De grandes foules le suivirent …(Mat 4, 25). A la vue des foules, Jésus monta dans la montagne. Il s’assit, et ses disciples s’approchèrent de lui. (Mat 5, 1). Et, prenant la parole, il les enseignait : Heureux ceux qui ….(Mat 5, 3)
C’est vous qui êtes le sel de la terre. Mais si le sel devient fade, avec quoi le salera-t-on ? (Mat 5, 13)
C’est vous qui êtes la lumière du monde.. Que votre lumière brille ainsi devant les gens, afin qu’ils voient vos belles œuvres et glorifient votre Père qui est dans les cieux. (Mat 5, 16). Vous donc, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait . (Mat 5, 48)
Et chez Luc : Descendant avec les douze, Jésus « s’arrêta sur un endroit plat avec une grande foule de ses disciples et une grande multitude du peuple ... (Luc 6, 17). Ils étaient venus pour l’entendre et se faire guérir de leurs maladies …et toute la foule cherchait à le toucher, parce qu’une force sortait de lui et les guérissait tous. (Luc 6, 18-19)
Alors, levant les yeux sur ses disciples, Jésus dit : « Heureux, vous … (Luc 6, 20). Soyez pleins de bonté comme votre Père est plein de bonté. (Luc 6, 36)
Biens-Aimé-e-s, pour entrer dans notre travail d’Assemblée Générale Ordinaire, je voudrais esquisser quelques éléments pour éclairer non pas nos travaux mais le cours de notre cheminement ensemble, alors que nous faisons étape ce matin.
Il nous faut nous interroger sur une absence dans le récit de Matthieu et de Luc, celle de l’Eglise ! Enfin, plutôt qu’une absence : une présence en creux. Jésus, quand il prêche, ne prêche jamais l’Eglise mais le Royaume des cieux, celui qui vient et qui déjà par sa bouche se manifeste, se rend présent !
Présence en creux puisqu’il est question des disciples.
Chez Luc comme chez Matthieu quand commence la prédication de Jésus, dans la Plaine pour l’un, sur la Montagne pour l’autre, Jésus vient de recruter les Douze, petit groupe de bric et de broc qui ne valent pas plus cher que d’aucuns d’entre nous ici ce matin, mais dont la tradition fait le socle de légitimité de l’histoire de la grande Fraternité des témoins de l’Evangile. Mais cela vient être brouillé d’emblée par l’idée qu’il y a en fait déjà beaucoup plus de disciples, d’adeptes, que douze puisque Luc évoque « une grande foule de disciples ».
Et puis, même si on nous dit que « Jésus -ouvrant la bouche- lève les yeux sur ses disciples » (Luc) ou qu’une fois Jésus assis, « ses disciples s’approchent de lui » (Matthieu), les foules ne sont pas mises à l’écart, elles sont toujours là.
L’Eglise se dessine en creux dans le récit par la scénographie, par les images qui se superposent en faisant lecture confrontée et complémentaire des deux récits de Luc et Matthieu.
Les Douze, la foule des disciples et les foules ou la multitude ! Aucun de ces termes ne sauraient l’emporter sur l’autre, ils sont là comme pour nous indiquer que notre souci de cloisonner, de catégoriser, de nous identifier, a toujours quelque chose de dérisoire ou d’inabouti.
L’Eglise, c’est quand la Parole est « droitement prêchée » proclameront les Réformateurs. Et qui peut le mieux précher «droitement » sinon Jésus lui-même !
Dans les récits d’aujourd’hui, ce qui fait Eglise, ce ne sont ni les Douze, ni les disciples en nombre, ni la foule, c’est que Jésus parle, c’est qu’on l’écoute faisant cercle autour de lui.
Et c’est à cette assemblée protéiforme difficilement caractérisable dans les origines de chacun, dans les attentes de chacun (il n’est que de reprendre les esquisses que Jésus utilise pour inviter ses interlocuteurs en reprenant les Béatitudes : ceux qui sont doux, ceux qui pleurent, ceux qui ont faim et soif…), c’est à cette assemblée qu’il proclame : « C’est vous qui êtes le sel de la terre… » « C’est vous qui êtes la lumière du monde.. ; »
Le sel qui donne et soutient la saveur, la lumière qui éclaire au cœur de l’obscurité !
Une lecture piétiste dirait que ne sont sel et lumière que ceux qui reprennent les réponses de Jésus, que ceux qui se font écho de sa Bonne Nouvelle ! Et les suites du sermon sur la Montagne pourraient partiellement laisser croire qu’ils ont raison. Je ne me défais pas de cette piste qui atteste de la Bonne Nouvelle.
