PAROLE DU JOUR-41

Vouloir faire la peau à un mot, cela ne vous est-il jamais arrivé ?
Vous savez, de ces mots ou expressions qui ressortent à tout bout de champ comme « stigmatiser », « concept », « recul », « en termes de » ou même « bienveillance » lequel, à force d’être utilisé, en perd sa beauté.

De ces mots, il en est un qui me sort par les oreilles : « concrètement ».
Il ne se passe guère une interview de responsable (politique, médical, économique…) sans que le/la journaliste utilise l’adverbe « concrètement » et ceci dans le but d’obtenir la réponse concrète à sa question. Alors, aujourd’hui, avec vous – complices involontaires – j’ai décidé de lui faire la peau à cet adverbe.
N’y a-t-il rien d’autre que le concret dans la vie ?
La joie, la confiance, la bienveillance (ah ! ah ! ah !), la dépression, le doute, le dégoût se manifestent-ils toujours concrètement ? Et l’amour de Jésus-Christ, hein ???

Je contemple le coquelicot du Chemin du Bachas *,  entre béton et bitume :

Comment apporter la preuve concrète du sentiment de plénitude avec cette envie de me mettre debout que les fragiles pétales écarlates font naître en moi ?

Peut-être que je manque de mots ? En préparant cette parole du jour, je me suis aperçue que la question de l’abstrait et du concret avait mobilisé bien des philosophes et autres savants. Je ne vais surtout pas essayer de rivaliser avec eux. Mais, une fois de plus, je fais appel au Verbe pour dézinguer l’adverbe, et pardon à ceux que mon exemple choquera.

L’histoire se passe à Jérusalem. Au bord du chemin, un mendiant – qui ne voit rien – est assis par terre. Un groupe d’hommes passe à côté lui.
Un du groupe : Maître ! qui a commis une faute pour qu’il ne voit pas ? Lui ? Ses parents ?
Le Maître : Ni lui, ni ses parents. Mais comme vous avez toujours besoin de preuves concrètes pour croire dans la puissance de Dieu qui m’a envoyé … vous allez voir… et lui aussi !
Il fait de la boue avec sa salive et l’applique sur les yeux de celui qui ne voit pas – le rendant ainsi encore plus aveugle – et l’envoie se laver au bassin de Siloé (Lourdes de l’époque).
Celui qui ne voyait pas y va, se lave et revient, voyant clair. C’est alors que des tas de gens qui se croyaient clairvoyants n’y voient plus très bien.
Les voisins : Etait-ce bien le même homme qui était assis là à mendier ? Comment t’a-t-il ouvert les yeux ?
Les autorités religieuses : Comment se fait-il que tu voies maintenant ? Que dis-tu de celui qui t’a ouvert les yeux ? Vérifions son identité auprès de ses parents ! Est-ce qu’un homme qui n’est pas aimé de Dieu peut redonner la vue ? Demandons-le à celui qui ne voyait pas. Que t’a-t-il fait ? Comment as-tu retrouvé la vue ?

Malgré les réponses de celui qui ne voyait pas, les autorités religieuses restent opaques à ce qui vient de se passer.

Je pose la question à nos lecteurs : Concrètement, que s’est-il passé ? Quel est celui qui a permis à l’homme de sortir de l’obscurité dans laquelle il vivait ? Pourquoi l’homme qui ne voyait pas n’est pas nommé ? Sommes-nous comme lui ? Ou bien voulons-nous rester enfermés dans un obscurantisme religieux qu’aucune preuve concrète ne pourra éclairer ? Qui sont les aveugles ? Qui sont les voyants ?  

Le texte est signé JEAN.

 

Quant à moi, je viens partager avec vous mes questions : Qu’y a-t-il à voir ? Le coquelicot rouge ou le bitume gris ?

Je vous invite à lire ou relire ce texte biblique dans Jean 9, 1-41  (**) qui m’apporte joie, espérance et confiance sans que je puisse, concrètement, en manifester les effets autrement que par ces quelques mots.

Peut-être préfèrerez-vous ces mots-là, d’un philosophe du siècle dernier  : « C’est dans le pouvoir indirect de l’Église du Christ sur le domaine temporel que se réalise concrètement, de la façon la plus sensible, la plus vive et la plus significative, la primauté du spirituel ». (J.Maritain, Primauté du spirituel,1927, introd., p. 9).

 

Sylvie Valette, le 4 mai 2020.

 

* https://nimes-eglise-protestante-unie.fr/parole-du-jour-34/

**  https://lire.la-bible.net/lecture/jean/9/1

Le dessin est de Henri Lindegaard, intitulé « La guérison de l’aveugle de naissance  » , paru dans La Bible des contrastes, édition Olivétan.