Textes Bibliques : Psaume 19 ; Matthieu 15/21-28 ; Marc 10/13-16
« Les cieux proclament la gloire de Dieu » : Ainsi commence le Psaume 19 : comme une invite à l’émerveillement, comme un enseignement sur que ce qui nous dépasse à l’infini et nous ouvre à ce qui devant nous -mais si loin de nous-, dans un inatteignable, révèle à nos sens, à notre intuition intérieure ce qui fait l’importance, pour notre propre identité, de célébrer nous aussi, – nous, infimes petites créatures perdues dans une parcelle dérisoire de l’immensité des mondes – la gloire de Dieu ! Et pour que nul n’en ignore, le jour en parle au jour suivant et la nuit le proclame à la nuit qui suit. Ah ! Que ne savons-nous lire, déchiffrer, ce que le psalmiste et ses contemporains considérait comme une écriture particulière ; les messages que le ciel nous adresse.
Non, mes amis, ce n’est pas pour vous inviter à lire votre horoscope. Car ce que les cieux nous racontent, ce ne sont ni notre vie professionnelle, ni notre travail, ni nos amours, C’est la gloire de Dieu ! Laquelle, parfois, au cœur de nos quotidien pourrait sembler si lointaine et inatteignable que nous l’aurions oubliée, et avec elle, ce qui donne sens, saveur, goût, mouvement, à notre propre vie. Il s’agit de nous émerveiller et de recevoir une proclamation et un message de la part des cieux et de la voute étoilée parcourant la terre entière jusqu’au bout du monde. Comme un mouvement de grande ampleur au regard duquel toute activité humaine semble bien dérisoire. Et c’est précisément ce que veut souligner, en point de départ le psalmiste. Et pour nous signifier cela, pour se faire comprendre à nous, pas de discours, pas de mot, aucun son que nous puissions entendre.
Oui, mes Biens-Aimés, pour ce dimanche consacré à la Communication Radiophonique, pour ce dimanche où par le geste très concret de l’eau du baptême, nous manifestons notre espérance dans la vie vivante, pour Charles et Clément, invitant leur famille, parrains et marraines et invitant l’Eglise à leur parler dans les années qui viennent du sens de ce baptême, ne serions nous pas dans un paradoxe ou devant ce qui pourrait nous dérouter ?
Mais nous le savons, nous avons peut -être eu l’occasion d’en faire l’expérience, l’émerveillement, la contemplation, fut ce pour un bref moment (mais pour ne pas gâcher, il ne faut pas que ce soit trop bref), nous ouvrent à des réalités insoupçonnées et à une connaissance de nous même, bien au delà des mots et de la raison.
Tout de même, que serait notre vie humaine sans langage, sans mot, sans rien à entendre ou déchiffrer ? Une radio sans le son ? Le quotidien de Julie, Gautier, Charles et Clément sans la voix ? Sans code de langage par lesquels on se comprend ? Rien que l’émerveillement devant ce qui n’est pas nous, devant ce qui nous échappe. Il est toujours bon de rappeler que la liberté de nos vies nous vient de ce qui n’est pas nous, nous provient d’un Autre, qui échappe à toutes nos prises de possession, de contrôle !
Nous pouvons contempler, et pouvons vivre cela comme un don ! Ô ce ciel peuplé d’étoiles qui ouvre nos rêves, qui vient scintiller dans nos têtes ! Mais voilà mes Bien-Aimés, le Dieu qui se révèle dans la Bible n’est pas cela ! Ou plutôt, il n’a pas voulu se satisfaire de notre contemplation admirative et impuissante. Il n’a pas voulu non plus que son message soit une façon pour nous de penser qu’au regard de l’immensité, nous serions créatures dérisoires.