Cependant, si j’en restais là, j’aurai le sentiment de me substituer à Jésus, le sentiment de considérer que l’Eglise en train de se faire sous mes yeux, ce sont ceux qui sont disciples, et j’exclus de la scénographie la majeure partie des auditeurs dont le récit fait mention.
Alors, je reprends : si l’Eglise, c’est quand la Parole est droitement prêchée, il faut que je reçoive et comprenne le « Vous » autrement, non par la réponse que fait l’être humain qui s’engage dans l’Eglise comme dans une aventure hasardeuse et souvent exténuante.
Dans ce cas-là, en reprenant le « catalogue » des Béatitudes, j’oserai pointer ceci : et si on était sel de la terre ou lumière du monde par nos manques, par nos attentes, par ce qui nous pousse à venir faire cercle autour de Jésus. « Vous, qui êtes là, tels que vous êtes, tels que je vous aime, que j’invite à l’aventure de la vie ».
Il nous faut alors concevoir un discours et un auditoire qui ne peut s’enclore, se limiter à une seule image. Il nous fait sans cesse faire le chemin qui nous mène des questions initiales multiformes de ces foules, de leur soif, de leurs attentes, de leurs infirmités physiques, mentales, spirituelles, sociologiques ou identitaires, nous fait traverser au fil des paroles de Jésus un chemin qui transforme chacun de nous (de l’auditoire de ceux qui étaient en Live à nous aujourd’hui qui nous mettons nous aussi à l’écoute/lecture des paroles de Jésus) pour nous inviter à une vie renouvelée par la venue du Royaume, celui qui vient, celui qui est déjà là. Et nous comprenons que c’est un Royaume où s’estompent les frontières, les catégories, les étiquettes : nul ne peut déterminer les limites de l’Eglise que le Seigneur s’est choisie.
A celles et ceux qui sont là, à l’écoute, dans le manque, dans le cri de la soif et de la faim, cri toujours maladroit, mal formulé, jamais pur, jamais correct, ni dénué de l’intérêt propre ou de la vision partielle de chacun, Jésus proclame : « vous serez donc parfaits, comme votre Père céleste est parfait !
Et là, mes Bien Aimé-e-s, je pâlis, je tremble ! Quelle injonction soudaine qui me met au pied du mur si je la prends à la lettre, qui me met la pression, qui me pose devant l’inatteignable ! Assurément, il y a comme un impératif mais ce futur «vous serez » est aussi une promesse, dont la réalisation ne peut venir que de l’agir de Dieu dans notre vie et non pas par les mérites que nous nous échinerions à produire pour devenir parfaits. Luc au demeurant pose une formule semblable mais différente : « vous serez miséricordieux » ou « pleins de bonté » ! Ce qui n’est pas beaucoup plus facile à réaliser que l’accomplissement !
Vous serez parfaits, vous serez pleins de bonté : voilà un impératif qui est en fait une invitation, un appel et une promesse. La réalité de nos vies est là, devant nous, imparfaite, frustrante, parfois injuste et implacable : et la vraie vie se découvrira peu à peu quand le Royaume s’établira parmi nous, au cœur de la vie du monde, par la proclamation de la Bonne Nouvelle en parole et en actes, ce grand renversement qui a lieu, partiellement, souvent à notre insu, dans nos vies comme dans la vie du monde.
Ce matin, nous voilà avec nos limites, nos soucis immédiats et bien réels, soucis pour nous mêmes et nos proches, soucis pour notre Eglise et son visage immédiat, soucis pour notre cité, note département, notre région, notre monde. Pourtant cette réalité qui peut sembler comme un mur infranchissable n’est que première.
Il en est une autre : la réalité qui est en Dieu, grande ouverte comme une promesse qui nous élève au dessus de nous-mêmes : le Royaume qui vient, à la préparation duquel nos modestes et misérables efforts, qui sont aussi admirables et louables, contribuent sans que nous en ayons pleine et entière conscience.
Nous savons que la Bonté de Dieu est bien plus grande et plus forte que toutes les limites de nos existences.
Amen
Jean -Christophe MULLER
Prédication donnée à l’occasion du culte ouvrant l’assemblée générale du 27 juin 2021 : « Quelques paroles et une scénographie pour l’Eglise d’hier, d’aujourd’hui et de demain «