“La parole de Dieu est vivante, agissante,
plus acérée qu’aucune épée à deux tranchants”
La parole de Dieu… Chacun met sous ce mot un contenu particulier, qui correspond à sa propre manière de lire la Bible et de croire. Elle nous est donnée, cette parole divine, à travers la voix des prophètes et celle des psalmistes, mais aussi dans les grands récits, dans les paroles de Jésus, puis celles des apôtres. Mais rares sont les tentatives de définition, comme si c’était impossible. L’auteur de l’épître aux Hébreux, lui, contourne l’obstacle en décrivant l’effet de la parole de Dieu sur l’homme.
Car la parole de Dieu est vivante, agissante, plus acérée qu’aucune épée à deux tranchants ; elle pénètre jusqu’à la division de l’âme et de l’esprit, des jointures et des moelles ; elle est juge des sentiments et des pensées du cœur. Il n’est pas de création qui échappe à son regard, tout est mis à nu et offert aux yeux de celui à qui nous devons rendre compte. (Hébreux 4, 12)
Quel beau texte ! mais qui en même temps a quelque chose de terrible.
La parole de Dieu est “vivante et agissante”. L’homme la reçoit dans sa dimension créatrice, performative, c’est-à-dire qu’elle réalise en lui ce qu’elle dit au moment même où elle est prononcée. Elle le transforme. Et puis la parole de Dieu “pénètre” en lui, en nous, comme une épée. Elle peut donc nous blesser, mais surtout elle nous touche au point sensible. Pour définir ce point sensible, l’auteur de l’épître recourt largement au vocabulaire du corps – dans les catégories de l’époque. Ce qu’il retient, c’est l’idée de la “jointure”, du point de séparation entre les parties constitutives de l’être humain : la parole s’introduit là où il peut y avoir une brèche. Enfin, la parole nous “met à nu”, elle met à découvert ce qui est à l’intérieur, elle étire ce qui est en boule, bien caché.
C’est un sentiment que nous connaissons bien : nous sentir soudain tout nus, exposés et sans défense face à une révélation qui fait sauter toutes nos protections. Oui, la parole de Dieu – que nous l’entendions ou que nous la lisions – nous touche, elle nous “connaît”, elle nous perce à jour. Inutile de nous raconter des histoires.
On en trouve un bon exemple dans l’histoire de l’homme riche (Marc 10, 17-22). Vous savez, celui qui a demandé à Jésus : “Maître, que dois-je faire pour hériter la vie éternelle ” et à qui Jésus dit :
« Va, vends tout ce que tu as et donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans le ciel. Puis viens et suis-moi ! » Mais lui s’assombrit à cette parole et s’en alla tout triste, car il avait beaucoup de biens.
L’homme riche a été touché de plein fouet par la parole de Jésus. En fait, il n’était pas mauvais, il était même animé d’un désir authentique d’être fidèle à Dieu. Depuis toujours il avait observé ses commandements, mais il avait l’intuition qu’il pouvait, qu’il devait peut-être, aller au-delà. Et voilà que la parole résonne : “Vends tout ce que tu as et donne-le aux pauvres”. Ah ! pas de chance, c’était là son point sensible : ses biens, ses possessions. Et Jésus l’a trouvé, sa parole a touché juste, elle a mis l’homme à nu à ses propres yeux.
L’histoire finit-elle mal ? Sommes-nous condamnés à nous en aller “tout tristes”, lorsque la parole nous aura touchés ? Finalement, cette parole qui nous perce à jour est-elle vraiment la parole de Dieu ? Est-elle la parole d’amour et de consolation dont nous avons tant besoin ?
Voici ce que je crois. Il est des moments – et ils sont nombreux – où nous avons besoin avant tout d’être consolés, portés, encouragés : la parole d’amour, celle qui se trouve dans nos versets préférés, y répond jour après jour. Mais il est aussi des moments où nous sommes peut-être moins fragilisés, mis en route, en recherche, comme l’homme de notre histoire : ce qui compte alors, c’est d’abord la vérité, la vérité sur nous-mêmes. Il y a là une étape “pédagogique”, qui soutient notre désir de nous approcher de Dieu. La parole “tranchante” est là pour nous aider à une prise conscience : qu’est-ce qui m’empêche d’y arriver ? qu’est-ce qui me bloque ? Et je suis invitée à regarder à l’intérieur de moi. Après viendra le relèvement, et la parole sera là, nouvelle et toujours agissante : « Sois sans crainte, car je t’ai racheté, je t’ai appelé par ton nom, tu es à moi » (Es. 43, 1).
Béni soit Dieu, qui nous parle toujours “à propos”, d’une manière juste, et qui nous aide, pas à pas, sur notre chemin de vie.
Sylvie FRANCHET D’ESPÈREY, Nîmes ,15 avril 2021