Alors, je veux vous raconter autre chose que ce dont les cieux et la voute étoilée nous parlent et nous attestent ! Le Dieu qui s’est manifesté à son peuple, aux rois aux prophètes, ce dont la Bible nous fait récit, tout en restant le Tout Autre, sur lequel on ne met pas la main. Il a voulu, a choisi de faire histoire avec nous, dans notre précarité. Et bien, j’apprends en lisant la Bible, que Dieu est venu plus près de nous encore, pour communiquer avec nous, pour exister par sa relation avec nous, pour cette relation, et pas forcément pour une relation qui se fasse à ses conditions, mais une relation avec nous, comme nous sommes : une relation d’amour, d’amour inconditionnel !
Pour ma part, en dehors de cela, comme croyant, comme prédicateur de la Bonne Nouvelle de Jésus de Nazareth, je ne connais rien, même pas la gloire racontée par la voute céleste ! Je vous invite donc à tourner vos regards non pas vers la magnificence des cieux, mais vers nous, ici sur la terre des humains, parfois belle et souriante, parfois chaotique et meurtrie.
Le récit de la femme cananéenne est un récit étonnant. J’ai toujours été choqué par ce récit de Jésus répondant d’abord négativement à la demande insistante de la femme en son désespoir. Sous prétexte qu’elle ne serait pas juive, pas du peuple de l’alliance. Mais, peut-être, me suis-je fait une image de Jésus, lui ai-je collé un mode d’emploi qu’il devrait appliquer pour correspondre à cette image. Peut-être donc me suis je inventé un Jésus qui n’est pas celui de la réalité ! Et vous courrez le même risque que moi ! Car, malgré les Ecritures, malgré nos efforts de laisser place à l’Esprit en nos cœurs, nous ne parlons de Dieu, nous ne disons Jésus-Christ qu’avec nos lunettes. Et il me paraît difficile qu’il en soit autrement.
Au fond, on pourrait dire que Jésus, en répondant dans un premier temps par la négative à la demande de la femme, essaie de se protéger, de rester dans une image toute faite, une parole réservée aux siens, ceux du peuple de l’Alliance, puisque d’une certaine manière ils sont les seuls à avoir les codes et l’histoire de la révélation et de la Parole que Dieu adresse aux humains dans l’histoire. Mais la femme le contraint à un dialogue, et Jésus accepte ce dialogue et se laisse transformer par ce dialogue. Il la laisse entrer dans son histoire : «les petits chiens mangent les miettes qui tombent de la table »
Etonnant dialogue où l’on voit Jésus se laisser remettre en cause et transformer par le dialogue avec la femme désespérée, mais qui a une foi-confiance exigeante en lui ! Et nous avons là sous nos yeux de lecteur, ou sous nos yeux si arrivons à développer le film virtuellement en nous, nous avons là comme un moment où par la force du dialogue, de l’échange, par une communication où se mêlent les paroles de la femme, le face -à- face en présentiel, de Jésus et de la femme, et la manifestation vibrante de la foi de la femme, foi que ses mots n’arrivent pas à exprimer à eux tout seuls, l’occasion de vivre en direct une conversion de Jésus, un changement qui vient jusqu’à nous pour nous interroger.
Je voudrais poser là une conviction et une piste ouverte à votre réflexion : la conviction, c’est que notre foi est dialogue avec Dieu, pas une simple obéissance ou une application obéissante de ce qui serait le catéchisme ou la bonne morale, mais un dialogue qui n’est pas écrit à l’avance et qui se déroule au jour le jour (et la nuit la nuit) dans une mutualité, car telle est la relation en vérité que Dieu nous offre au cœur même de notre conscience. Un dialogue exigeant où Dieu se laisse parfois convaincre. Et nous disons pour cela que la foi n’est pas ou pas seulement un credo, mais une rencontre, qui nous bouleverse comme elle bouleverse Dieu. L’Eglise, c’est ce lieu admirable où nous pouvons nourrir ce dialogue, cette relation, nous aider mutuellement à discerner ce qu’une Parole vivante nous dit à chacun personnellement, et à tous collectivement. Et que nous soyons parfois en décalé, ou différents dans nos approches, ne signifie nullement que l’un aurait la bonne foi et l’autre la mauvaise, que l’un serait hérétique dans l’erreur et l’autre orthodoxe dans la vérité.
