Spectaculaire ou ordinaire ?
Une prédication de Noël à deux voix
Grandiose … (Olivier Rieusset )
Dernièrement, mes enfants (qui sont de grands adolescents) ont eu la bonne idée de me proposer de les accompagner pour voir le dernier Spider-Man. Quelle idée !
Quoi qu’il en soit de la qualité artistique de ce film (qui de toute évidence tombera très vite dans l’oubli !), je retiens une scène, que je voudrais mettre en parallèle avec le passage que nous venons de lire. C’est vers la fin du film (encore faut-il résister jusque-là !) : quand le sorcier, le fameux Doctor Strange, se retrouve perché sur la tête de la statue de la liberté, en train d’orchestrer un tour spectaculaire et fantastique au plus haut point. Il se trouve au centre d’un combat cosmique : il s’agit rien de moins que de colmater les fissures de l’espace-temps, pour éviter que ne surgissent dans notre univers des monstres titanesques effrayants, dont on aperçoit déjà les ombres. Cette scène donne lieu à un déferlement d’effets spéciaux : la terre se retrouve plongée dans l’obscurité, une épaisse fumée, des tonnerres, du feu, le ciel est brisé, fissuré de tout son long, comme une immense crevasse d’où jailli un feu, de la lave ; le tout accompagné d’une fond sonore assourdissant : bref, on en prend plein la vue et plein les oreilles !
Pourquoi je vous parle de ça ? Eh bien j’ai pensé à cette scène en lisant ce texte, précisément au moment où l’ange s’adresse aux bergers en leur disant : « Soyez sans crainte, car voici, je viens vous annoncer une bonne nouvelle, qui sera une grande joie pour tout le peuple. Il vous est né aujourd’hui dans la ville de David, un Sauveur, qui est le Christ Seigneur » (Lc 2, 10-11). À ce moment-là, les bergers devaient s’attendre à quelque chose de vraiment extraordinaire : la venue du Messie était attendue comme un évènement de dimension cosmique, un évènement grandiose, sans commune mesure avec le cours ordinaire des choses. En écoutant cette annonce, ils devaient s’attendre à une apparition explosive, éblouissante, étincelante. De la même manière, si un ange annonçait à des adolescents de notre époque, un évènement similaire à ce que représentait la venue du Messie pour ces bergers, sans doute ils s’imagineraient quelque chose comme cette scène monumentale de Spider-Man. C’est vrai que dans l’Ancien Testament, on trouve des récits où Dieu se manifeste de façon parfois très puissante et très spectaculaire. C’est ce qu’on appelle une théophanie : une apparition (ou une manifestation) de Dieu. Par exemple, dans le livre de l’Exode, lorsque Dieu se révèle à Moïse sur le Mont Sinaï, juste avant de lui dicter les Dix Commandements (Ex 19, 16-20). Ou encore, lorsqu’Élie est enlevé au ciel, sur son char de feu (2 Rois 2, 11).
anges -art baroque, Michaëler Kirche-Vienne
À travers ces exemples, on comprend bien que les bergers devaient s’attendre à quelque chose de ce genre. Alors quand l’ange a commencé à leur parler du Messie, ils devaient se dire : « si c’est le Messie qui doit apparaître, alors on doit s’attendre à un truc énorme, extraordinaire, étincelant, extrêmement bruyant. Du feu, des trompettes, un tremblement de terre, de la fumée, bref on va en prendre plein la vue et plein les oreilles ! »……
Eh bien non ! Pas du tout ! C’est exactement le contraire. L’ange poursuit son annonce, qu’on pourrait reformuler ainsi : « Le Messie Sauveur vient ; il est même déjà là, il est déjà arrivé, à côté de chez vous. Mais son arrivée, sa venue au monde a été tellement discrète que vous ne vous en êtes même pas aperçu ! Vous vous attendiez à quelque chose d’extraordinaire et de spectaculaire : détrompez-vous ! Le Messie que vous attendiez est venu comme un bébé, un tout petit bout d’homme, un petit bout de chair fragile. Et vous le trouverez à côté de chez vous, dans votre village, Bethléem. Et vous ne le trouverez même pas dans une maison, mais dans une simple étable, au milieu des animaux, couché…. dans une mangeoire !
….ou ordinaire (Titia Es-Sbanti)
Une mangeoire en guise de berceau ? Pour un Roi et Seigneur, quel culot ! On passe du ciel à la terre, du spectaculaire à l’ordinaire : oui, quel drôle de faire part de naissance de nous annoncer que Celui qui nous sauve naît au ras du sol, au ras des pâquerettes !
Ce qui me frappe toujours c’est de voir à quel point la tradition chrétienne et la société toute entière a intégré cette donnée, presque comme si ça allait de soi, comme s »il n’y avait rien de choquant..
C’est que depuis 2000 ans nous chantons la royauté absolue du Christ : « Jésus Roi des rois, seigneur des seigneurs, gloire, alléluia… » dit un des cantiques de nos écoles bibliques. Les mots participent d’ailleurs à cette représentation : le mot « crèche » est préféré à la mangeoire. Les parents disent à leurs enfants : « venez, on va faire la crèche» et non pas : ‘venez, on va faire la mangeoire ! ‘
Avec le temps, avec la tradition, le folklore, notre inconscient collectif s’est forgé une scène d’ allure fort sympathique avec des visiteurs admirateurs en tous genres et des animaux pourtant absents du récit biblique..En fait, la représentation de la Nativité a été tellement enjolivée qu’elle a écarté l’idée que cette naissance puisse avoir quelque chose de choquant, ou de scandaleux.
