Paul, passionné de l’Evangile

Je vais vous faire une confidence : j’aime Paul. Je veux dire l’apôtre Paul, bien sûr. Il y a en lui quelque chose d’unique, un élan, une force, un désir puissant de servir Dieu et d’annoncer l’évangile. Paul est un passionné, c’est sa nature. Un passionné de Dieu. Au début, pour être fidèle à Dieu, en Juif respectueux des commandements, il s’était livré à une persécution terrible des disciples de Jésus, qui représentaient pour lui une erreur et un danger. Et voici qu’un jour, sur le chemin de Damas, Jésus s’est révélé à lui, brutalement : « Saul, Saul [c’était son nom d’alors] pourquoi me persécutes-tu ? » Cette révélation, il en a porté la marque dans son corps, puisqu’il est devenu aveugle pendant plusieurs jours. À partir de ce moment-là Paul est devenu un passionné de Jésus. Il a retourné à la fois ses convictions et son action. Telle fut sa conversion.

Il y a autre chose qui me plaît avec Paul, c’est que nous découvrons une époque exceptionnelle, celle du commencement de l’Église, des tout débuts du christianisme. Une époque où l’on convertissait des personnes en masse, où l’on fondait des Églises un peu partout. Cela fait rêver. Pour en témoigner il y a dans la bible le livre des Actes des apôtres, qui racontent la conversion de Paul et ses premiers voyages missionnaires ; et il y a ses lettres ou épîtres (qui ont été écrites, ne l’oublions pas, un peu avant les évangiles). Celle dont nous avons lu aujourd’hui un extrait s’adresse aux chrétiens de Corinthe, une grande ville grecque, un port actif et prospère. Paul y a fondé une Église, une Église où, naturellement, il est aimé. Mais très vite il y a eu des querelles, des clans. Certains le critiquaient, peut-être justement parce que beaucoup d’autres l’aimaient. Alors Paul doit se défendre et c’est ce qu’il fait dans la première partie du texte que nous avons lu : « Voici comment je me défends contre ceux qui me critiquent ». Mais il ne veut pas s’embourber dans des querelles de personnes. Non, l’important pour lui, c’est d’évangéliser, d’annoncer la bonne nouvelle, encore et toujours. Et il ne perd jamais de vue cet objectif.

Tout part d’une question d’argent. Ça vous étonne ? Paul revendique contre ses détracteurs le fait de gagner lui-même sa vie sans demander à l’Église de lui verser un salaire. Il y aurait droit, l’organisation de l’Église le permet : « Le Seigneur, écrit-il, a ordonné que les personnes qui annoncent la bonne nouvelle vivent de cette activité ».

Alors, s’il refuse tout salaire de l’Église, de quoi vit-il ? D’un travail manuel. On sait par d’autres lettres et par le livre des Actes des apôtres que Paul était fabricant de tentes. S’il a tenu à gagner sa vie, c’est sans doute pour ne pas être un poids pour l’Église, mais aussi peut-être pour éviter qu’on ne jase à son sujet. Nous pouvons tout à fait imaginer ce qui pouvait se dire.  D’un côté ceux qui surveillent les finances : « Salarier Paul, quand même, ça nous coûterait cher, et en plus il n’est jamais là ! » ; de l’autre les méfiants, les soupçonneux : « Mais pourquoi refuse-t-il de recevoir un salaire comme tout le monde ? Qu’est-ce que ça cache ? » Les mauvaises langues de Corinthe, il faut leur ôter tout pouvoir et ceci dès le départ. Mais ça, c’est la cuisine interne de la communauté de Corinthe. Des histoires de personnes, comme partout. L’important, pour Paul, est ailleurs.

Paul ne se considère pas comme un salarié de l’Église, mais comme un esclave du Christ ; il le dit dans toutes ses lettres. Et un esclave n’est pas payé, il fait ce qu’on lui dit de faire. Il n’a pas le choix. Eh bien, Paul se prive volontairement de sa liberté, de tout choix ; il fait, lui aussi, ce qu’on lui dit de faire ou plutôt ce que le Seigneur, son Seigneur lui dit de faire : évangéliser, annoncer la bonne nouvelle.

Je n’ai pas à me vanter d’annoncer la Bonne nouvelle. C’est en effet une obligation qui m’est imposée : quel malheur pour moi si je n’évangélise pas ! Si j’avais choisi moi-même cette tâche, j’aurais droit à un salaire, mais puisqu’elle m’est imposée, je m’acquitte simplement de la charge qui m’est confiée. (16-17)

« Quel malheur pour moi, si je n’évangélise pas ! » Est-ce que cela veut dire qu’il serait puni, comme un mauvais esclave ? Je ne le crois pas, mais c’est plutôt qu’il ne peut même pas imaginer ce que serait sa vie sans son travail d’évangélisateur. Ce serait le malheur absolu, car il lui manquerait l’essentiel : annoncer la bonne nouvelle. En l’annonçant, tous les prédicateurs le savent, on fait du bien aux autres, du moins on essaie, mais on se fait aussi du bien à soi-même, on en vit. Paul, lui, l’exprime autrement : son travail d’évangélisateur est en soi un salaire, il porte en lui-même sa récompense :

Quel est alors mon salaire ? C’est la satisfaction d’annoncer la Bonne nouvelle gratuitement, sans user des droits que me confère la proclamation de cette Bonne nouvelle. (18)

Évangéliser, c’est pour lui une obligation intérieure, une urgence à laquelle il ne peut pas se dérober ; et le faire gratuitement lui procure la paix et la joie. Pas besoin d’autre récompense.

