Nous sautons souvent à pieds joints du Vendredi Saint au Dimanche de Pâques, mais entre les deux, il y a…. Samedi. Personne ne parle de ce jour-là. Pourtant, il existe. Que se passe t-il donc ? Que nous disent les Evangiles ? Rien ou presque, car ce jour-là est considéré comme un jour de sabbat, autrement dit, pour le peuple juif : jour de repos, sacré, réservé à Dieu, où seules l’étude des Ecritures et la prière ont droit de cité. Toute action, intervention, toute dé-marche sont interdites. Ce qui explique pourquoi le corps de Jésus fut déposé à la hâte dans un tombeau la veille au soir, juste avant le coucher du soleil.
Ainsi, lorsque les femmes -disciples se mettront en route en direction du tombeau, c’est, précisent les quatre évangélistes, «lorsque le sabbat fut passé » : elles s’y rendent très tôt, à l’aube du dimanche…
Oui mais le samedi : où sont-elles , que font-elles ? Où sont-ils tous : les apôtres, les amis, la famille de Jésus ? Confinés chez eux dans le chagrin et dans la peur ?
Le Samedi Saint est peut -être le jour le plus long de leur vie…Un samedi plein de désespoir, d’incompréhension, de silence, d’amertume.. Un samedi qui n’en finit pas, car l’espérance du Royaume dont Jésus leur parlait tous les jours a volé en éclats sur la croix. La foule a hurlé, les passants l’ont injurié, les soldats l’ont raillé, la mort l’a emporté, le vendredi l’a déposé au tombeau …
Alors, le Samedi saint , que pourrait-il être sinon un jour vidé de tout avenir, un jour vide ?
Me reviennent à la mémoire ces paroles magnifiques du théologien Max-Alain Chevallier, des paroles qui n’ont cessé de m’accompagner et de faire sens tout au long de ma vie, de sorte que j’associe toujours difficilement le message de Pâques à la puissance et la gloire au son des trompettes célestes. Oui, je préfère la pierre roulée au roulement des tambours. La pierre roulée me dit dans un lumineux silence que désormais, la voie est libre pour laisser passer l’espérance. Mais cette espérance devra d’abord se frayer un passage. Et pour cela, il lui faut du temps..
Voilà ce qu’écrivait M-A Chevallier :
«Dieu a permis qu’il y ait ce jour interminable où les disciples eux-mêmes ont pu croire que leur espérance était morte et où leurs ennemis ont triomphé.Dans les explications du catéchisme, on saute toujours du Vend Saint à Pâques, comme s’il n’y avait pas eu ce temps de complet désespoir, ce temps du samedi saint. Le Vendredi Saint est terrible, mais enfin Jésus est toujours le personnage central, et jusque dans son agonie, il reste présent, parlant, régnant. Tandis que le samedi Saint est vide : il n’ y a plus personne à regarder, à qui se raccrocher. C’est l’insurmontable détresse devant la mort du bien-aimé. C’est l’accablement devant l’échec de l’entreprise à laquelle on avait cru. C’est l’amertume de ne plus jamais pouvoir obtenir le pardon de ses reniements. C’est la révolte devant l’insolente victoire des méchants…Et puis surtout, c’est la déroute de la foi. «C’était pourtant un jour de sabbat »….Mais tandis que la foule des croyants célébrait joyeusement le culte, ceux qui avaient été les plus enthousiastes pour accueillir l’Evangile se retrouvaient totalement désemparés.
Le Samedi Saint reste inscrit dans l’histoire du salut, et dans cette histoire , Dieu a en quelque sorte fait une place au désespoir, à la révolte, au doute. Il y a là un message à proclamer à ceux qui en ont honte ou qui en sont troublés. On ne peut pas forcer les gens à vivre la certitude de Pâques. Pâques restera donc un miracle et on ne force pas les miracles. Pour nous, pour les autres, pour le monde, Pâques viendra, car c’est le dernier mot de Dieu.Que tous ceux qui le peuvent en manifestent l’espérance, sans vouloir bousculer ceux qui en sont au Samedi Saint ! »
Titia Es-Sbanti, le 11 avril 2020
L’oeuvre sur caillou est de l’artiste syrien Nizar, Ali Badr Kedistan, en 2015.