»Qu’est-ce que l’homme pour que tu penses à lui ? « 

Prédication de Frank Massler :

Qu’est-ce que l’homme que tu penses à lui ? (Psaume 8)

La manière par laquelle cette question est posé nous fait comprendre que, pour l’auteur du psaume, il y a quelque chose d’étonnant à cela. Cette question stipule que, quelque part, l’idée qu’un Dieu puisse penser à l’être humain, et même s’en préoccuper, ne va pas de soi.

Qu’est-ce que l’être humain pour que l’Éternel, le Tout-autre, prenne la peine de penser à lui. Pense t-il donc à moi aussi ? Qu’est-ce qui, en moi, en toi, pourrait susciter cette sollicitude divine ? C’est quand-même assez surprenant ! Qui suis-je, qu’est-ce que j’ai fait pour mériter cela ? Quel mérite ? Y en a-t-il un ? Ne répondez pas tout de suite « non non, il n’y a rien à mériter devant Dieu », mes amis protestants. Car nous fonctionnons si souvent, chacun et chacune d’entre nous, selon ce principe du mérite et du vouloir bien faire !

Alors, peut-être qu’à l’origine de cet élan divin se trouve la gratuité de la grâce, l’amour inconditionnel qui me frappe, et frappe tout le monde, malgré tout ce que je suis ou ce que j’ai pu faire ? Ne répondez pas tout de suite « oui oui, Dieu aime tout le monde, qui que l’on soit et quoi que l’on aie pu faire », car on va parler aujourd’hui de l’aumônerie de prison. Et là, parfois, les choses se compliquent un peu.

Chers amis, ce matin j’aimerais  creuser un tout petit peu cette question avec vous : « Qu’est-ce que l’humain, qu’est-ce que la personne incarcérée, et finalement : qui suis-je moi, et qui es tu pour que Dieu pense à toi ? » Est-ce que Dieu se préoccupe de tous, est-ce qu’il rend visite à tous ?

Pour moi, en tant qu’aumônier de prison, ce n’est pas une question rhétorique. La réponse ne va pas de soi. Vraiment, c’est une question qui me tracasse, me travaille, me fait mal et notamment quand je m’approche de certaines portes de cellule. Heureusement, il y en a très peu, souvent une seule parmi les 150 cellules.

Je vous avoue que parfois je passe devant une porte. Au lieu de m’y arrêter, de frapper et d’ouvrir la porte fermée à clé, je passe. Par manque de courage, par lâcheté, ou pour me protéger. Parce que je n’ai pas envie de m’exposer aux images qui pourraient surgir en moi. Parce que le contact est trop pénible ou parce que ce qui est reproché à la personne en question m’est insupportable.

Et du coup, la question s’inverse : Qu’est-ce que l’homme que je ne lui rende pas visite ? Qu’est-ce que l’homme pour que je le prive de ma sollicitude ? Je sais, intimement, qu’ainsi je refuse de me tenir là en tant qu’humain et que je ne suis pas mieux que le prêtre ou le Lévite qui passe, eux aussi. Je refuse le rôle du bon Samaritain. Je ne suis pas à la hauteur. Quand je me détourne, en tant que pasteur, je passe aussi un message, moins joli, celui-là. Malheureusement, je n’arrive pas toujours à faire la différence entre le rejet de l’acte et le non-rejet de la personne.

Ce n’est pas la peine d’aller plus loin. Reconnaissons simplement qu’il y a en nous une sorte d’ambiguïté, une sorte de tension et de malaise par rapport à la demande d’écoute et donc de soin envers certaines personnes détenues. J‘en veux pour preuve (ou indice) une phrase du compte rendu de notre première réunion de préparation début décembre : « Que l’on n’oublie pas la gravité de la faute et du mal. Il peut y avoir des personnes victimes dans l’assemblée. Attention à ne pas idéaliser la personne détenue qui purge une peine de prison. » Fin de citation.

Alors, c’est peut-être bien de vous dire que lorsque je rends visite aux personnes détenues, je n’oublie pas pour autant les personnes victimes, et que d’une certaines manière, elles sont tout à fait présentes lors des rencontres en prison.

Vous voyez, la sollicitude de Dieu, et de ses « représentants » envers les humains est particulièrement mise à l’épreuve en prison. Ceci parce que , d’une certaine façon, c’est une situation extrême.

Comme à Mayotte actuellement. Là le mot solidarité résonne sans doute différemment dans le contexte de la tempête. Comme le mot accueil résonne d’une manière particulière quand on rencontre des gens en détresse ou des migrants. Ainsi, quand je prêche en prison, je ressens une pression tout à fait particulière sur moi. Tout d’abord parce que je sais que les personnes détenues sont particulièrement attentives. Mais aussi parce que le degré de vérité de ce que je dis et de ce que j’annonce est particulièrement mis en jeu. En tous cas, à chaque fois, j’ai l’impression de jouer un peu le tout pour le tout. Alors jusqu’où va  l’amour de Dieu et sa sollicitude ? Et jusqu’où suis-je capable de le suivre ?