Mais Paul ne s’arrête pas là. Il expose les modalités de son engagement comme apôtre, un engagement total :

Je suis libre, je ne suis l’esclave de personne ; cependant je me suis fait l’esclave de tous pour en gagner le plus grand nombre possible au Christ. (v. 19)

L’obligation intérieure devient ici l’esclavage au service de tous. Tout est important dans cette phrase : l’abandon volontaire de sa liberté – car, de fait, il est un homme libre, pas un esclave – la relation aux autres et la relation au Christ. En tant qu’apôtre et évangélisateur, Paul est un intermédiaire, il se met au service des autres pour le service du Christ. Car c’est cela évangéliser : gagner des hommes et des femmes au Christ, leur permettre de faire la découverte bouleversante de la vie, de la mort et de la résurrection de Jésus. Christ est le but ultime de l’action de Paul, mais Christ est aussi et d’abord l’origine de tout. C’est parce que Paul l’a rencontré un jour que tout a changé pour lui ; et c’est cela, ce bouleversement de la conversion qu’il veut communiquer aux autres, si possible à tous, sinon au plus grand nombre possible.

Se faire l’esclave de tous : qu’est-ce que ça veut dire ? C’est là que Paul nous offre une véritable théorie de l’évangélisation. Le « tous » est décliné en trois catégories principales : les Juifs (qui sont « sous la loi de Moïse »), les païens (qui sont « sans cette loi ») et les « faibles ».

D’abord les Juifs et les païens. Ce sont les deux grandes catégories auxquelles Paul a affaire dans l’aire géographique qu’il parcourt, autour de la mer Égée. Et il est lui-même à la fois Juif, par la naissance, et non Juif par décision personnelle d’abandonner la loi juive.

Sa technique d’évangélisation est éprouvée, elle consiste à s’adapter à l’auditoire, ce qui est la règle numéro 1 en rhétorique. La rhétorique, l’art de la persuasion, c’est à cette époque et dans le monde gréco-romain, la base de l’éducation et de la culture. Or ce principe d’adaptation à l’auditoire, on en a un bel exemple avec le discours de Paul à Athènes, rapporté dans le livre des Actes. Il recourt au vocabulaire de la philosophie pour essayer d’intéresser les Athéniens. C’est un très beau discours. Pourtant, cette fois-là, ce fut un demi-échec, il y a eu peu de convertis : on comprend pourquoi il dit « le plus grand nombre possible » ; le succès n’est jamais garanti ; en cas d’échec, on laisse les personnes mûrir, elles rencontreront Jésus une autre fois.

Mais le principe d’adaptation va au-delà de la rhétorique, au-delà du discours, c’est une manière de vivre qui est en cause : je vis comme un Juif, dit-il ; et encore : je vis comme ceux qui ignorent la loi de Moïse. C’est-à-dire : quand je suis avec un Juif je me soumets à la loi juive, par exemple pour la nourriture casher et divers préceptes de la Tora ; et je le fais pour ne pas le choquer, pour ne pas le scandaliser ; après je peux lui parler de Jésus et l’amener à dépasser la loi.

Après les Juifs et les païens il y a les « faibles » c’est-à-dire ceux qui viennent de se convertir, mais dont la foi est encore fragile. Ceux-là aussi, il ne faut pas les brusquer, les scandaliser. Justement, dans d’autres passages de cette lettre aux Corinthiens Paul parle de la conduite à adopter lorsqu’on est invité à un repas où sont servies des viandes provenant de sacrifices aux dieux païens. Paul sait que rien n’est impur pour Dieu, qu’on peut manger ce qu’on veut, quand on a vraiment compris le message libérateur de Jésus ; mais les « faibles », ici probablement d’anciens païens, ne le savent pas, cela les choque ; alors, lorsqu’il est avec eux, Paul n’en mange pas.

Au fond, c’est cela la vraie liberté : être au-dessus des aspects les plus formels de la religion, les dépasser pour aller au fond des choses, pour aller à Christ. S’il faut en passer par le respect de certaines pratiques, alors on peut le faire, il faut le faire, même si on sait au fond de soi qu’elles n’ont aucune importance. Ce n’est pas de l’hypocrisie, c’est de l’amour fraternel : entrer dans la logique de l’autre, c’est l’aimer. Après viendra le temps de la révélation.

Et tout cela est résumé dans une formule non pas magique, mais magnifique : « Je me fais tout à tous » (v.22)

Chers amis, je vous le demande, je me le demande : en sommes-nous capables aujourd’hui ? Pouvons-nous dire avec Paul « Je me fais tout à tous » ? Sans esprit de jugement, sans sentiment de supériorité ? Sans rien perdre de notre ancrage en Christ, mais avec une ouverture aux autres qui n’est pas une idéologie, mais un acte d’amour pour les ouvrir à leur tour et les rendre capables de trouver le Christ un jour ? En tout cas, merci à Paul de nous en montrer le chemin. Et merci à Paul, aussi, de nous entraîner dans sa passion pour l’Évangile, jour après jour.
Amen.

 

Sylvie Franchet d’Espèrey.

Prédication pour Radio Alliance,  7 février 2021
Texte biblique  : 1 Corinthiens  9, 15-23