« Il ne nous suit pas ! « (Marc 9, 38) Prédication du pasteur Jean-Luc BLANC, mars 2018- Nîmes
« Il ne nous suit pas, mais… il n’est pas contre nous… »
Jésus se méfiait assez facilement de certains de ceux qui le suivaient et l’épisode des Rameaux confirme, si besoin était, qu’il avait raison. En effet, de tous ceux qui ont crié Hosanna en ce jour, bien peu étaient au pied de la croix quelques jours plus tard et, on n’est pas sûrs que ce ne soient pas les mêmes qui aient crié « Crucifie » à Pilate quelques jours plus tard ! Chaque année, nous le répétons en ce jour des rameaux, la foule se trompait sur Jésus ! Elle ne le suivait pas pour les bonnes raisons ! Elle voulait un chef politique ou religieux alors que lui n’entendait pas l’être. D’où sa déception et son abandon quelques jours plus tard. Et si ceux qui comprennent Jésus n’étaient pas toujours ceux qui le suivent (et vice versa ) ?
C’est pour méditer sur cette question que j’ai choisi ce passage de Marc : « Il ne nous suit pas », disent les disciples. « Il n’est pas contre nous… », rajoute Jésus ! Et si, finalement, ce n’étaient pas toujours ceux qui nous suivent qui ont raison… ?
Ce texte de l’Evangile évoque pour moi tous ceux qui, sans se dire chrétiens, se réclament quand -même de Jésus et le suivent. Ces croyants un peu étranges à nos yeux protestants sont plus nombreux qu’on ne le croit. Il y a des non croyants qui prennent Jésus pour modèle de moralité et d’éthique, on en connais tous. Mais il y a aussi surtout des « croyants autres » qui agissent en son nom d’une manière peut être incompréhensible, en tous cas inhabituelle, pour nous. Dans le monde musulman, ils se comptent par dizaines de milliers si j’en crois une étude récente. Ecoutez ce qu’écrit un nommé Mahazar Malouhi qui se définit comme « musulman disciple du Christ » et quand il parle de Jésus, il précise bien qu’il s’agit du Jésus de l’Evangile et pas seulement de celui du Coran : « J’ai été imbibé d’Islam au travers du lait de ma mère… Il a été le berceau qui m’a recueilli jusqu’à ce que je trouve Christ. L’Islam est ma mère. Tu ne peux pas éveiller quelqu’un en lui disant que sa mère est répugnante ! » et de continuer : « Est-ce que nous ne serions pas libres de suivre Christ sans être forcés d’adopter deux mille ans de culture religieuse occidentale ? Comment quelqu’un du dehors peut-il avoir une idée de l’impact de nos pratiques sur nos cœurs ? Si nous disons que nos pratiques religieuses n’annulent pas ce qui est dans nos cœurs, comment d’autres peuvent-ils nier la vérité de notre foi ? ». J’ai eu l’occasion de rencontrer ainsi un certain nombre de ces musulmans qui se disent « musulmans attachés à Jésus -Christ », des gens « qui ne nous suivent pas », mais qui chassent des démons, démons de la haine, de la division en son nom. Dans un des derniers numéros de feu le journal Mission qui était le magazine du Defap, un autre musulman, un de mes amis, écrivait : « Jésus auquel je m’attache en tant que musulman pratiquant est bien ce Jésus parole de paix et d’amour dont la main est en permanence posée sur la tête des démunis, des exclus, de ceux qui pleurent leur souffrance dans la solitude ». Un autre qui ne nous suit pas mais qui n’est pas contre nous… « Celui qui n’est pas contre nous est pour nous »… disait Jésus.
