Au bord de la piscine et..de la vie

Une histoire de piscine dans la Bible ? Oui, elle était même longue et profonde, mais  elle était loin de ressembler à ce que l’on imagine  de nos jours : l’eau n’était ni très bleue, ni très propre. Elle n’était pas olympique non plus, bien au contraire : connue pour ses vertus thérapeutiques , elle était fréquentée par des malades, boiteux, aveugles, estropiés et paralysés, espérant ardemment une guérison. Située à Jérusalem, elle s’appelait Béthesda, ce qui signifie « miséricorde de Dieu ».

Tous ces malades et  handicapés étaient exclus du Temple et  gisaient là, au bord du bassin, c’était comme une immense salle d’attente sans médecin, une sorte de cour des miracles, basée sur  un mélange de croyance populaire et de superstition. En effet, la rumeur circulait que parfois, un ange venait pour agiter l’eau, guérissant le malade qui se lancerait le premier  dans la piscine à ce moment-là. Espoir ténu auquel se raccrochaient tous ces esseulés pour éviter de devenir des «morts-vivants »… 

Ce jour-là, Jésus arrive à Jérusalem et se rend au Temple où se déroule une fête religieuse. Il aurait pu éviter de passer par là, mais pour lui, il n’est aucun endroit qui ne soit pas digne d’être aimé et visité.
Le voici donc au bord de ce bassin. Plusieurs choses ont étonné les enfants cet après-midi. D’abord : pourquoi l’attention de Jésus est-elle attirée vers un infirme en particulier et non  vers toute la foule ? Pourquoi une seule guérison alors qu’il y a tant d’autres malades, de boiteux, d’aveugles et d’estropiés ? Jésus ne joue pas au magicien, il n’est pas un distributeur automatique de  miracles. Et surtout : il  préfère la rencontre inter-personnelle aux foules anonymes et discours généraux. Il s’adresse presque toujours à une personne en particulier, tellement chaque être est unique à ses yeux. On apprend, dans la foulée, que l’infirme auquel il parle fréquente ce lieu depuis… 38 ans ! Il ne peut donc rien décider par lui-même. De par son handicap, il est totalement dépendant des autres.
38 ans : voici tout un symbole qui permet de faire des connections entre la situation de l’infirme et l’histoire du peuple d’Israël. C’est en effet une référence  à la durée du séjour des Hébreux dans le désert : officiellement c’est 40 ans mais 38 selon certaines versions. La vie de cet infirme est donc comme une traversée du désert. D’ailleurs, le mot «paralysé » signifie littéralement en grec (la langue d’origine du nouveau testament ) : desséché. C’est bien ce qu’il doit être, cet homme, en  passant  la majeure partie de sa vie au bord d’une piscine, autrement dit  : à  côté de la vie. Et quel contraste, quelle ironie, cet être ‘desséché’  au bord d’une eau inaccessible ! Dieu aurait -il déserté  sa vie ? Peut-être que cet homme n’a plus de larmes à force d’avoir pleuré et que c’est pour ça qu’il est tout  ‘sec’ , allez savoir….

Mais on n’a pas fini de s’étonner. Regardons de plus près ce qui se passe : que dit Jésus à cet homme couché par terre ? Il lui dit : Veux -tu être guéri ?  Ça alors, en voilà une drôle de question ! Vous en connaissez beaucoup, vous, des gens malades qui ne souhaiteraient pas guérir ? Mais si la question de Jésus étonne, la réponse de l’infirme aussi. Au lieu de lui répondre :  « oui oui, d’ailleurs, aidez -moi s’il vous plait !  » il  parle de l’abandon total dans lequel il se trouve, et ne saisit pas l’occasion pour lui demander secours. D’une certaine façon, il lui laisse entendre que c’est impossible. A quoi ça lui servirait de vouloir guérir s’il n’y a personne pour l’aider ? La paralysie de cet homme n’est pas seulement physique, elle s’est aussi installée dans son coeur : il semble avoir renoncé. La résignation, la fatalité toute puissante est entrée en lui; il s’est placé dans un ‘non’ comme pour se défendre, se protéger de tout faux espoir.
Veux tu guérir ? Or, par cette question directe, Jésus  remet de la vie et du désir là où il n’y en avait plus.

La suite induit une démarche supplémentaire. En lui disant :  ‘lève-toi et marche’ . Jésus demande à l’infirme de participer à sa propre guérison. Le verbe utilisé en grec est celui de la résurrection, ce qui donne : ‘debout, ressuscite !’.
Va, vis, et deviens. Prends part à ta guérison : voilà le message de Jésus.
Il fait de cet homme paralysé un vis- à-vis, un être à part entière, lui qui avait été une personne entièrement à part. Pas de place  pour la pitié ni même pour la consolation.
Le Christ  fait le premier pas mais il ne fait pas tout. Il ne fait pas tout sans nous. Il lui dit : lève-toi et marche..
Enfin, il ne dit pas que ça.. j’ai oublié un autre verbe, non ?
Ah oui, voici ce qu’il  glisse : lève-toi, prends ta paillasse, ou encore : prends ton krabbaton , nous apprend le texte grec. Ouh la, on entend la misère dans cette sonorité.. Mais enfin, ça aussi, c’est  étonnant :  n’aurait-il pas aimé repartir sans rien, trop content de laisser derrière lui ce matelas pourri sur lequel il a été couché si longtemps ? Comment comprendre l’injonction de Jésus ? 

