Entre le jour de l’entrée à Jérusalem qui avait vu les foules faire acclamation à Jésus (Marc 11/1-11) et le moment de son arrestation, quand « tous les disciples l’abandonnèrent » (Marc 14/50), presque à mi-chemin de ce parcours que nous revisitons durant la Semine Sainte, il y a un petit récit qui a toujours retenu mon attention, c’est celui de l’offrande de la veuve, Marc 12/41-44.
Jésus s’assit dans le temple en face de la salle du trésor, et il regardait comment les gens y déposaient de l’argent. De nombreux riches donnaient beaucoup d’argent. Une veuve pauvre arriva et mit deux petites pièces de monnaie. Jésus appela ses disciples et leur dit : « Je vous le déclare, c’est la vérité : cette veuve pauvre a mis dans le trésor plus que tous les autres. Car tous ont donné de leur superflu ; mais elle, qui manque de tout, a donné tout ce qu’elle possédait, tout ce qu’elle avait pour vivre. »
Les trésoriers des Eglises apprécient quand on évoque ce récit ! Il y aurait en effet de bonnes raisons faire valoir que l’offrande pour donner à l’Eglise les moyens de sa mission ne doit pas être un geste qu’on puisse faire sans qu’il nous engage vraiment !
Mais c’est de tout autre chose qu’il s’agit ici. Il s’agit de notre façon de vivre, de nous engager dans la vie.
J’y vois un de ces moments où nous avons une indication sur la manière de comprendre le récit de l’arrestation, du procés et de la mise à mort de Jésus. Comme si en la repérant, elle, si humble, discrète, il venait la chercher pour la sortir de l’anonymat et en faire un grand témoin des événements qui vont suivre. Précisément, il la désigne à ses disciples qui sont avec lui au Temple, pour commenter ce qui est en train de se passer sous leurs yeux.
« Elle, qui manque de tout, a donné tout ce qu’elle possédait, tout ce qu’elle avait pour vivre »
C’est à dire sans rien retenir, sans mesurer, sans faire la part de ceci et de cela, tout. Et comme il ne lui reste plus rien pour vivre, elle n’a plus qu’à mourir. Ainsi pourrait-on voir dans le regard de Jésus une façon qui sera la sienne de se laisser arrêter, condamner et crucifier, au point même de se sentir abandonné, même par le Père. Le don total, entier, de tout ce qu’il lui restait pour vivre.
Ainsi, plus qu’une leçon de morale ou de société sur le don des riches et le don des pauvres, dans la disproportion, on a affaire à une réflexion que chacun de nous peut prendre le temps de mener en lui-même. Et nous sentons bien toutes les protections que nous mettons pour « préserver » nos existences, faire la part entre la vie personnelle et la vie professionnelle ou les engagements bénévoles. Nos existences sont bâties sur ce souci de se ménager un espace. En même temps, dans la course des jours, nous passons notre temps à courir, à nous agiter, sans un moment pour nous. Ces deux observations peuvent sembler paradoxales, sauf si on prend le temps de réfléchir à ce qui est de l’ordre du superflu et ce qui est de l’ordre de l’essentiel, du vital. Du vital non pour moi seulement mais devant Dieu !
Autre souci contemporain, celui qui consiste à « se réaliser », à faire valoir ce qu’on a de talents pour ne pas passer à côté de la mise en valeur de nos richesses intrinsèques. Tout le contraire du geste de la veuve qui se dépouille plutôt que de se parer. Tout le contraire de Jésus qui abandonne tout ce qu’il a (y compris la condition divine). De ce don sans retenue, de celui qu’on engage sans attendre en retour quoique ce soit. vient la disponibilité à pouvoir vivre de la vie qui nous vient de Dieu.
Depuis le début du confinement, ce tout petit récit me revient en ritournelle, comme une ouverture non sacrificielle, non religieuse du message de la Croix de Golgotha.
Jean-Christophe MULLER, le 8 avril 2020