La piste ouverte, ce serait d’ouvrir un parallèle : la femme cananéenne pousse Jésus à casser les codes, à sortir d’un groupe, à franchir la clôture. Les Eglises, les chrétiens, à mon sens, doivent oser non pas abolir les identités, mais refuser que ces identités nous enferment et rendent impossible les échanges, les partages. Les chrétiens ne sont pas propriétaires de la Parole de Dieu et ils n’en ont pas l’exclusivité. Si je crois à cet Evangile qui libère, c’est qu’il m’interdit de considérer que la gloire, la bonté de Dieu, et son amour, puissent être la chasse gardée des seuls chrétiens et de leurs Eglises.
Il y a donc dans la vie comme elle se vit chaque jour des hommes et des femmes, et des enfants qui vivent (moi je le dis ainsi, mais beaucoup en seraient fort étonnés et crieraient à la « récupération »)… qui vivent devant Dieu et sont portés par son amour, et peuvent être une des formes par lesquelles Dieu agit dans l’histoire des humains.
Un peu comme le message qui parcourt la terre entière dans le Psaume 19. Ainsi, quand Radio Alliance+ se définit comme Radio de culture protestante, elle ne cherche pas à avoir uniquement des émissions qui parlent de la foi, de la Bible, de la spiritualité. On parle de la musique (ou on l’écoute même), de toutes les formes de culture, des engagements des gens au travers des associations, de leur métier, de leur vie humaine. Et quand l’agir humain, avec nos langages limités, nos actions maladroites, aide la vie, ouvre au rapport avec les autres, nous invite à nous intéresser à autre chose que nous mêmes, c’est selon ma lecture de l’Evangile, selon ma propre façon de vivre devant Dieu et avec mes contemporains, c’est là, dans les mouvements et les rythmes de nos vies en société que se manifeste la gloire de Dieu, ce Dieu qui s’est fait homme, ce Dieu qui nous veut pour partenaires de la création.
Car je crois que le Royaume de Dieu vient, se rend déjà présent quand une parole, un geste, une action, viennent apporter de la beauté et de la tendresse, du don et du pardon sur la terre des humains. Il y a un témoignage d’un agir du souffle de Dieu quand comme pour la fille de la cananéenne, la vie reprend sa beauté et nous éloigne de la tragédie ou de la tragi-comédie humaines. Et par sa diversité, la radio nous parle de cette vie- là. Et par nos cheminements, nous sommes invités à vivre sans crainte dans ce monde où Clément et Charles sont appelés à grandir.
Et j’en arrive à la fin du déroulement de mon propos. Après le récit de la femme cananéenne, le récit de l’Evangile de Marc vient aussi nous dire combien Dieu ne se contente pas de la gloire que chantent en son honneur les vastes cieux. Avec ce « laissez venir à moi les enfants », on a une nouvelle manifestation de cette haie qu’il faut franchir, de ce refus des cercles clos où l’on se conforme aux étiquettes, aux protocoles déjà établis, avec chacun à sa place, et la hiérarchie pour approcher du Maître. Les enfants ne sont pas uniquement « le monde de demain », on ne peut pas les réduire à cela, même s’il est bon de les aider à acquérir sans les y asservir les codes et les apprentissages nécessaires. Et de ce point de vue, Julie et Gautier, en demandant le baptême pour Charles et Clément, ont fait écho à l’invitation de Jésus. Du temps de Jésus, comme aujourd’hui on veut protéger les enfants de ce qui se passe dans le monde des grands. Sur certains points, on avait et on a toujours raison. Mais l’erreur que Jésus dénonce, c’est de considérer les enfants comme une terre non défrichée et qu’il faudrait préserver comme telle jusqu’à ce qu’ils devienne grands. Ainsi, tient-on communément à distance les enfants des idées, des opinions, et surtout en matière de religion. Ils ne sont pas prêts. Ils choisiront plus tard. Et il faudrait donc les laisser à distance, sans leur donner l’occasion de se confronter quitte à tâtonner, mais aussi pourquoi pas à s’enthousiasmer des possibilités de la belle rencontre avec Jésus.