L’un des enfants de l’école biblique a fait cette belle suggestion : « peut-être que Jésus voulait  qu’il se souvienne de ce qui lui était arrivé ? « . En effet, la vie nouvelle offerte par le Christ à cet homme n’efface pas pour autant son histoire comme si par magie, rien ne s’était passé. Elle la prend en compte. Mais ce qui change, c’est que désormais cet infirme guéri va porter son histoire au lieu de la subir. Ce krabbaton qui lui a servi si longtemps de lit de misère, il va le prendre sous le bras aux yeux de tous, à travers les rues de la ville, comme le trophée de son salut !

Tel est l’humour de Dieu.  C’est comme s’il lui disait : change les rôles, ton lit t’a assez porté, à toi de t’en charger ! Cesse de subir,  tu vas pouvoir prendre ta vie et ton histoire en mains. Tu vas porter ton histoire pour en faire autre chose. Tu  n’es plus ‘au bord’  de la vie mais dans la vie. Ton passé n’est pas effacé mais assumé, dépassé, traversé.

Une autre façon de voir la vie attend cet homme relevé il y a 2000 ans, et nous attend, nous aussi, croyants du 21è siècle. Nous pourrions par exemple évangéliser la langue française – et les Français par la même occasion, qui , je vous le rappelle, sont les champions du pessimisme dans le monde. Ainsi, pourquoi donc disons -nous  « je vais subir une opération » ? Ne pourrait-on pas dire  : je vais bénéficier d’une opération ?

Le récit du paralysé de la piscine de Bethesda  nous ouvre encore bien d’autres réflexions encore. Les catéchumènes en ont relevé une cet après-midi : l’absence totale de solidarité. Plus encore : tous ces infirmes au bord du bassin  sont  dominés par une logique de rivalité que personne ne remet en question, pas même l’infirme a parfaitement intégré ce système :  je n’ai personne pour me plonger dans la piscine quand l’eau est agitée ; pendant que j’essaie d’y aller, un autre y descend avant moi. »

Nous sommes dans la compétition, dans le chacun pour soi -au prix de la solitude la plus effrayante – puisqu’il  s’agit d’arriver le premier dans l’eau quand celle-ci s’agite en tourbillons, pour être guéri. Impossible de s’entraider dans ces conditions-là. Quelle ironie, encore une fois : voici une course de vitesse imposée à ceux qui justement ne peuvent ni courir ni se lever, ou si difficilement… !!
Alors ? Jésus va briser cette logique impitoyable. Ainsi, il ne descendra pas le paralysé dans la piscine, il ne fera pas tourbillonner l’eau non plus et refusera de cautionner la loi du plus fort. Il invitera l’infirme à quitter le rivage de la rivalité et de la fatalité pour vivre une autre relation, non pas calculée mais ajustée à Dieu et aux autres. C’est  par la seule autorité de sa parole que Jésus va guérir l’homme infirme.

Lève-toi, prends ta paillasse et marche.. !
Ces paroles du Christ sont pour nous aussi. Quand les épreuves, les difficultés ou les obstacles nous  empêchent d’avancer, d’espérer ou de prendre des décisions, au point de nous ‘paralyser’ , Jésus nous encourage à nous lever et à faire confiance envers et contre toute espérance, pour
nous mettre en chemin, joyeux et plein de confiance, en marche vers la Vie.

Amen

Titia Es-SBANTI, prédication du  ‘samedi -caté’ du 16/01/21, temple du Mas des abeilles

Texte  biblique : Jean 5, 1-9

Après cela, il y eut une fête juive et Jésus monta à Jérusalem. Dans cette ville, il y a, près de la porte des Brebis, une piscine avec cinq galeries à colonnes ; on l’appelle en hébreu Bethsaïda.Dans ces galeries, une foule de malades, d’aveugles, de boiteux et de paralysés étaient couchés. Il y avait là un homme malade depuis 38 ans. Quand Jésus le vit étendu à terre et apprit qu’il était dans cet état depuis longtemps déjà, il lui demanda : « Veux-tu être guéri ? » Le malade lui répondit : « Seigneur, je n’ai personne pour me plonger dans la piscine quand l’eau est agitée ; pendant que j’essaie d’y aller, un autre y descend avant moi. » Jésus lui dit : « Lève-toi, prends ta paillasse et marche. » Aussitôt, l’homme fut guéri ; il prit sa paillasse et se mit à marcher…..

Séance de caté  : https://nimes-eglise-protestante-unie.fr/b-comme-boiteux/