PAROLE DU JOUR-59

UN VIDE SI PLEIN –


Qu’il est vilain ce nom ! Certains ne le supportent plus. On les comprend. Combien de fois par jour avons-nous prononcé ou entendu ce mot ? Multipliez- les par 81. Pourtant, qu’on le veuille ou non, il fera encore parler de lui pendant longtemps.. On nous a même dit qu’il faudra apprendre à vivre avec lui : le Covid 19. Pas très joli ? En effet, je dirais même : aussi laid que ce qu’il représente et les ravages qu’il a entraînés sur son passage..Un peu comme quand on n’a pas été chez le coiffeur depuis trop longtemps. Mais bon, on n’allait  pas non plus lui donner un joli petit surnom !

Covid 19 : ce nom figurera dans les pages de l’Histoire. A l’école, les générations futures se pencheront sur lui et feront la grimace : covid19 , allez retenir ce mot tordu ! Il le faudra pourtant, au vu de l’immense chaos qu’il aura provoqué dans le monde entier en cette première moitié du 21ème siècle…

Mais soyons positif : Covid-19 c’est déjà mieux que  SRAS -Cov-2.  Sans parler des prédécesseurs aux allures de formule chimique comme  H1 N1.  Ah, de mon temps, on avait  la «grippe aviaire » ou la « vache folle », c’était plus concret, et les mots désignaient les coupables. Cette fois, il a fallu chercher le bouc émissaire à l’autre bout du monde : le pangolin qui, comme chacun sait, est de nationalité chinoise. A moins que ce ne soit  la chauve-souris…Bref, faute d’un accord, promettant de ne plus stigmatiser ni pays ni animal, le monde scientifique a baptisé l’accusé : Covid. Sans manquer de le dater : 19, pour ne pas oublier l’année qui l’a vu naître…C’est sûr, on s’en souviendra, surtout de 2020.
Bien nommé, ce Covid19 devait aussi être bien compris :  sachez distinguer le nom de la maladie de celui du virus – c’est le corona(virus) qui donne le covid, et non l’inverse. Le « d »  final renvoie au mot anglais  « disease » qui signifie maladie.


Avec une explication aussi limpide, on se sent déjà mieux, non ?
Cela étant,
Covid-19, cette appellation non contrôlée, manque furieusement de poésie c’est certain, mais non de signification. En effet, en prononçant ce nom, on entend ce qu’il a entraîné à travers le monde : le VIDE. Quelle ironie !

C’était il y a deux mois. Du jour au lendemain ou presque, il a réussi un tour de force, celui de faire le vide autour de lui : écoles, rues, avenues, terrasses de café, magasins, restaurants, églises, parcs, jardins publics, musées, plages…

 

Il a même vidé les cieux en clouant les avions au sol. Avec lui, un monde assourdissant s’est tû pendant huit semaines et l’obscurité de la planète vue du ciel a été mise en lumière !

Mais la face sombre aussi  : le Co-VID 19 a vidé les caisses de l’Etat, de beaucoup d’entreprises et de gens, il  a déréglé un système économique déjà fragile à bien des égards. « Qu’est ce qu’on aura gagné avec tout ce qu’on a perdu ? » disait le slameur et poète Grand Corps Malade. (1)

 

 

Le Co-VID aurait-il  vidé toute espérance ?

Dans la Bible, le vide peut renvoyer au chaos (récit de la Genèse) comme au salut (tombeau vide). Et si c’était une piste pour nous éclairer dans notre sombre situation, pour dire que nous sommes placés devant un choix que personne ne fera à notre place ?

Et si, plutôt qu’une épreuve qui nous ferait baisser les bras, le Co-VID 19 était un immense défi à relever ensemble, l’occasion de se frayer un passage dans ce monde embouteillé à tous les niveaux ?

Car notre planète sature. Il lui manque d’avoir du vide ; elle souffre d’un trop plein, en haut comme en bas : les déchets sont enterrés dans ses entrailles, à des kilomètres sous terre et les cieux…sont occupés. Comble de l’ironie : c’est même au nom du Covid 19 que des millions de masques jetables arrivent chaque jour sur le marché.

Notre Terre a besoin de vide pour respirer. La vie spirituelle a besoin d’un creux pour accueillir Celui qui la nourrit. L’humain a besoin de manquer pour recevoir. Lorsque tout est rempli, il n’y a plus de place pour Dieu. Par conséquent, pour l’humanité non plus.

Le Co-VID 19 nous oblige à un grand ménage de printemps, à balayer le superflu pour ré-orienter nos vies vers ce qui compte vraiment. Il nous montre la direction de l’autre vide, celui qui fait sens, celui qui fait place à l’Autre.
« J’ai enlevé beaucoup de choses inutiles de ma vie et Dieu s’est rapproché pour voir ce qui se passait. » écrit Christian Bobin (2).

 

Pour un certain nombre de chrétiens, la fermeture des églises pendant plus de deux mois a été vécue comme une épreuve. A l’opposé, Tomas Halik, théologien catholique tchèque, a vu dans ce vide une puissante interpellation pour tous les croyants, un vide qui fait sens. Un vide qui ‘fait signe’ . Ce vide en désigne aussi un autre, plus sombre celui-là : la vacuité cachée des Églises et de leur avenir si elles ne sortent pas de leur confinement spirituel, si elles ne se convertissent pas en profondeur. « Nous avons beaucoup trop cherché à convertir le monde et beaucoup moins à nous convertir nous-mêmes .. » écrit T. Halik. (3)

«Nous pouvons, bien sûr, accepter ces églises vides et silencieuses comme une simple mesure temporaire bientôt oubliée. Mais nous pouvons aussi accueillir ce VIDE comme un plein de sens, comme un kairos, un moment opportun pour aller « en eau plus profonde », dans un monde qui se transforme radicalement sous nos yeux(…) Ce vide nous place face à un état d’urgence et nous engage dans une réflexion approfondie devant Dieu et avec Lui ». Et si les églises vides étaient un signe de Dieu, un appel à la foi nue ?

La veille de son élection en 2013, le pape François avait cité un passage de l’Apocalypse dans lequel Jésus se tient devant la porte et y frappe. Il avait ensuite ajouté : « aujourd’hui, le Christ frappe de l’intérieur de l’Église et veut sortir ».   Et s’Il était déjà sorti ?

 

Titia Es-Sbanti, le 23 mai 2020

 

 

 

(1) Slam intitulé  « Effets secondaires », avril 2020.
(2) Ch.Bobin, Ressusciter, 2001, éd. Gallimard

(3) extraits de la tribune de la Vie, 24 avril 2020