Dans ce passage de l’Evangile de Jean (chapitre 9), après avoir guéri un aveugle de naissance, Jésus est interpellé par l’entourage de l’aveugle : pourquoi la maladie ?
Jésus répondit : Ce n’est pas que lui ou ses parents aient péché ; mais c’est afin que les œuvres de Dieu soient manifestées en lui. (Jean 9, 3)
« Mais c’est afin… »
Il s’agit d’une infirmité, d’une maladie, d’une faille. Et les disciples cherchent le sens du côté du pourquoi. Tout entiers absorbés par l’amont.
Ils croisent un aveugle de naissance :
– Rabbi, qui a péché, lui ou ses parents, pour qu’il soit né aveugle ?
Question étrange étrangère à Jésus. Le pourquoi n’est pas une direction, c’est un contre-courant, un contretemps : il fait remonter les choses vers leur révolu, vers un passé où elles n’ont plus place à prendre.
Le pourquoi éloigne trop de l’enjeu du maintenant. Pourquoi mortifère. Au pourquoi Jésus préfère le pour quoi. Le pourquoi est la provenance, le pour quoi la destination. L’allemand dira wozu, l’anglais what for, et on verra devant soi un chemin que la question profile avant même la réponse.
Pourquoi dépensons-nous tant de temps, d’énergie et de réflexion dans le pourquoi ? Parce que nous avons peur. Nous avons peur de cet aveugle qui nous rappelle que nous pourrions être privés, nous aussi. Nous avons peur de ces malades, de ces infirmes, de ces accidentés : nous avons peur du sort. Et plus encore : nous avons peur de l’arbitraire du sort.
Le ‘pourquoi ‘menotte l’infirme à sa destinée et sa destinée à l’infirme : elle ne se déliera pas de lui pour se lier à moi, si je trouve le pourquoi.
Vaine tentative de l’homme de rationaliser le sort, de le maîtriser, le museler, le forcer par les systèmes explicatifs du mal. Systèmes étranges étrangers à Jésus. Pas d’espace, dans ce cloisonnement, pour l’esprit de liberté qui agite ses poumons et attise sa parole.
Jésus ignore le pourquoi et répond au pour quoi que les disciples n’ont pas posé : Ce n’est pas parce que… Mais afin que…
Déviation : du courant qui remontait vers l’amont, Jésus détourne l’absurde vers une destination.
J’ai entendu un jour une jeune femme de vingt-neuf ans médicalement condamnée me dire :
– C’est un peu comme si je m’étais égarée : je ne suis certainement pas sur le bon chemin. Mais maintenant que je suis là, autant regarder le paysage.
Le sort s’étant déjà pleinement abattu sur eux, les malades n’ont plus besoin de le contenir dans les systèmes ficelés : plus rien à assurer, plus rien qui puisse rassurer. Comme les dépouillés n’ont plus besoin de fermer leurs portes à clef. A la suite de Jésus, ils abandonnent le pourquoi sur le bord du chemin et voyagent, plus légers, dans le monde infini du sens à créer, à recréer. A RECEVOIR.
Ce n’est pas parce que, mais c’est afin. De découvrir peut-être des paysages insoupçonnés.
Maurice JOURNÉE, Nîmes, le 11 Février 2021.