Le ver est dans le fruit

Dans la Bible comme dans la vie, on en voit parfois des vertes et des pas mûres..Tenez : prenez cette histoire qu’on vient d’entendre dans les premières pages de la Bible. II faut le faire : tomber sur un serpent en plein jardin d’Eden  ! Vous étiez au courant qu’il était possible de faire de mauvaises rencontres au paradis ? Et puis, vous en connaissez beaucoup, des serpents qui parlent ? Franchement, quelle drôle d’histoire. A moins que ce serpent ne soit un clignotant (à sonnettes !) ou un avertissement du style :   »ce numéro d’appel  ne figure pas dans vos contacts » .

C’est un peu comme avec  les animaux de Jean de la Fontaine : ses fables pleines d’ironie ont une intention précise et personne ne se dit –  leur lecture-  mais enfin, un renard flattant un corbeau tenant en son bec un fromage ça n’existe pas. Pareil pour le serpent du récit dans la Bible. Sa présence a une  une fonction particulière – on verra laquelle –
En attendant il est utile de resituer ce très vieux récit ultra célèbre, poétique, et haut en couleur. Et de nous méfier des « serpents » (courants)  « créationnistes »  qui prennent ce texte pour un document scientifique.  Car ce qui intéresse les auteurs de cette histoire, c’est d’essayer de répondre à la question du sens, du  » pourquoi »  et non du  »comment ». Pourquoi sommes -nous là, sur la terre : est-ce le fruit du hasard ? Quelqu’un a t-il un projet pour nous ou sommes nous seuls dans ce vaste monde, libres de gambader et de faire ce qui nous plait quand ça nous plait, sans avoir à tenir compte de personne sinon de nos envies personnelles ? Sommes -nous sous la coupe du Destin ou sommes-nous promis à une destination ? Sommes-nous consommateurs ou serviteurs ? Est-ce que tout est possible ou y a t-il des limites pour que l’humanité ne parte pas en vrille ?

Ce récit biblique met le doigt sur beaucoup de choses . Je n’en retiendrai que quelques -unes :

Premièrement : la tentation permanente qui est la nôtre de fuir nos responsabilités. Adam et Eve font penser à des enfants dans une cour de récréation ou face à leurs parents, comme s’ils étaient pris la main dans le sac. Vous l’avez entendu : Lorsque Dieu interroge Adam, celui ci répond : c’est pas moi c’est elle. Interrogée à son tour, Eve répond  : c’est pas moi, c’est le serpent.  Alors on se dit : eurêka, j’ai trouvé, le problème c’est le serpent ! Sans lui, tout serait bien allé dans le meilleur des mondes.
Enfin….non
, en fait ça ne colle pas. Parce que le serpent fait partie de la création , il a été créé par Dieu au même titre que les autres animaux ! Par conséquent , le VER est dans le fruit -comme on dit.

Mais comme évoqué au début, ce serpent qui parle renvoie à autre chose qu’à lui-même. Il sert de poteau indicateur. Tout comme dans le code de la route, le feu rouge et le feu vert font signe. Sauf que  le serpent de notre histoireil joue avec le feu. Il joue …parce qu’il s’ennuie mortellement au jardin d’Eden ??

Deuxièmement : Le discours du serpent , premier grand Influenceur. Voyez ce qu’il dit à Eve : vraiment,  Dieu vous a t -il dit de ne manger d’aucun arbre du jardin ? Cette question est un mensonge. Le serpent déforme volontairement la parole que Dieu adresse à Adam et Eve. Nous avons à faire ici au premier Fake-news de la Bible car Dieu n’a pas dit cela. Le récit raconte qu’ Il a planté un jardin où il a fait pousser des arbres fruitiers innombrables et resplendissants; et ce jardin est offert à Adam et Eve. Cadeau. Dieu aurait pu choisir un terrain vague où tout était à faire.  Or, ici, l’abondance est au rendez-vous. Il y a des tonnes de fruits à manger, et de l’eau à gogo ! Il y a même des arbres à fruits qui donnent des « pépins», dans tous les sens du mot. Bref, Dieu leur donne tout cela,  toutes ces richesses,  tout …sauf UN arbre. Mais le serpent se délecte à caricaturer la consigne divine. Au lieu de saluer la générosité de ce qui est donné par Dieu en abondance, il pointe ce qui est interdit. Pourtant, combien y avait-il d’arbres : dix, cent, mille, dix mille ? Allez savoir ! S’il y avait eu mille arbres, le commandement aurait été : tu peux manger des 999 arbres mais pas du dernier. Autrement dit : Le permis est 1000 fois plus important que l’interdit !

