Sobre comme un chameau

Ils sont trois à nous rapporter cette rencontre entre Jésus et l’homme riche, chacun à sa façon :Matthieu, Marc et Luc. Matthieu mentionne que l’homme était jeune, Luc nous dit que c’était un notable et Marc raconte qu’il arrive vers Jésus en courant. Si on additionne tout cela, on obtient: un homme  jeune, riche, bien placé et pro-actif. Un bon profil pour rejoindre le réseau mondial Linkedln si celui ci avait existé à cette époque. Sans oublier une dernière qualité à ce jeune cadre dynamique et sympathique : c’est un croyant très pratiquant.
Bref, d’une certaine façon, il a tout pour lui : une vie matériellement confortable, la réussite sociale, la jeunesse, et même la foi !  Apparemment, il n’est pas malade,  tout va bien pour lui.

Pourtant, en voyant passer Jésus sur sa route, il se précipite vers lui. Visiblement, quelque chose le préoccupe, l’inquiète, le tourmente. Et il pense que Jésus va pouvoir lui répondre. Notez qu’il lui faut la réponse tout de suite. Il est pressé, ce jeune homme (le temps c’est de l’argent !).Voici la question : «Que dois-JE faire pour avoir la vie éternelle ? » Traduisons en français courant : Que faire pour réussir ma vie jusqu’au bout,une vie bonne qui n’aurait pas de fin,une assurance-vie avec Dieu ? Jésus lui rappelle d’abord quelques commandements du Décalogue.
Réponse du jeune homme (en français courant):  »yes Sir, tout cela je le fais déjà, je te l’ai dit : je suis pratiquant !  »

Il est sincère cet homme mais son problème, c’est qu’il est un peu trop sûr de lui. Alors, en réponse à sa certitude bétonnée, Jésus se fait provocateur, comme pour l’emmener plus loin :  »Vends tout ce que tu as et donne le aux pauvres, puis suis -moi  ».
Ah aïe, Jésus appuie là où ça fait mal ! Le jeune homme ne sait plus quoi dire.Il est sidéré, sans voix. Comment Jésus peut-il lui demander une chose pareille ? Son visage se décompose : et le voilà tout triste,parce que – précise l’évangéliste Marc – il possédait beaucoup de biens.

En grec, « riche » se dit être plein. Cet homme est dans un « trop plein ». Et ce qui est grave dans le plein, c’est qu’il n’ y a plus de place pour quelque chose qui pourrait venir d’ailleurs, plus de place pour quelqu’un d’autre. Pour bien se faire comprendre auprès du jeune homme, Jésus va utiliser l’exagération, en s’adressant à ses disciples abasourdis qui ont assisté à  toute la scène : «il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le Royaume de Dieu..»
Drôle d’expression, vous ne trouvez pas ? Jésus nous inviterait-il à une cure d’amaigrissement ? On a essayé de comprendre avec les enfants  cet après-midi le sens de cette parole…

Ce qui pose problème dans la demande du jeune homme riche, ce sont deux verbes :  »Que dois je faire pour avoir   la vie éternelle ?  »  Et de préciser  :  »Bon maitre, en s’adressant à Jésus, comme si c’était une valeur ajoutée. Quand on commence ainsi, c’est qu’on veut obtenir quelque chose.  En réponse, Jésus l’envoie littéralement promener :  »pourquoi tu m’appelles-tu bon ? Personne n’est bon sinon Dieu  ». Sous entendu, personne ne peut rien faire par lui-même.Tiens, cela aurait pu constituer un 11ème commandement, vous ne trouvez pas : «Devant Dieu, tu ne fayoteras pas».

Ce qui pose question c’est aussi que cette vie éternelle, cette vie  »plus plus » que le jeune homme souhaite , il la désire pour  lui-même :  » Que dois –JE  faire pour obtenir cela ?  » Il aimerait une sorte de passeport pour le monde à venir, un laisser passer individualisé, avec code et mot de passe. La réponse de Jésus ne se fait pas attendre : VENDS TOUT CE QUE TU AS et DONNE LE AUX PAUVRES, PUIS VIENS ET SUIS -MOI !

Par la démesure de sa réplique, Jésus pousse notre jeune homme à prendre conscience que sa demande est une énormité spirituelle. Aussi énorme qu’un chameau – l’animal le plus grand que l’on connaisse en ce temps-là. Jésus ne condamne pas la richesse en tant que telle mais ce qui se passe lorsqu’elle devient un obstacle entre les autres et nous-mêmes et nous empêche de vivre de la grâce seule de Dieu.
Le jeune cadre dynamique et sympathique aspirait à l’acquisition d’une valeur ajoutée à sa liste d’actions, et voilà que Jésus lui dit en quelque sorte : ce qui te manque, c’est de manquer ! Jésus lui donne la possibilité de reconnaître et d’accueillir ses manques, ses propres vides, plutôt que de faire l’étalage de ses réussites spirituelles ou de compter sur ses propres efforts.
Mais le jeune homme ne saisira pas cette invitation. Il est très moderne, finalement, cet homme. Car la promesse du monde d’aujourd’hui,c’est qu’en définitive
tout dépend de nous, c’est que notre vie est uniquement entre nos mains,et que nous sommes notre propre sauveur.

« Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu…..» Pour certains biblistes, l’expression utilisée par Jésus ferait allusion à l’existence d’une porte basse et étroite dans les remparts de Jérusalem, surnommée le « trou de l’aiguille» en raison de sa petite taille. Les chameaux ne pouvaient y passer qu’en se défaisant de toutes leurs charges.Voilà une image qui, même si elle n’est pas attestée par tous, nous éclaire utilement. Voici : non pas rien n’est possible à celui qui a trop d’argent, mais : rien n’est impossible à celui qui se présente à Dieu les mains ouvertes.
Ainsi, de même que les caravaniers sont obligés de faire s’agenouiller les chameaux, et de les décharger de leurs marchandises pour passer par la porte du Trou de l’Aiguille, de même les riches, s’ils acceptent humblement de s’agenouiller devant Dieu et de se décharger de leur « trop plein » pourront entrer dans le Royaume de Dieu.
Vous vous rappelez qu’au début de l’histoire, notre jeune cadre dynamique est tombé à genoux devant Jésus en accourant vers lui : c’était un bon début, non ? Quel dommage que pour finir, il s’en ira tout triste.. Qu’il est difficile, quand on a les mains pleines, de recevoir la vie !

De cet homme riche, on ne saura plus rien après cette rencontre avec Jésus, mais on se souviendra d’une chose : non pas d’une parole moralisatrice, non pas d’un avertissement, ni d’une critique, mais ..d’un regard. En effet, après le départ de l’homme riche tout triste, il nous est dit quelque chose de très émouvant : il nous est dit que Jésus, l’ayant regardé, l’aima.

N’est-ce pas le coeur de l’Evangile ? Non seulement hier mais pour nous tous aujourd’hui. Voici :  où que nous en soyons de nos vies, de nos trop pleins ou de nos manques, le Christ pose un regard  d’amour  sur chacun de nous et qui ne lui sera pas enlevé.

Amen

Titia Es-Sbanti

 

Extraits de la prédication du  »samedi caté »
Temple du Mas des abeilles, 2 /12/2023
Thème :  » Sobre comme un chameau ».