Une mangeoire qui clignote

Une mangeoire en guise de berceau ? Pour un Roi et Seigneur, quel culot ! Avec l’Evangile de Luc ,on passe des anges du ciel à la terre, du spectaculaire à l’ordinaire, du merveilleux à la sobriété  : oui, c’est un drôle de faire -part de naissance que de nous annoncer que  le roi du monde naît au ras du sol ! Ce qui me frappe toujours c’est de voir à quel point la tradition chrétienne a intégré cette donnée, comme si ça allait de soi, comme s’il n’y avait rien de choquant.. Car depuis 2000 ans nous chantons la royauté absolue du Christ. Les mots participent d’ailleurs à cette représentation : les parents disent à leurs enfants : « venez, on va faire la crèche» et non pas : ‘venez, on va faire la mangeoire  »
Avec le temps, avec la tradition, le folklore, notre inconscient collectif s’est forgé une scène d’ allure fort sympathique avec des visiteurs admirateurs en tous genres et des animaux pourtant absents du récit biblique..En fait, la représentation de la Nativité a été tellement enjolivée qu’elle a écarté  l’idée que cette naissance puisse avoir quelque chose de choquant, ou de scandaleux.
Imaginez la scène aujourd’hui : on vous fait visiter une étable, et vous tombez nez à nez sur un nouveau -né installé dans une mangeoire, parents assis à ses cotés. Que feriez-vous ?  « Il y a de fortes chances, me dit un jour un ami travailleur social, que par compassion j’appelle les services sociaux pour venir aider cette famille dans le besoin… »
Et pourtant, on admire, on s’extasie.. Cette naissance qui respire pourtant la précarité, on trouve ça beau, adorable, émouvant. La scène a même été sacralisée au cours de l’histoire de l’Eglise : ainsi, la tradition catholique parlera de  la « Sainte crèche » . Les protestants quant à eux, n’aiment pas trop la sainteté,mais cela ne les empêchera pas  de chanter à plein poumons que non seulement le fils de Dieu mais son étable, sa paille et sa mangeoire sont adorables..
Tout cela n’est-il pas un peu exagéré ? La Nativité rapportée par  l’évangéliste Matthieu, est plus « clean » : il fait naitre  l’enfant dans une maison, point barre. Pas d’autre précision : ni pauvreté ni étable. C’est propre et ça brille grâce aux   coffrets- cadeaux des mages. Mais alors, me direz -vous, pourquoi  faire naître Jésus dans une mangeoire ? Pour nous faire parler », me dira un grand-père cévenol.  Et bien c’est réussi !
Plus sérieusement : Si on regarde le récit de plus près, on constatera que ses parents auraient bien aimé un meilleur atterrissage, mais que Marie accouche de son fils 1er né , l’emmaillotte et le  dépose  dans une mangeoire parce qu’il n’y avait pas de place pour eux dans la salle des voyageurs. Voilà la première explication : toute la ville, les hôtels, les centres d’hébergements, tout le monde affiche « complet ». Même à une femme enceinte sur le point d’accoucher. La naissance de Jésus, loin du confort,  des lumières et des projecteurs,  s’inscrit dans  cette sentence : « Pas de place pour accueillir  le Fils de Dieu ». Le monde ne veut pas de lui. Voilà un premier message, un premier clignotant : ce petit enfant, à peine né, n’est déjà pas le bienvenu, et laissé dehors. En réalité, cet enfant est de trop.
Cet enfant appelé Prince de la paix, Sauveur et Seigneur n’est pas né dans un palais parce qu’il ne vient pas pour dominer mais pour servir. Il ne vient pas pour régner mais pour rayonner. Cet enfant sera toujours en décalage par rapport au monde,  il sera « un signe de contradiction aux yeux de tous» affirmera devant ses parents  le vieux Siméon en le tenant huit jours plus tard dans ses bras dans le temple de Jérusalem.
Il y a autre chose : Marie aurait pu poser l’enfant contre elle, le blottir dans des couvertures. Le fait de le déposer dans une mangeoire est aussi un clignotant de la part de l’évangéliste Luc pour attirer l’attention , celle des bergers d’abord : en effet, un nouveau né qui nait dans une mangeoire, ça leur parle. C’est comme s’ils nous disaient :  » Vous ne comprenez donc pas ? Pour nous bergers, c’est clair, la mangeoire c’est notre outil de travail, c’est notre vie de tous les jours, on ne connaît que ça ! 
Oui, voilà qu’avec une auge, Dieu se manifeste au coeur du quotidien des humains, dans ce qu’il y a de plus familier. 

Finalement, avec  l’évangéliste Luc, nous avons un bon décodeur : qu’est ce que le nouveau-né nommé Jésus, posé dans une mangeoire pourrait  signifier sinon qu’il EST nourriture pour le monde et que sa vie toute entière nourrira la foi de tous ceux qui se tourneront vers lui ?
Dans ce récit biblique, rien n’est  laissé au hasard, il n’ y a que des clignotants :  en effet,  Bethléem, en hébreu, signifie « maison du pain ». De là à dire  que Jésus est né dans une  boulangerie,  il n’y a qu’un pas que j’ai bien envie de franchir en ce jour de Noël !
Souvenez -vous que 30 ans plus tard, Jésus enseignera ses disciples à prier. Et cette prière pourrait se résumer à deux formules : NOTRE Père et NOTRE pain.

Amen

Titia Es-Sbanti

extraits du culte de Noël 2024, Saint -Césaire – Nîmes.