Mais, avant d’aller trop vite vers des conclusions, revenons en à ce texte de l’Evangile qui nous aidera à préciser notre position par rapport à ceux qui ne nous suivent pas sans pour autant être contre nous. Commençons par essayer de comprendre pourquoi les disciples s’offusquent de cet exercice illégal de la libération. Peut -être que celui qui était certainement un exorciste professionnel abusait du nom de Jésus. Il avait peut être appris que l’on pouvait l’utiliser avec succès pour exorciser des gens, et comme c’était son gagne-pain, pourquoi s’en priverait-il ? Nous ne connaissons pas les sentiments qu’il avait envers Jésus. Il était certainement rempli d’un respect plus ou moins superstitieux à son égard. En tout cas, ces sentiments ne l’avaient pas conduit à suivre Jésus et son groupe de disciples. Il y aurait peut être perdu son gagne-pain, car les disciples de Jésus ne percevaient pas d’argent. Pour les disciples, très légitimement, se servir du nom de Jésus de cette manière, sans le suivre, va à l’encontre de tout ce qu’ils ont compris de l’enseignement de leur maître. Cela ressemble à de la superstition, mais pas à de la foi ! Jean paraît donc avoir pour lui l’enseignement de Jésus : ce qui est important c’est de le suivre, pas de faire des miracles ! Mais, il y a un détail qui change tout… Jean a vu ce que cet homme ne faisait pas (c’est à dire suivre Jésus), mais il n’a pas vu l’importance de ce qu’il faisait : chasser les démons ! C’est le fonctionnement propre des pharisiens : régulièrement, ils ne voient pas les gens que Jésus guérit, ils ne voient pas leur souffrance ni leur joie au moment de la guérison. Ils voient juste le fait que la guérison a lieu le jour du Sabbat et que Jésus ne respecte pas la loi. Les disciples font la même chose : ils voient ce que cet homme ne fait pas, mais pas ce qu’il fait.
Un autre élément intéressant de ce texte est le nous employé par Jean. Il ne reproche pas à cet homme de ne pas suivre Jésus , mais de ne pas suivre la communauté. Il ne dit pas « il ne te suit pas », mais il ne « nous » suit pas…. Son problème est qu’il ne fait pas partie de la communauté. Nous retrouvons l’argumentation de Malouhi que je viens de citer et qui se dit disciple de Jésus tout en se situant hors de l’institution ecclésiale.
On voit bien ici les tentations qui menacent l’Eglise, au moment où Marc rédige son Evangile, alors qu’elle est encore en germe . Elle veut tracer des frontières, et surtout se donner les moyens de déterminer qui a le droit de faire ceci ou cela en prétendant que son action ne saurait s’exercer que par les canaux prévus. Marc dans son Évangile réagit à cette tendance et insiste sur le fait que Jésus a voulu laisser la frontière entre les 12 et les autres, entre l’Eglise et le monde, floue. On ne sait jamais très bien où est l’Eglise car seule importe la question de savoir où est Jésus et qui il est. En fait, l’Eglise n’est pas définie par des frontières, mais par un centre !
Malheureusement, nous avons toujours de la difficulté à entendre ces paroles de Jésus, peut être même plus que Jean. L’Eglise accepte finalement assez facilement les critiques de ceux de l’intérieur. Mais c’est toujours plus difficile d’accepter et de reconnaître que certains qui sont à l’extérieur ont raison et surtout que l’Evangile leur donne raison contre notre Eglise ! Oui, dans certains cas, des mouvements politiques travaillent à la libération des peuples que l’Eglise ; oui, certains psychologues ou psychanalystes savent mieux écouter la souffrance de nos contemporains que certaines de nos Eglises. Oui, certains groupes que nous appellerions assez facilement sectes savent mieux accueillir les petits de notre monde que l’Eglise ; oui, la piété de certains musulmans ou de certains bouddhistes est bien plus forte que celle du protestant moyen…Et alors ? Ils ne nous suivent pas, mais sont -ils vraiment contre nous ? Oserons nous dire avec Jésus : « s’ils ne sont pas contre nous, c’est qu’ils sont avec nous » ? A la lumière de ce texte de l’Evangile, il me paraît important que l’Eglise laisse agir les hommes qui, sans être « avec nous » sont cependant dans une relation sympathique avec nous. Il y a dehors de l’Eglise des amis de l’Évangile. Les tolérer ne signifie pas mépriser le nom et l’œuvre de Jésus, mais mettre en pratique ce qu’il nous enseigne… Les Églises ultra minoritaires dans les pays musulmans hindouistes ou bouddhistes, le savent bien et pourraient inspirer la réflexion de nos Églises, elles-mêmes de plus en plus confrontées à d’autres manières de croire. Amen