PAROLE DU JOUR-49

Deux petites anecdotes pour entamer mon propos :
Lorsque j’étais enfant, j’ai plusieurs fois entendu ma mère nous raconter que la propriétaire de l’une des meilleures pâtisseries de la ville à côté de laquelle nous habitions, procédait toujours de la même façon, chaque fois qu’un nouvel apprenti débutait dans son magasin.

« Vous pouvez manger toutes les pâtisseries que vous souhaitez. Une seule condition à cela, tous les gâteaux commencés doivent être finis ». D’abord tentés, ils étaient rapidement totalement saturés de sucreries et pouvaient dès lors se consacrer uniquement à leur tâche.

Autre anecdote : séjournant il y a quelques années à l’étranger, dans un pays réputé pour la qualité de sa viande, je me trouvais avec des amis, dans l’un de ces restaurants où, pour une somme forfaitaire, vous pouvez en manger autant que vous voulez. Gourmand, c’est ce que j’ai fait, autant qu’il m’était possible, jusqu’au moment où, au milieu d’une bouchée, j’ai dû m’arrêter et renoncer ensuite, pendant quelque temps, à goûter au plus petit bout de viande que l’on me présentait.

À présent, je vais rappeler quelques courts versets tirés des écritures :
Tout d’abord en Genèse 24 le verset 8 : « Puis Abraham expira, il mourut dans une vieillesse heureuse âgé et rassasié de jours, et il fut réuni aux siens ».
Puis dans le livre de Job, au chapitre 42, le verset 17 : «  Puis Job mourut, âgé et rassasié de jours »

Enfin dans l’évangile de Jean, au chapitre 16, le verset 21, cette parole de Jésus à ses disciples au moment de l’annonce de sa passion : «  La femme, lorsqu’elle accouche, a de la tristesse parce que son heure est venue ; mais lorsqu’elle a donné le jour à l’enfant, elle ne se souvient plus de la détresse, tant elle a de joie qu’un homme soit venu au monde »
Nous vivons une époque où l’explosion des connaissances et l’évolution des sciences et des techniques nous laissent à penser que la mort devient une véritable incongruité, comme si elle ne faisait pas partie intégrante de la vie. Les transhumanistes rêvent d’un monde où la mort serait abolie, sans réaliser que ce souhait est le plus anti-vie de tous ceux que l’homme a pu élaborer depuis qu’il existe. La disparition de la mort, c’est également celle de toute vie renouvelée, c’est un monde figé n’ayant plus aucun autre but que de se survivre, sans fin et sans raison, à lui-même. Le seul projet de durer ne donne aucun sens à ce que nous vivons. On se lasse de tout, même des meilleures choses. Les deux petites historiettes que je racontais au début de mon propos viennent opportunément le rappeler.

La période que nous traversons amplifie encore le propos. Non pas qu’il ne faille pas prendre le maximum de précautions pour épargner les plus fragiles d’entre nous, mais parce que nous arrivons à un stade où nous risquons d’être dans le trop. Trop de précautions prises pour prolonger la vie « à tout prix », ne risquent-elles pas de l’amputer de sa raison même d’être.

Les parents savent bien qu’il n’est pas possible d’aider un enfant à grandir en lui ôtant toutes les pierres du chemin, mais qu’il faut au contraire lui apprendre à les surmonter, qu’on ne lui apprend pas à aimer la vie en lui dépeignant un monde où tout est danger. Aimer la vie c’est aussi assumer d’une façon raisonnable le risque de la perdre.

Ne voyez pas là le propos d’un dépressif ou d’un suicidaire, bien au contraire, j’aime la vie et chaque jour, je suis reconnaissant pour la beauté de tout ce qu’elle m’apporte. J’ai cependant parfaitement conscience qu’elle m’est d’autant plus précieuse que je sais qu’un jour, inéluctablement, je vais la perdre et que, même si cela a quelques côtés angoissants, c’est bien ainsi. Dans cette période où, en caricaturant un peu, on peut dire qu’il nous est « interdit de mourir », rappelons-nous que nous sommes mortels. Cette vie qui nous est donnée, sachons en jouir avec sagesse et sans retenue et ne faisons pas de notre crainte de la perdre un jour, une raison de ne pas la vivre pleinement ici et maintenant, tout simplement.

Pour nous Chrétiens, souvenons-nous de ces paroles du Christ à propos de la parturiente. Chaque fois que mon épouse a accouché d’un de nos trois enfants, j’ai eu peur, mais quel bonheur ensuite ! Aussi avançons sans angoisse et avec confiance en Celui qui nous aime.

«  Je connais les projets que j’ai formés sur vous, dit l’Éternel, projet de paix et non de malheur, afin de vous donner un avenir et de l’espérance » (Jérémie 29,11).

Bernard Cavalier, le 12 mai 2020