PAROLE DU JOUR-44

– Le bon Berger –

1 En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui n’entre pas par la porte dans la bergerie, mais qui y monte par ailleurs, est un voleur et un brigand. 2 Mais celui qui entre par la porte est le berger des brebis. 3 Le portier lui ouvre, et les brebis entendent sa voix; il appelle par leur nom les brebis qui lui appartiennent, et il les conduit dehors. 4 Lorsqu’il a fait sortir toutes ses propres brebis, il marche devant elles; et les brebis le suivent, parce qu’elles connaissent sa voix. 5 Elles ne suivront point un étranger; mais elles fuiront loin de lui, parce qu’elles ne connaissent pas la voix des étrangers...7Jésus leur dit encore: En vérité, en vérité, je vous le dis, je suis la porte des brebis. 8 Tous ceux qui sont venus avant moi sont des voleurs et des brigands; mais les brebis ne les ont point écoutés. 9 Je suis la porte. Si quelqu’un entre par moi, il sera sauvé; il entrera et il sortira, et il trouvera des pâturages. 10 Le voleur ne vient que pour dérober, égorger et détruire; moi, je suis venu afin que les brebis aient la vie, et qu’elles soient dans l’abondance.11 Je suis le bon berger. Le bon berger donne sa vie pour ses brebis...14 Je suis le bon berger. Je connais mes brebis, et elles me connaissent, 15 comme le Père me connaît et comme je connais le Père; et je donne ma vie pour mes brebis. 16 J’ai encore d’autres brebis, qui ne sont pas de cette bergerie; celles-là, il faut que je les amène; elles entendront ma voix, et il y aura un seul troupeau, un seul berger. 17 Le Père m’aime, parce que je donne ma vie, afin de la reprendre. 18 Personne ne me l’ôte, mais je la donne de moi-même; j’ai le pouvoir de la donner, et j’ai le pouvoir de la reprendre: tel est l’ordre que j’ai reçu de mon Père.

Nous voici devant l’un des textes les plus denses de l’Évangile. Jésus y affirme avec force et simplicité qu’il est le Bon Berger. Cette affirmation a-t-elle pour nous aujourd’hui une quelconque signification, une quelconque actualité?

Notre sensibilité moderne ne serait-elle pas heurtée par ces mots de Jésus lorsqu’il affirme: «Moi, je suis la porte » ? N’exprime-t-elle pas une prétention à l’exclusivité, difficile à entendre dans notre monde contemporain ? C’est que la Parole ne nous prend pas dans le sens du poil, car en réalité, elle est têtue ! On ne fait pas d’elle ce que l’on voudrait qu’elle soit! Elle met en cause parfois y compris nos manières ordinaires de penser et nos raisonnements; plus encore, elle met à mal les sécurités dans lesquelles, souvent et à notre insu, nous avons retranché nos vies. La fonction de la Parole est bien là: Elle est faite pour nous bousculer et ouvrir nos vies à leur vocation véritable, en les libérant de toutes les formes de captivité dans lesquelles nous sommes si enclins à les enfermer. Pour cela, le travail de la Parole sur nous, en nous ne se fait pas sans résistance, sans difficulté, car on n’en sort pas indemne!

Ce passage de l’Évangile de Jean, tout comme le thème du « Bon Berger » nous sont familiers, peut-être à tel point que nous réduisons tous les textes bibliques qui évoquent la figure du berger à une seule image, à une seule idée: Celle d’un Dieu qui est proche de nous et qui prend soin de nous ou celle d’une Église rassemblée derrière son Chef. Cela est bien vrai, mais assez réducteur à mon sens, car la figure du berger n’a pas le même relief selon qu’elle se trouve dans la bouche du psalmiste qui dit sa confiance en Dieu, celle du prophète qui dénonce les déficiences des dirigeants d’Israël, celle de Jésus racontant la parabole de la brebis égarée ou encore celle d’un apôtre qui exhorte les responsables de la communauté chrétienne à être fidèles à leur vocation, mais plus encore celle de notre passage.

L’image est donc si familière, si évocatrice et si riche dans l’Ancien Testament que Jésus, les apôtres et les auteurs des évangiles et des épîtres ont pu à leur tour s’en servir pour annoncer l’Évangile ou édifier la communauté chrétienne. Ce qui est particulièrement le cas de la communauté johannique, lorsqu’elle a voulu dire ce que signifie pour elle la personne du Christ, comment elle comprend le Salut qu’elle lui associe et comment elle appréhende et vit son identité en tant que communauté se réclamant du Christ.

