Parole Bleue 6 /2021

L’Arche de Noé vue par Chagall :

Le Musée du Message Biblique Marc Chagall de Nice offre au visiteur une interprétation picturale intéressante du récit de l’Arche de Noé. D’une manière symbolique et narrative, ce récit de Genèse 6 à 9 évoque la traversée d’une crise climatique, sanitaire si l’on voit le nombre de morts, et sociale puisqu’il y va de la survie de l’humanité. Il y est mention d’un confinement nécessaire dans l’espace réduit d’une Arche et d’un questionnement tout aussi vital sur la manière humaine de se tenir dans le monde et devant Dieu. Tout cela ouvre en moi le désir de repartir à l’exploration de ce tableau de Marc Chagall pour en souligner les aspects qui me saisissent, m’interpellent, me déplacent.

La première surprise que réserve le tableau de Chagall vient du point de vue retenu par l’artiste. En effet, contrairement aux autres peintres, Chagall choisit de ne pas représenter l’Arche vue de l’extérieur, à partir d’un point de vue surplombant qui ne peut être que celui de Dieu, mais plutôt vue de l’intérieur. Le spectateur fait ainsi corps avec l’humanité rassemblée dans la fragile embarcation, il en partage les peurs, les questions, et les espoirs. De simple observateur, il devient rapidement sujet de la scène, membre à part entière de cette histoire humaine en danger et de cette création en devenir. Il se découvre concerné, attendu, rencontré par un texte biblique qui ne parle que de lui !

Dans le tableau, le bleu-vert qui symbolise l’eau du déluge prédomine. Cette eau, objet de toutes les craintes, a absolument tout submergé, toutes les pensées, tous les discours, tout l’horizon d’une espérance ballotée au gré des vagues d’un océan d’angoisses. L’humanité baigne dans un univers devenu aquatique !

L’humanité réunie dans la partie droite du tableau ne constitue qu’une partie de la création rassemblée dans le projet de salut de Dieu que constitue l’Arche. La gauche et le bas du tableau nous rappellent que le salut ne se fera pas sans les autres êtres vivants, sans une attention portée sur l’ensemble de l’écosystème dans lequel l’homme a sa place au même titre et à côté de la diversité du règne animal.

Une fenêtre occupe le centre du tableau. Elle représente la seule ouverture de la frêle embarcation sur l’extérieur. Mais, surprise, aucune lumière ne vient de l’extérieur via cette fenêtre. La lumière vient de l’intérieur de l’Arche : en haut du tableau, une lueur, une espérance, portée par un ange commence à apparaître. A partir d’elle, un halo blanc descend à l’intérieur de l’Arche. Ce halo symbolise pour Chagall la nuée, c’est-à-dire la forme que prend la présence de Dieu dans le livre de l’Exode pour accompagner le cheminement de l’humanité dans ses bons comme dans ses mauvais jours. La présence de Dieu n’est donc pas extérieure, lointaine, dans les cieux. Elle est toute proche, elle se fait compagnon des réfugiés de l’Arche, solidaire de la création ici rassemblée !

Eclairés par ce halo, les personnages et les animaux du tableau s’animent et reprennent vie. La couleur sur le bras levé d’une femme, le rouge d’un bouc et le jaune d’un cerf, témoignent du retour progressif de la lumière et de la chaleur.

Peu à peu les visages s’égayent, la confiance et la joie reprennent le dessus. Au milieu de la foule, une femme porte un enfant qui a les bras en croix, dans une position christique, image de la vie plus forte que la mort.

Noé, le visage serein lâche, ou recueille, on ne sait pas, la colombe par la fenêtre. Elle reviendra une première fois, les eaux couvrant toujours la terre, une deuxième fois avec une feuille d’olivier dans le bec, les eaux ayant baissé.

La troisième fois elle ne reviendra pas, la terre étant redevenue habitable… Le salut prend du temps, il questionne et éprouve notre espérance.

Évidemment, les souffrances et les détresses vécues durant la traversée de cette crise ne sont pas oubliées. En bas à gauche du tableau, à côté d’un poisson qui monte, le corps d’un homme descend, victime malheureuse, une parmi tant d’autres, du déluge qui a tout emporté !

Cependant l’espérance reste la plus forte, nourrie d’une relation appelée à se renforcer entre Dieu et son peuple. Une relation symbolisée dans le coin supérieur gauche du tableau de Chagall par l’échelle de Jacob en haut de laquelle un ange les bras tendus attend et espère celui ou celle qui aura le désir de s’approcher. D’ailleurs déjà s’avance sur ce chemin un homme avec un enfant ou un plus fragile sur ses épaules.
Clin d’œil de l’artiste, comme pour nous dire que notre salut individuel ne se fera pas sans une réflexion éthique sur notre manière de nous tenir en relation les uns avec les autres, parmi les vivants et devant Dieu.

 

Lionel TAMBON, Nîmes, le  25 février 2021

Illustrations : fragments d’un tableau de Marc Chagall