PAROLE DU JOUR-45

Prier, c’est causer  :

Prier dans les moments difficiles ne relève pas forcément de l’évidence. A ce titre, il nous arrive parfois d’entendre, ou de nous dire à nous-mêmes : « j’aimerais prier, mais je n’y arrive pas » !
Le confinement de ces derniers mois peut raviver ce phénomène, entraînant un double enfermement : un enfermement en soi-même qui se surajoute à un enfermement physique déjà bien pesant ! Dure réalité que de constater en soi à la fois un désir de prier et, l’incapacité de le faire ! D’où cela vient-il ?

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Un livre en particulier m’a aidé par le passé à réfléchir à cette question : c’est celui d’André Dumas « Cent prières possibles ». Dans son dernier chapitre, l’auteur nous amène à interroger notre conception de la prière.
Que met-on derrière cette pratique qui peut prendre selon les personnes et selon les moments des accents différents ? En Matthieu 6, 9, Jésus donne la prière du « Notre Père » à ses disciples. André Dumas remarque qu’il la fait précéder d’une mise en garde à l’égard de certaines pratiques de la prière, donnant deux exemples à ne surtout pas suivre (Mat 6, 5-8). Jésus appelle d’une part « hypocrites » ceux qui utilisent la prière pour donner d’eux-mêmes l’image de quelqu’un de pieux, et d’autre part « païens » ceux qui imaginent pouvoir par la prière informer ou forcer Dieu dans un sens ou dans un autre. Jésus dit à ses disciples « ne les imitez pas ». Mais lorsque vous priez dites plutôt « Notre Père… ». La prière n’est donc là ni pour étaler notre piété, ni pour obtenir « ce que nos moyens humains ne nous permettent pas matériellement ». En d’autres termes, nous ne prions pas pour influencer un Dieu supposé sourd et aveugle.
Mais alors, si ce n’est pas pour se montrer pieux ou en vue d’obtenir quelque chose, pourquoi prier ?

André Dumas avance une réponse : le désir de Dieu est que l’homme « cause » avec lui exactement comme un ami le ferait avec celui dont il se sent proche, dans cette connaissance de face à face que Moïse pratiquait avec Dieu (Dt 34,10). Ainsi André Dumas écrit-il : désormais, pour moi « prier, c’est causer » ! Il utilise à dessein ce mot familier « causer » pour bien faire apparaître que la prière ne s’intéresse qu’à la « permanence du contact », et certainement pas à la « solennité des formules ». Une causerie, nous dit Dumas, n’est ni un discours, ni une exhortation. Il n’y a pas d’ordre établi dans une causerie. Elle est un cheminement à bâton rompu, qui n’a de valeur que si elle se fait dans une totale franchise.

Ainsi la prière n’est-elle pas indispensable. Nous en ferions sinon une obligation qui nuirait à l’envie de causer avec Dieu. Mais la prière est possible. Et elle est accessible à chacun(e) car elle ne requiert aucun préalables, ni spirituels, ni dogmatiques, ni liturgiques.

La prière porte en elle deux vertus :
Elle ouvre d’une part à ce lieu de l’intime et du partage où Dieu et l’homme se tiennent compagnie. Causer, c’est évidemment perdre du temps pour l’action, mais c’est également en gagner contre la tendance au repliement sur soi. Ce que la prière brise, c’est l’isolement. Voilà sa 1ère vertu.

D’autre part, du fait du processus de verbalisation qui la porte, la prière est aussi le lieu d’une possible catharsis. En causant, on relit sa vie, on en déplie les pages cornées, peut-être même froissées. En priant, on « parle » sa vie, on pose des mots sur les émotions, sur l’ambigüité des sentiments et des vouloirs opposés. Prier permet parfois de mettre un peu de clarté dans la confusion. Un peu de clarté aussi sur des oublis, sur des myopies, sur des demandes égoïstes où le collectif « Notre Père » devient tout à coup un « Mon Père » récupéré et accaparé à mon seul service… Bref, la prière met en relation et si elle agit, elle agit surtout sur l’orant. Elle lui permet de devenir différent, elle le dépouille du superflu, le concentre sur l’essentiel, et le rend au monde dans une dimension fraternelle ravivée, enfant d’un même Père.

La prière, nous dit André Dumas, est « possible pour quiconque aime causer sa vie et le monde, ses joies et ses détresses, ses hésitations et ses décisions, ses élargissements et ses rétrécissements, sa mémoire et son attente, bref tout ce qui nous traverse, nous épuise et nous remplit le cœur ».
Et l’auteur de ce petit livre riche d’expérience, de joie et de sincérité prend soin d’ajouter : toute prière garde évidemment un goût d’inachevé. Son « amen » final n’est pas une jolie conclusion, mais la décision de clore pour un temps la causerie afin d’aller vivre (autrement ?) ce qu’il y a à vivre.

 

Lionel Tambon, le 8 mai 1945

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