Jésus est donc au centre de ce discours du bon Berger et ici, nous n’avons pas les titres habituels qui lui sont associés: Christ, Seigneur, Sauveur ou Fils de Dieu qu’on trouve habituellement dans les confessions de foi, les prières et les liturgies chrétiennes, mais seulement une tournure propre à l’Évangile de Jean faisant déclarer à Jésus: «Je suis le bon berger» ou plutôt : «C’est moi le bon berger». Cette dernière traduction rend mieux le texte originel et la force de cette déclaration où la notion du « bon berger » désigne et résume à elle seule les caractéristiques du ministère de Jésus, englobant sa personne, sa vie et son oeuvre. Il est également à noter que l’évangéliste n’introduit ici aucun des grands thèmes proprement « religieux »: Pas de rédemption, ni d’expiation ou de sacrifice… Comme si tout cela était sous-jacent à l’affirmation centrale: Être pour !

Qu’est donc le « bon berger »?

Comme le souligne l’expression « le berger des brebis » au verset 2, tout est subordonné à la qualité de la relation entre le berger et ses brebis. Le bon berger est celui qui a à cœur la vie et le bien-être des brebis; le bon berger est celui qui aime ses brebis d’un amour dont la réalité et la force se mesurent à son attitude dans le danger: Il donne sa vie pour elles ! «Nul n’a d’amour plus grand que celui qui expose ou donne sa vie pour ceux qu’il aime» dira Jésus dans son dernier entretien avec ses disciples (Jean 15/13).

Le don de soi est donc la marque du Bon Berger et c’est à cette ultime preuve d’amour que les disciples vont reconnaître en Jésus leur Seigneur et Sauveur. Si nous regardons à lui plus de vingt siècles après, c’est bien parce qu’il n’a pas pris la fuite; mieux, il a ouvert le chemin. Le Bon Berger passe devant, il reçoit les coups. Il n’abandonne pas face à l’adversité y compris la plus extrême, même quand tous l’abandonnent. Il ne lance pas ses « troupes » en avant, tout en restant à l’arrière-garde; bien au contraire, il les laisse partir et reste seul dans l’affrontement de Gethsémané. Jésus passe devant, il démasque « l’ennemi » et l’anéantit. Or, étant le conducteur du « troupeau », Il nous rend ainsi participants de Sa victoire et nous conduit à la rencontre de Dieu, pour nous Le montrer tel qu’Il est du même coup, montrer l’homme tel qu’il est appelé à être, le tout se réalisant dans une relation d’amour, une relation vivante : Je connais mes brebis et elles me connaissent.

Avec lui, la « brebis » n’est donc pas un objet, plus ou moins docile; elle n’est pas juste un « numéro », ou tout autre ultime référence déshumanisante. Elle est une personne connue par son nom. Là est la merveilleuse originalité et l’éternelle actualité de l’Évangile du Bon Berger !

Le bon berger nourrit, protège, nomme et rassemble ses brebis, mais pas seulement ! Il leur donne aussi la vie, ce à quoi aucun autre berger ne peut prétendre. Il leur donne la vie éternelle que rien ne peut anéantir: Elles ne périront jamais. Cette vie est indestructible parce qu’elle est placée sous la garde indéfectible du Bon Berger: « Personne ne pourra les arracher de ma main« .

« Moi, je suis venu, afin que les brebis aient la vie et qu’elles l’aient en abondance »

Une affirmation forte qui ouvre à une formidable espérance !

Par ces quelques références, nous comprenons alors que l’enjeu ultime de ce texte est la VIE. Rien de moins que la vie ! Un appel à la vie que nous recevons comme signe de la volonté bienveillante de Dieu à notre égard.

Mais qu’est que la vie ?

La vie selon la tradition biblique, à laquelle il nous faut toujours à nouveau revenir, revêt un sens différent de celui que nous lui donnons aujourd’hui.

Dans la Genèse la vie est une énigme, mais elle est surtout un bien extrêmement précieux que le Seigneur soustrait au pouvoir de l’homme afin de la protéger.

Par ailleurs et à leur manière, les langues bibliques anciennes distinguent la double dimension de la vie, en opposant celle qui est d’ordre biologique à celle qui revêt une dimension beaucoup plus profonde, siège de la joie, la relation, l’amour, l’échange, le service, etc. et que l’on pourrait appeler « vie de plénitude ».

Cette vie de plénitude est la vocation humaine par excellence; elle est la promesse qui nous est faite parce que nous sommes créés à l’image de Dieu. Or, cette vie est indissociable de notre relation à Lui, car Il est lui-même notre vie.

C’est ce que vient nous rappeler l’Évangile du « bon Berger ». Il nous permet de mieux approcher le mystère de notre vie et d’en mesurer l’insondable profondeur. Il nous rappelle que si la vie est notre bien le plus précieux, elle a vocation à s’épanouir dans notre relation avec le Christ, Celui en qui est la plénitude de la vie, et que l’on nomme « Le prince de la vie » (Ac/3-15), relation d’amour si profonde et si totale que même la mort ne peut menacer ou détruire.

C’est en lui et par lui que nous sommes unis les uns aux autres, tous « brebis » du même « Bon Berger », tous cherchés, appelés, nommés et sauvés par l’amour de Celui en qui notre foi salue le Fils de Dieu, le Christ et le Berger des hommes.

Zohra MOKRI, le 7 mai 2020