Jusqu’où va l’élan divin de vouloir aimer chaque humain ? Suis-je moi plus aimable ? Pardonnable, curable, approchable, visitable, reconnaissable, fréquentable ?

Et alors si j’exclus ne serait-ce qu’une seule personne de cette sollicitude, ne suis-je pas en train d’en exclure tout le monde ? C’est un peu comme dans l’histoire de la brebis perdue dans Luc 15. Si le berger ne court pas à la recherche de la seule brebis perdue est-il alors encore le bon berger, censé prendre soin de chacune de ses brebis ?

Chers amis, je suis en train de m’éloigner un tout petit peu du sujet : la question était : « Qu’est-ce que l’être humain pour que Dieu pense à lui ? » Et je me suis laissé prendre à mettre le focus sur Dieu plutôt que sur l’homme.

Qui est donc l’être humain dans ce psaume 8 précisément ? Et là – surprise ! Souvent quand nous imaginons la relation Dieu /être humain, nous mettons l’accent sur la grandeur de Dieu  et sur la petitesse de l’humain. Or, le psaume 8 insiste sur la grandeur de l’homme : « tu l’as fait presque l’égal des anges » « tu l’as couronné de gloire et d’honneur » , « tu lui donnes pouvoir sur tout ce que tu as fait, tu as tout mis à ses pieds. »

« Tu l’as fait presque l’égal des anges » : J’aime bien cette image. J’aime bien m’imaginer que vous êtes tous, chacun et chacune d’entre vous, des petits anges. Des presque-anges, comme dit le texte.

Je vous vois là, et j’imagine que vous avez tous des ailes d’ange. Bien cachés peut-être mais bien réels quand-même. Une dignité d’ange aussi. Et tout de suite je me rends compte que je vous regarde autrement. Comme si, en vous imaginant être des anges, vous auriez en même temps gagné en valeur et surtout en dignité.

Je vais essayer cela la semaine prochaine : de voir en vous non seulement un être humain – enfant de Dieu. mais aussi un être humain – presque-ange de Dieu. Et puis, comme créature divine. C’est bien ce que dit le texte : « tu l’as fait  presque l’égal des anges » – sans que je sache comment bien entendu- Mais pourtant, tu es, en tant qu’être humain, créé, donc voulu, souhaité, désiré.

L’Eternel se préoccupe donc des humains parce qu’ils sont des presque-anges dont il a, en plus, voulu qu’il vivent. Comme il se préoccupe de toutes les autres créatures qui peuplent la terre et dont il voudrait partager la sollicitude avec nous.

Je trouve tout cela assez surprenant, finalement. Et je veux bien insister sur l’élément de surprise. Parce que même s’il y a évidemment des éléments de réponse à la question « Qui suis-je pour que Dieu pense à moi ? » il y a, d’abord et surtout, ce moment d’étonnement et de surprise : « Je regarde le ciel que tes mains ont fait, la lune et les étoiles que tu as fixées. Et je me demande : Qu’est-ce que l’homme pour que tu penses à lui ? »  Ah bon ! Dieu pourrait penser à l’homme, à moi ?

Et du coup, je pense, assez fermement d’ailleurs, qu’il y a encore une étape supplémentaire à faire. C’est à dire : ne pas s’arrêter à cette énumération des qualités humaines qui pourrait éventuellement expliquer la sollicitude de Dieu. Et de me souvenir de cet étonnement initial, la surprise de départ, pour aller vers l’émerveillement.

Parce que, voyez-vous, cette sollicitude, c’est juste génial, c’est magnifique. Veuillez bien l’entendre, selon ce psaume : toutes les personnes, détenues, malades, vieilles, jeunes, hommes, femmes, et vous mêmes ici présents êtes entouré d’humains – presque-anges. Et vous en faites partie. Ne cherchez pas trop des explications et : Émerveillez-vous de cela !

Demain, lorsque je retournerai faire mes visites à la maison d’arrêt, je vais peut-être réussir à m’arrêter devant la porte où si souvent je n’ai fait que passer.
Que chacun.e  d’entre vous soit émerveillé par la sollicitude du Dieu vivant.  Amen

Prédication du pasteur Frank MASSLER
culte des aumôneries, 25 janvier 2025 , Nîmes.

A écouter également sur Radio Alliance plus : https://radioallianceplus.fr/podcast/culte-du-26-janvier-quest-ce-que-lhomme/