Imaginez la scène aujourd’hui : on vous fait visiter une étable, et vous tombez nez à nez sur un nouveau -né posé …dans une mangeoire, avec un père et une mère assis à ses cotés. Que feriez-vous ? « Il y a de fortes chances, me dit un jour un ami travailleur social, que par compassion j’appelle les services sociaux pour venir aider cette famille dans le besoin… »
Et pourtant, on admire, on s’extasie.. Cette naissance qui respire pourtant la précarité, on trouve ça beau, adorable, émouvant. La scène a même été sacralisée au cours de l’histoire de l’Eglise : ainsi, la tradition catholique parlera de la « Sainte crèche » . Les protestants quant à eux, n’aiment pas trop la sainteté, cela ne les empêchera pas elle n’a pas eu de problème pour chanter à plein poumons que non seulement le fils de Dieu mais son étable ,sa paille, sa mangeoire sont adorables..
Tout cela n’est-il pas un peu exagéré ? Le récit de l’évangéliste Matthieu, lui, est bien plus sobre : il fait naitre Jésus dans une maison, point barre. Pas d’autre précision : ni pauvreté ni étable. C’est plutôt clean et brillant avec l’intervention des mages et leurs coffrets- cadeaux !
Mais alors, me direz vous, pourquoi Jésus est-il né dans une mangeoire ? « Pour nous faire parler », me dit un grand père cévenol. Et bien c’est réussi !
Plus sérieusement :
Si on regarde le récit de plus près, on constatera que ses parents auraient bien aimé un meilleur atterrissage, mais que c’est faute de mieux : «Marie accoucha de son fils 1er né , l’emmaillota et le déposa dans une mangeoire parce qu’il n’y avait pas de place pour eux dans la salle des voyageurs. Pas de place à Bethléem. Voilà la première explication : toute la ville, les hôtels, les centres d’hébergements affichent COMPLET. Même à une femme enceinte sur le point d’accoucher. La naissance de Jésus , loin du confort, des lumières et des projecteurs, s’inscrit dans cette sentence : « Pas de place pour accueillir le Fils de Dieu ». Le monde ne veut pas de lui. Voilà un premier message : ce petit enfant, à peine né, n’est déjà pas le bienvenu, et laissé dehors. Ce petit squatte une mangeoire, parce qu’il n’y a pas de place pour lui ailleurs. En réalité, cet enfant est de trop.
La mangeoire nous dit que cet enfant surnommé Roi du monde, Prince de la paix, Sauveur et Seigneur n’est pas né dans un palais, et qu’il sera toujours en décalage par rapport au monde, et même : « un signe de contradiction aux yeux de tous » (selon le vieux Siméon) pour nous interroger au plus profond de nous -mêmes.
Mais il y a autre chose : en l’emmaillotant, Marie aurait pu le poser contre elle, ou le blottir dans des couvertures. Le fait de le déposer dans une mangeoire ce n’est pas (que) pour le réchauffer, c’est aussi un clignotant de la part de l’évangéliste Luc, une manière de nous dire : »attention, c’est moi qui souligne », pour attirer l’attention de ses interlocuteurs .Les bergers d’abord : un nouveau né qui nait dans une mangeoire, ça leur parle. C’est comme s’ils nous disaient : » Vous ne comprenez donc pas ? Pour nous bergers, c’est clair, la mangeoire c’est notre outil de travail, notre vie de tous les jours, on ne connaît que ça ! Voilà que Dieu se manifeste au coeur du quotidien des humains, de ce qu’il y a de plus familier. Oui mais quand-même, me direz- vous peut -être, la Parole de Dieu déposée dans une gamelle à bestiaux, ce n’est pas très glamour ! C’est vrai… En même temps, ne sommes -nous pas devenus aussi trop urbains, trop éloignés de la terre pour apprécier, pour comprendre ?
Si nous nous penchons sur ce récit comme on se penche sur un berceau, nous nous apercevrons que pour décrypter le sens de ce faire part de naissance dans une mangeoire, nous n’avons pas besoin d’un décodeur car la scène est flagrante : le nouveau-né nommé Jésus, posé dans une mangeoire signifie qu’il EST nourriture pour le monde ! Il y a là quelque chose de très concret : non seulement Jésus est né, mais sa personne, sa vie toute entière, son message nourriront le cœur de tous les croyants qui se tourneront vers lui.
Le Christ Jésus est nourriture pour notre foi, pour notre façon d’être et d’espérer..Il EST le pain de vie, descendu du ciel. Il ne s’agit pas de lui obéir comme à un roi, ni d’apprendre par cœur ce qu’il dit , mais de se nourrir de sa Parole.
Faut-il le rappeler : rien n’est laissé au hasard, Jésus est né à Bethléem, et ce nom signifie en hébreu «maison du pain ». Ainsi donc, à Bethléem, notre Père qui est aux cieux vient sur la terre. Et la mangeoire nous permet de dire en ce jour de Noël : Dieu entre dans ta vie , Il fait de ta vie le berceau de sa Parole.
Amen
Prédication de Noël à deux voix, le 25/12/2021, temple de Saint -Césaire, Nîmes.