« Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné,et t’éloignes-tu sans me secourir, sans écouter mes plaintes » (Psaume 22,2)
Selon l’Evangile de Matthieu (27/46), les premiers mots de ce verset ont été prononcés textuellement par Jésus lors de son supplice sur la Croix. « Eli, Eli, lamma sabachtani ? c’est-à-dire: Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné? ».
Nous aimons généralement les revisiter lors de nos célébrations du Vendredi Saint, ce qui se fera probablement cette année aussi, à l’occasion de méditations diffusées par les seuls moyens dont nous disposons encore aujourd’hui. Or, ces paroles sont celles aussi du psaume 22, attribué au roi David et décrivant la détresse extraordinaire du croyant qu’il était, momentanément abandonné aux « méchants », puis une délivrance dont se réjouira et bénéficiera la terre entière: Telle est la donnée générale de ce psaume. De la sorte, l’Eglise, à travers les âges, lui a souvent reconnu une dimension prophétique de la Passion du Christ, ainsi que les conséquences bénies de Sa résurrection pour toute l’humanité.
Pourquoi ? Le douloureux pourquoi fait suite aux appels du roi David, restés sans réponse. Pourtant Dieu a délivré jadis ceux qui l’invoquaient. Pourquoi alors ce silence, quand il s’agit d’un homme qui, dès sa naissance, a été l’objet des soins particuliers de Dieu ?
Le psalmiste compare sa plainte au rugissement du lion. Alors même que l’on n’entendrait rien au dehors, toute sa vie intérieure n’est qu’un cri; non pas toutefois un cri inarticulé, mais une supplication, des paroles, telles que celles que prononça Jésus à Gethsémané.
Pourquoi ? Le pourquoi de David et de Jésus est hélas devenu le nôtre aujourd’hui. Nous ne comprenons pas, nous sommes dans la sidération. Pourquoi Seigneur ? Pourquoi l’humanité a-t-elle basculé dans un cauchemar que rien ne présageait et que nous n’aurions même pas imaginé il y a encore quelques semaines ? Un « cauchemar » dont nous n’avons aucune visibilité sur son issue. L’angoisse à l’échelle planétaire est poussée à son paroxysme et nous vivons au rythme des informations, toujours plus alarmantes les unes que les autres : Une « guerre », (selon les termes du Président de la République), est livrée à l’humanité par un ennemi invisible, le Covid19, un virus dont le corollaire est aussi terrible que terrifiant. Non seulement notre pays et notre continent, mais la planète toute entière se trouve être à l’arrêt. Désormais nos vies sociales suspendues, sont réduites à s’enquérir des nouvelles des uns et des autres, au près comme au loin, à trembler pour les nôtres, pour nos amis et connaissances; à apporter de rares assistances aux plus isolés, quand cela nous est permis et dans le respect scrupuleux des règles qu’impose notre état de confinement. Notre inquiétude est également grandissante quant à la vie économique de notre pays et du monde entier, de son devenir immédiat et futur. Bref, nous avons juste envie de crier : Mais que nous arrive-t-il ? Dieu aurait-il abandonné l’humanité pour laquelle Son Fils a pourtant donné Sa vie ?
Le rugissement étouffé du roi David puis de Jésus, devient ainsi le nôtre. Comme eux, nous subissons et nous avons l’impression que nos cris et supplications n’ont pour écho que le silence et le vide. Pourtant le silence de Dieu n’est-il pas contraire à Sa nature même de Dieu, comme l’affirmait par ailleurs le psalmiste David. Devons-nous alors abandonner la partie et nous laisser sombrer dans le défaitisme, voire le désespoir et désespérer y compris de Dieu ? Non ! Le roi David n’a pas « baissé les bras » et n’a voulu à aucun moment concéder la victoire à ses ennemis. Sa plainte a fini par laisser place à la prière proprement dite : « Ne t’éloigne pas de moi quand la détresse est proche, quand personne ne vient à mon secours ». Une prière qui ressort naturellement des souvenirs qu’il venait d’évoquer.
Puis à nouveau, sa prière se poursuit. Insistante:: « Et Toi Eternel, ne t’éloigne pas! Toi qui es ma force, viens en hâte à mon secours« , même si dans une telle situation, la prière semble être absolument inutile. Or, la foi est ce qui nous permet d’espérer contre toute espérance. Là réside le secret de David l’affligé. « Toi qui es ma force »: L’absence de toute force propre et de tout secours visible, n’obscurcit nullement cette vérité dans son cœur de croyant; elle la met plutôt en relief. Le roi David se met à espérer contre tout espérance et a soudain le sentiment d’être exaucé.L’action de grâces commence alors, sans que l’on sache comment a été opérée la délivrance. C’est ce que nous rapporte la suite du psaume. Plus la situation semblait désespérée, plus la gloire de Dieu éclate dans la délivrance de celui qui a tant souffert.
Espérer contre toute espérance, c’est croire en la présence indéfectible de Dieu à nos côtés, y compris dans les circonstances les plus adverses. C’est croire que Dieu dans son Amour, n’accepte pas que ses créatures que nous sommes, subissent le mal, mais qu’Il le combat avec nous, cherchant à sauver l’humanité. C’est de cette espérance que nous vivons pour nous-mêmes et pour notre monde. Qu’elle nous soit renouvelée jour après jour, qu’elle nous aide à traverser ce temps d’épreuve, en gardant les yeux fixés sur notre Sauveur et Seigneur, Jésus le Christ. Amen
Zohra Mokri, 27 mars 2020.