Mais, que voulez-vous, il n’ y a rien à faire ..Quand la manipulation est au rendez-vous, elle nous détourne avec insolence de l’essentiel.  Ainsi : à la place de la  louange et de la reconnaissance pour toute cette abondance, c’est l’interdiction d’un seul arbre qui exerce sa fascination auprès d’Eve et d’Adam.  Le serpent dit en quelque sorte à Eve :   »hé, t’as vu cet arbre là -bas, au milieu du jardin ? Et bien voilà,  tu ne peux pas en prendre ».  On pourrait actualiser son discours de la façon suivante :  »oh la la,  tu ne sais pas ce que tu rates : les fruits de cet arbre -là sont divins ! Tu ne peux même pas imaginer : c’est un autre monde qui te tend les bras. Ce que tu as, ce que tu es aujourd’hui, c’est rien en comparaison de ce qui pourrait exister : si tu goûtais de cet arbre,  tu n’aurais plus de régime alimentaire à suivre, plus de crème anti-âges à mettre, plus de mots croisés à faire contre Alzheimer, plus d’examens à passer : tout ça sera résolu car tu sauras TOUT et tu pourras TOUT. Mieux que l’IA. Tu auras la pleine connaissance en pleine conscience. Oui : goûter à cet arbre- là te permettra de maîtriser la vie. Adam et toi, vous serez comme des dieux. Franchement, Eve : tu ne sais pas ce que tu perds à ne pas essayer  !
Connaissez-vous le slam du serpent qui siffle ?
Je n’ai pas de paupière /je dors les yeux ouverts.
J’aime vous endormir /c’est là tout mon plaisir.
J’avance en rampant /lentement et sûrement.
Je me faufile et je me glisse dans vos esprits.
A
ctif sur vos réseaux / pour moi ce n’est jamais trop
Je siffle et je persifle. Vous me craignez un peu, mais je vous attire.
Je joue à fond sur la séduction/pour vous inciter à la surconsommation.
Le jardin d’Eden /c’est mon domaine ;
Je peux vous y amener / j’aime les questions qui font douter.
Le paradis, je peux vous y abonner/ pour l’éternité si vous voulez
Cliquez /et dans l’instant vous serez prélevé.
Que rien ne vous arrête /Car du monde vous êtes le maitre…

 

Et c’est ce qui va se passer dans notre récit . Je cite : Eve « voit que l’arbre était bon à manger et séduisant à regarder. Elle en prend un fruit qu’elle mange et elle en donne à Adam. Alors, leurs yeux s’ouvrent ; ils voient qu’il sont nus ; ils découvrent la honte et se cachent ».
Et bien dis donc : c’est ça la promesse du serpent qu’ils deviendraient comme des dieux ?  Franchement, c’est décevant !
Par contre
avec cette prise de conscience de leur nudité et le désir de se couvrirAdam et Eve accèdent à ce qui s’appelle : la pleine humanité. A la découverte non de la toute -puissance mais de la vraie fragilité.  Ils apprennent qu’être humain ce n’est pas tout avoir ni tout pouvoir. Une limite salutaire est posée. Le code couleur : feu rouge et feu vert – s’il est respecté – permet à chacun de vivre  en relation sereine et heureuse avec les autres.

Il  ne leur reste plus qu’ apprendre la louange et la reconnaissance. Car la gratitude est le meilleur remède à la convoitise. Il s’agit de se rendre compte que TOUT leur a déjà été donné pour vivre  : compagnie, nourriture et liberté de suivre ou non ce que Dieu leur demande.

Le récit se poursuit par une question :  es tu ? demande le Seigneur. Ou plutôt : où en es-tu  ? Qu’as- tu fait de ce que je vous ai donné  ? As-tu déjà oublié ce jardin ? Et tous ces arbres fruitiers, les as tu seulement regardés ?

Oui, dans un monde dominé par la convoitise, le pouvoir, la violence et le désir de toute- puissance, Quelqu’un se fraye un passage pour nous demander où nous en sommes. Evitons la fuite en avant et prenons le temps de l’écouter et de lui dire MERCI.

Seigneur , je sais que l’herbe n’est pas plus verte ailleurs. Mais elle le sera davantage dans ma vie si j’apprends à la regarder, à l’apprécier, à la ruminer, et à la partager avec ceux et celles dont la vie difficile ou ravagée  s’est  transformée en  terrain vague.

Pour reprendre une parole du Christ à notre compte,  on pourrait conclure ainsi : A chaque jour suffit ce que Dieu nous donne ».

Amen

Titia Es-Sbanti

 

 

 »Samedi caté » , culte  intergénération
Temple du Mas des abeilles, 17/05/25

Texte biblique : Genèse 2 et 3