Deux hommes.
Deux hommes qui cheminent dans le sable et la boue
de leurs espérances perdues,
dans le soir de leur amour crucifié:
“Nous espérions que ce serait lui qui délivrerait Israël”.
Quoi de plus vide que le verbe espérer, à l’imparfait ?
Puissent-ils le conjuguer un jour, dans le futur de Dieu !
Deux hommes, qui marchent le dos tourné vers Jérusalem ;
le dos tourné vers la croix, vers l’échec.
Deux hommes, qui marchent au soir de leur déception.
Et dans le sable de leur chemin,
va se dresser la présence d’un troisième homme,
Une nouvelle naissance dans ce premier matin du monde.
Une présence signifiée, mais une présence inconnue.
Que dit l’homme ?
Il interroge, il questionne nos vies.
Il nous laisse expliquer nos pauvres certitudes,
ce que nous avions cru comprendre un temps,
ce que nous avons souffert,
ce que nous avions espéré.
Le chemin de la foi est lenteur, approche, questions.
L’homme écoute, et c’est eux qui parlent.
Avec leur langage d’hommes blessés,
Avec leurs mots tremblants, faits de doutes et de culpabilité.
“Nous l’aimions et nous l’avons abandonné !”
Et il ouvre la bouche.
Et ses mots vont à la rencontre des autres mots.
Ils expliquent, ils achèvent.
Ils enlacent le passé de Dieu à leur présent.
Un long cheminement.
Le désert de Moïse et la voix des prophètes.
Un chemin de témoins qui, les yeux entrouverts,
discernaient l’inconnaissable.
Les mots cheminent avec les compagnons.
Mais les mots sont insuffisants,
ils ne sont qu’approche et pierres de lumières.
Ils doivent être accomplis.
Le pain est rompu au déclin du jour.
Sur la table de l’auberge,
des mains prennent le pain,
et les yeux voient enfin l’invisible !
Le pain était rompu, l’autre soir, sur la colline de Golgotha.
Les yeux humains s’entrouvrent sur le mystère.
Le pain partagé dans l’attente du vin.
Signe de mémoire,
mémoire du passé.
Signe d’espérance,
espérance de demain.
Les mots se sont tus.
Le pain est rompu.
Ils s’en sont retournés vers les amis d’hier,
ceux du doute, ceux de l’amitié,
ceux du partage, ceux de l’attente.
Et ils ont écouté au lieu de raconter.
Ils ont fait comme lui : ils ont attendu.
Et après seulement, ils ont parlé.
Ils ont dit le chemin, ils ont dit le sable et le pain.
Ils ont dit le soir, l’entretien ; ils ont dit… la présence !
Et tous se sont tus.
Au-delà des doutes, des questions, des récits,
sur le chemin qui commence aujourd’hui,
sur le chemin qui va de la crèche à la croix,
ils ont entendu la Paix.
Cléopas et l’inconnu cheminaient entre la croix et le pain partagé.
Aux côtés de Cléopas, tu chemines.
Aux côtés de Cléopas, un peuple en marche attend.
Il attend le signe visible de l’amour,
dans la boue de l’aujourd’hui.
Marie-France JAVET, in : La Voix Protestante de Genève, 16 mars 1984.
Proposé par Zohra MOKRI
Récit : Les compagnons d’Emmaüs, Luc 24, 13-35