne n’est en capacité de juger qui que ce soit sur cette terre. Je ne parle pas ici de nos tribunaux civils qui ont toute légitimité pour donner un jugement et appliquer la sanction afin de permettre à une société un vivre ensemble correct. Je parle ici de toi, de moi. Nous n’avons aucun droit de juger qui que ce soit. Seul Dieu par son Christ connait les cœurs et les reins nous dit la Bible. Et seul Lui est en capacité de séparer ce qui est à garder et ce qui n’est pas à garder. Je pense qu’il est bon de se le rappeler de temps à autres notamment lorsque l’on voit comment nos médias et nos réseaux sociaux balancent des jugements sur telle ou telle personne comme si nous avions tous les éléments en mains et comme si nous avions autorité pour porter de tels jugements. Que connaissons-nous de l’autre ? Une parcelle de sa vie ? Un engagement ? Une parole déplacée ? un tweet ?

Conclusion

Il est temps pour moi de conclure. Cette parabole, parle donc de la fin des temps comme nous venons de l’entendre. Elle parle de la fin des temps et non pas de la fin du monde, ni de la fin d’un monde (ce que nous sommes en train de vivre. Nous vivons la fin d’un monde avec une reconfiguration de l’influence des puissances de ce monde et une révolution numérique qui modifie beaucoup de paradigmes). En ce qui concerne la fin des temps, le chrétien, pour sa part, a intégré que son Seigneur doit venir en gloire, c’est-à-dire que toute la Création le verra en même temps. Nul ne connait l’année et l’heure de cette venue qui annoncera la Création d’une nouvelle terre et d’une Jérusalem céleste qui descendra des cieux, nous dit le livre de l’apocalypse. Au-delà des images que nous avons ou pas en tête, lorsque nous entendons cela, retenons surtout que Celui en qui nous croyons garde la main et qu’il est le seul et le réel maitre des horloges. Même si les temps que nous vivons annoncent un dérèglement climatique à l’échelle mondiale, nous devons tenir notre rang de témoins du Seigneur Jésus, le crucifié, mort et ressuscité des morts. Nous sommes donc appelés, en tant que témoins, à accueillir toutes celles et ceux qui sont prêtes et prêts à se tourner vers le Christ. Notre accueil, à l’image de notre Dieu, est inconditionnel sans nous soucier du quand dira-t-on, de la classe sociale, de la couleur de peau, de la classe d’âge, du genre, de l’orientation politique, ni de nos propres spéculations sur qui sera sauvé ou pas. Nous sommes porteurs d’une bonne nouvelle en tant que témoins du Christ Jésus. Une lumière traverse nos vies, un Amour selon Dieu nous traverse lui aussi. « Confiance, je suis avec toi tous les jours, te dit ton Seigneur et ton Dieu. »
Amen

Pasteur Jean-Pïerre JULIAN,  président du Conseil Régional  de l’Eglise protestante Unie de Cévennes-Languedoc-Roussillon.
26 novembre 2023, culte de la Cité, Nîmes.

Texte biblique : Matthieu 25, 31-46