Consommer ou admirer ? La terre nous offre encore à manger , alors au lieu d’engloutir ce qu’elle produit comme un gros sandwich, Luther nous invite à nous émerveiller de ce qui pousse et que nous donne le Créateur. C’est toute la différence entre avaler et se régaler.
Au coeur de l’hiver, le réformateur Martin Luther, fait entendre à ses paroissiens,dans un vocabulaire imagé, ce que le printemps lui inspire. Ces mots ont été écrits le 22 décembre 1532 :
« …Descends donc à cette heure au jardin ; regarde où en sont les choses et ce qu’il en est de la croissance des plantes et des différents arbres, et tu verras que tout est complètement mort. Mais il en est tout autrement, si tu y vas à l’approche de l’été; cela verdit et fleurit ; tout n’est que joie et vie en comparaison de cet hiver de rigueur et de mort. Si nous ne l’avions jamais vu auparavant, ne penses-tu pas que tirer d’un petit grain ce beau pommier ou ce cerisier, qui produisent mille pommes pour un seul pépin ou noyau, serait une œuvre ou un miracle aussi grand que la résurrection ?
Mais cela, on n’est pas forcé de le voir ni d’y faire attention; au contraire on passe son chemin et on se contente d’engloutir et d’avaler tout ce qui pousse, exactement comme un porc court à travers champs ou se vautre dans le jardin et engloutit tout ce qu’il trouve. Mais que celui qui est un porc reste un porc ! En effet, cette image n’est pas faite pour les porcs mais pour ceux qui sont chrétiens, afin que, voyant ces belles fleurs et ces beaux fruits, ils y trouvent leur plaisir et leur joie et qu’ils disent : « Oh, quelle merveille de voir tout verdir, fleurir et pousser si admirablement, alors que tout était horrible et lamentable il y a six mois, quand tout était gelé et mort dans la terre. Faut-il qu’il soit généreux, le Dieu capable de tirer d’un hiver mort des choses aussi belles et vivantes ! Mon cher, quelle est ici l’intention de Dieu et qu’est -ce que cela signifie ?
Car sans nul doute c’est pour nous que tout cela est fait, afin que nous apprenions à le connaître par là ; c’est pour nous que cette œuvre nous est présentée comme un signe prophétique de ce qu’il veut faire de nous pour qui il a créé tout cela. En effet, lui qui a fait chaque année de si belles plantes nouvelles à partir d’une semence ou d’un noyau morts, fera assurément bien davantage avec nous quand nous serons, nous aussi, enfouis sous la terre et que viendra le moment où commencera un éternel été et où nous réapparaitrons beaucoup plus beaux et plus magnifiques.
C’est ainsi que les chrétiens parlent avec les arbres et avec tout ce qui pousse sur la terre, et réciproquement. Ce qu’ils voient dans ces créatures, ce n’est pas la nourriture à engloutir comme des porcs, mais l’image de l’oeuvre que Dieu veut accomplir pour nous. Ils y saisissent cet article de foi comme un précieux trésor, enveloppé dans un beau mouchoir et destiné à fortifier et à conforter grâce à lui notre foi préalablement fondée sur l’Ecriture.
En effet, ceux qui ne possèdent pas la Parole voient bien comment Dieu, dans la création, fait tout surgir de la mort, ainsi que les philosophes païens l’ont bien vu et décrit ; ils n’en sont pas moins incapables d’y voir cette vérité et d’en déduire que cet article de foi s’y trouve illustré. C’est pourquoi nous devons prendre à cœur cette image de saint Paul pour bien nous imprégner de la résurrection et pour bien apprendre ce nouveau langage céleste….. » (1)
Ne faisons pas du printemps, métaphore de la résurrection, une banalité. Ouvrons les yeux. Le regard de la foi change tout et nous fait passer de l’ordinaire à l’extraordinaire.
Merci Martin d’avoir rappelé , dans la tourmente du 16ème siècle qui fut le tien, la force de l’émerveillement.
La crise sanitaire a plongé beaucoup de gens dans la précarité et certains, parmi eux, sont allés, la mort dans l’âme, chercher un colis alimentaire aux restos du coeur, ou ailleurs..
La nourriture nécessaire pour vivre est aussi un sujet de louange et de reconnaissance : le confinement aura au moins rappelé cela à ceux qui n’ont pas manqué.
Titia Es-Sbanti
(1) Ce passage de Luther est cité par le journal Réforme n° 3845-avril 2020
Photos 1-2-4 : Le pommier de Luther, jardin du temple du Mas des Abeilles, planté en octobre 2017..