C’est l’idée que, pour faire des choix, il faut laisser les gens livrés à eux mêmes dès lors qu’ils auront plus tard leur pleine conscience, mais avant il faudrait les tenir à distance de tout ce qui pourrait les influencer ou les altérer. Mais comment découvrir le monde des humains, dont les enfants font déjà partie, si on ampute la vie de tout ce qui peut être transmis, partagé, expérimenté ?
C’est croire que nous vivons dans un monde sans histoire, que chaque génération aurait à se construire comme surgissant du néant ! Pour le coup, c’est le néant et son chaos, ainsi que l’absence de liberté, qui les guette s’ils n’ont pas la possibilité de recevoir. Ce serait croire que chaque être humain vient de nulle part et devient son propre créateur. On risque à cette aune là de créer des pré-formatés et nos pas des adultes, qui comme nous tâtonnerons, hésiterons et oserons, qui vivront leurs peurs et leurs audaces…
Ce que je sais, c’est que nous ne venons pas de nulle part et que notre liberté, c’est d’accepter ou refuser de recevoir un héritage, encore faut-il que l’héritage soit transmis. Et puis, je le crois l’enseignement de Jésus, ce ne sont pas que des paroles ou du catéchisme, c’est ce mouvement qui parfois a besoin de mots, de gestes, de signes, mais qui est aussi langage muet que l’on ressent, et dont on se nourrit, et ça s’appelle l’amour. Et si nous croyons que la foi est d’abord l’expérience d’une rencontre, du témoignage d’un amour gratuit, inconditionnel, qui est immense et nous fait grandir, alors il nous faut entendre la remarque forte de Jésus.
Mais il y a une suite : « celui qui ne reçoit pas le règne de Dieu comme un enfant ne pourra pas y entrer ». Là où on se méfie de la turbulence, de l’inconstance ou de l’insouciance des enfants, Jésus interroge les adultes sur qu’il y aurait de vraiment sérieux et fiable dans le monde dont ils établissent ou subissent les règles en feignant de les organiser.
Recevoir le Règne de Dieu comme un enfant ! Oh, il ne s’agit nullement de croire que l’enfance est plus pure ou vierge que le monde des adultes (lesquels par le nombre de leurs années ont eu plus de temps pour pécher). Non, il s’agit plutôt de l’élan de confiance qui ne vient pas se laisser briser par nos méfiances, nos rancoeurs, nos désillusions amères, nos certitudes toutes fabriquées. Il s’agit peut être aussi de l’élan de curiosité que ne vient pas émousser l’habitude du déjà vu du déjà connu des gens blasés et gavés. Soif et curiosité de comprendre, soif et exigence de découvrir, sentiment qu’on ne sait pas encore tout et qu’il reste tout à apprendre. Peut-être enfin cette fragilité que les grands n’osent plus s’avouer puisque tout s’évalue à la force et la puissance.Et aussi cette chance de pouvoir encore rêver et refaire le monde !
Un beau programme d’aventure pour Clément et Charles. Et un vœu pour que la radio et ses producteurs gardent au cœur cette soif brulante jamais assouvie de contribuer à la création/créativité qui fait vivre, dans l’incertitude, la passion, la capacité d’émerveillement.
Alors nous retrouverons les accents du Psaume 8 : « Mieux que par les cieux, ta gloire est chanter par la bouche des tout petits » . Calvin disait que les meilleurs avocats de Dieu sont les enfançons qui têtent à la mamelle et qui n’ont pas conscience de leur langage. Ce sera pour une autre fois.
Que dans nos balbutiements, nos paroles hésitantes, nos cheminements jamais écrits d’avance, s’ouvre le témoignage de ce qui rend présent dans nos vies la gloire de Dieu, témoignage plus beau et plus vrai que dans les certitudes assénées de gens déjà enfermées dans leur monde clos.
Amen !
Pasteur Jean-Christophe Muller, Culte du 26/09/21
Temple de l’Oratoire