Pour de nombreux croyants et peut-être plus encore, le temps du Carême avec Pâques qui culmine au bout fait sens. La crise, qui nous affecte tous, ajoute ici cette perte angoissante d’un repère religieux. En réaction toute humaine et aussi parce que notre culture depuis des générations a embrassé le rationalisme, beaucoup demandent réponse notamment à Dieu. Des voix, des cris et même des savoirs de diverses sensibilités se font entendre plus que d’habitude sur la toile ou ailleurs, étalant les « pourquoi Dieu nous fait ça ? », « nous punit ? », « nous donne un avertissement ? » et autres « je sais, je vous explique… ». Bref, que ce soit de manière sophistiquée ou simpliste, tout doit avoir forcément une explication surtout à l’égard de ce qui nous fait mal !
Et si le « mal » n’autorisait ultimement aucune explication, aucune légitimité et de fait aucune recevabilité ? Si le « mal » n’aurait pas dû être bien qu’il soit ? Si les romantiques autant que les rationalistes à rechercher un soulagement se trouvaient dans une impasse ? (Je rappelle que les 1er se caractérisent par la dominance de la sensibilité, de l’émotion et de l’imagination sur la raison et la morale. Les seconds suivent plutôt un mode de pensée selon lequel la raison est la seule source de connaissance.) Et si pour les uns comme pour les autres tout était vanité et poursuite du vent (Ecclésiaste 1,14) ? Si la sagesse biblique ne consistait pas à tout expliquer afin de ne pas espérer en vain mais plutôt à retrouver, notamment dans les psaumes, la tradition des lamentations ?
La lamentation c’est ce qu’il nous arrive lorsque nous n’obtenons pas de réponse à notre pourquoi. C’est là où nous arrivons lorsque nous allons plus loin pour embrasser aussi la souffrance qui touche autrui.
Quelques lamentations : « Aie pitié de moi, Eternel, car je suis sans force ! Ps 6 »; « Pourquoi, Eternel, te tiens-tu éloigné ? Pourquoi te caches-tu dans les moments de détresse ? Ps 10 »; Jusqu’à quand, Eternel, m’oublieras-tu sans cesse ? Jusqu’à quand me cacheras-tu ton visage ? Ps 13 » ; et bien sûr les paroles du psaume 22 que le Christ a cité sur la croix « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as tu abandonné ? Pourquoi t’éloignes-tu sans me secourir, sans écouter mes plaintes ? ». Une dernière citation du Ps 88,19 peut nous rejoindre dans notre confinement « Tu as éloigné mes amis et mes proches de moi; mes intimes, sont dans l’obscurité (je ne les vois plus) ».
En redécouvrant dans le tissu des Ecritures la tradition des lamentations, nous ne sommes pas seulement rejoints par une attitude, une précédence dans laquelle nous pouvons nous reconnaître. Nous apprenons surtout que le Dieu de la Bible, loin des pouvoirs ou de la « magie » que parfois nous lui prêtons, se lamente aussi. Dans la Genèse nous découvrons un Dieu terriblement affligé par la méchanceté et la violence des humains. Il est dévasté lorsque son épouse (le peuple hébreu), se détourne de lui. Et lorsque Dieu revient vers son peuple en personne (c’est le sens 1er de l’histoire de Jésus), ne sommes nous pas confondus devant l’amour qu’exprime le Christ de ses larmes pour son ami Lazare jusqu’à son don de soi, son don de foi, le plus total…? Et que dire du Saint Esprit gémissant -se lamentant- en nous comme l’évoque l’apôtre Paul (Rom. 8, 26).
En fait, cela fait partie de la vocation chrétienne de ne pas pouvoir tout expliquer et de se lamenter à la place. Et si nous considérons que l’Esprit se lamente en nous, nous ne sommes pas alors si seul dans notre confinement. Ainsi, tels de petits sanctuaires où la présence et l’amour apaisant de Dieu font compagnonnage en chacun, de nouvelles possibilités, de nouveaux actes de bonté, une sagesse pour nos dirigeants, valent bien au coeur de notre semaine sainte notre fidèle lamentation !
Thierry AZEMARD, le 7 avril 2020