Parole Bleue n° 14/21

Un temps pour la reconnaissance…
« La Sagesse a été reconnue juste d’après ses œuvres » (Mt 11,19)

A l’heure où j’écris ces lignes, les vacances de printemps désormais bien installées invitent à prendre le temps d’une courte rétrospective de l’année commencée. A rebours de nos calendriers, se présentent d’abord les cultes organisés en commun avec l’Association Protestante d’Assistance (APA).  Ils ont manifesté, dans la diversité de nos lieux d’Église, que Pâques n’est pas pour nous un mot vain ou une coquille vide, mais que la mort et la résurrection de Jésus-Christ se traduisent et se prolongent dans des actes concrets de partage et de fraternité. Notre Seigneur lui-même ne s’est-il pas fait reconnaître, sur le chemin d’Emmaüs, à la fraction du pain ?

Fraction du pain…Sainte Cène… la situation que nous partageons, de façon tout à fait inédite, avec tous les êtres humains de la planète, nous fait sortir de ce que nous tenions pour évident, et nous convie à une réflexion ouverte sur le sens de nos pratiques ; le sens de nos habitudes, à Pâques, notamment… comment la mémoire d’un repas partagé, un temps enfouie dans les vents contraires d’une époque, peut-elle ressusciter ? La foi pose des questions et parfois aussi, elle propose des réponses. Nous en avons expérimenté à Pâques une belle palette, sur laquelle se trouvent encore de beaux espaces à colorer !

APA, Pâques…. Mission ? Universelle ! C’est parmi toutes les nations que retentit le message d’espérance, et de tous les pays qu’arrivent jusqu’à nous des messagers. Tahiti, Brésil, Togo. En ce début d’année où le tourisme est en berne, Nîmes s’est réjouie d’être visitée par bien des contrées ! Chacune à leur manière, elles racontent la gloire de Dieu, la font entendre même sur les ondes… qui prendra le relais ? Pour reprendre une certaine confession de foi, Dieu n’a pas d’autre bouche que les nôtres pour dire la vie à laquelle il appelle. Alors, que de langues ne parle-t-il pas !

Et nous voici arrivés à un autre de ces moments marquants, qui fait partie de ces paysages que l’on croise en chemin et sur lesquels, avant de reprendre sa route, on s’arrête plus longuement.  Il se déroula il n’y a pas si longtemps – deux mois, exactement, dans le cercle toujours grand ouvert, de notre communauté protestante. C’était un culte musical, annonçant la bonne nouvelle de notre reconnaissance envers Dieu et les uns envers les autres, pour cette langue à la fois étrangère et intime dans laquelle la Parole se fraie parfois un chemin jusqu’à nous. En cette occasion d’exprimer  notre gratitude à ceux qui ont le don de faire parler cette langue, et de nous la faire entendre, nous avons entendu ce passage biblique où Jésus s’adresse à ceux qui l’entourent (Matthieu 11, 16-19)

« A qui comparerai-je cette génération ? Voici à quoi elle est semblable : des enfants assis sur les places publiques,qui appellent les autres en disant : « Nous vous avons joué de la flûte,et vous n’avez pas dansé. Nous avons chanté des complaintes, et vous ne vous êtes pas lamentés. »
En effet, Jean est venu, il ne mange ni ne boit, et l’on dit : “Il a perdu la tête.”
Le Fils de l’homme est venu, il mange, il boit, et l’on dit : “Voilà un glouton et un ivrogne, un ami des collecteurs d’impôts et des pécheurs !”  Mais la Sagesse a été reconnue juste d’après ses œuvres. »

Dans le temps de Carême que nous traversions alors, c’est à la prière que ce texte nous avait invités. Aujourd’hui, cette prière peut nous traverser et nous habiter à nouveau ; pour qu’avec le printemps maintenant bien visible au dehors, germe en nous-mêmes la reconnaissance.

Seigneur, il y a en nous un peu de ces enfants qui s’interpellent au beau milieu de la ville, en ta présence.  Tu nous vois prompts à venir vers toi sur la place publique, dans l’Église, dans nos temples ; pour jouer ou écouter, qui des chants de fête, qui des complaintes.

A vrai dire, certains parmi nous n’ont pas le cœur à chanter, à manger ni à boire, comme Jean-Baptiste en son temps ; peut-être n’est-ce pas en accord avec la musique de leurs vies, en ce moment. Peut-être n’entendent-ils alors ici que l’écho d’un reproche : « Nous vous avons joué de la flûte, et vous n’avez pas dansé ! » D’autres parmi nous veulent se réjouir au son de la musique, et même, si c’était possible par les temps qui courent, manger et boire ensemble! Car ainsi vibre la musique de leur vie, aujourd’hui. Eux pourraient bien discerner ici et là quelques réprobations :« Nous avons chanté des complaintes, et vous ne vous êtes pas lamentés ! »

Devant toi Seigneur, nous reconnaissons la désunion qui existe en nous-mêmes et entre nous. Comme il nous est difficile de ne pas entrer en jugement – jugement de nous-mêmes et des autres. Comme nous aimerions avoir prise, au fond, sur la musique de nos vies !

Il nous est difficile d’accepter qu’il est des moments, où nous-mêmes pouvons être insensibles à la musique qui sonne à nos oreilles, qu’elle soit joyeuse ou triste ; tout aussi difficile d’accepter qu’il est d’autres moments, où la simplicité d’une comptine peut toucher en nous une corde sensible, et ravir nos cœurs tout simplement.

Devant toi Seigneur, les chants de fête et les complaintes sont pourtant aussi légitimes les uns que les autres ; car tu nous accueilles pareillement, lorsque nous chantons, mangeons et dansons, et lorsque nous restons silencieux, à jeun et immobiles. La musique n’est-elle justement pas faite de silences, elle aussi.

Aide-nous à accueillir à notre tour, nos situations présentes ; les nôtres, et celles des autres.
Ouvre-nous à la musique de nos vies, en même temps qu’à la beauté de ton Évangile.
Que grâce à toi, nous trouvions ainsi notre voix.
Et que les jugements qui nous sont naturels, laissent place surtout à ton amour.
Amen

Jésus conclut sa comparaison musicale par cette phrase : « Mais la Sagesse a été reconnue juste d’après ses œuvres. »  Il nous invite ainsi à quitter nos jugements et le souci de nos propres œuvres ; pour tourner nos regards vers l’œuvre d’un Autre, avec un grand A. Œuvre de la Sagesse ; œuvre de Dieu en nous.  Bonne nouvelle ! Cette œuvre-là sonne toujours juste ; au plus près nos cœurs ; en toute circonstance.

Relevés, nous pouvons alors chanter, non plus la chanson des autres qui nous interpellent, mais la nôtre ; celle qui est vraie, authentique pour nous, celle qui vient du fond de notre âme, celle que Dieu chante en nous, avec nous. Comme dans ce psaume familier :
« Que tout mon cœur soit dans mon chant ! » (Psaume 138)

A chacun, ensuite, de trouver son style…
Bonnes vacances à tous !

Claire des Mesnards, Nîmes, 22 avril 2021