C’est le récit de deux frères et d’un meurtre. On la trouve dans les premiers chapitres de la Bible (Genèse 4) histoire de nous rappeler que la violence est première..Malheureusement, on le savait !
Caïn est le fils aîné d’Eve et Adam. Se sont-ils aimés, ces premiers ‘parents’ ? On n’en sait rien. Le jardin d’Eden n’est pas une histoire d’amour , il raconte le désir de toute-puissance et le refus de la limite. Les conséquences se se font pas attendre : l’expulsion du jardin, et, quelques pages plus tard, un crime. Décidément, l’humanité est très mal partie.
En hébreu, le nom de Caïn se rapproche de la notion de possession, d’acquisition. Eve s’émerveille à sa naissance avec une exclamation déconcertante : « j’ai acquis un homme grâce au Seigneur » (au secours, monsieur Freud). Sans transition, le récit mentionne la venue d’un second fils : Abel. Cette fois, sans commentaire, un peu comme on dirait : au suivant !
Caïn est cultivateur et Abel berger. Deux fonctions bien distinctes qui auraient pu éviter la comparaison et la jalousie. Mais cela finit très mal : dans la violence et la mort.
Premier choc : un fratricide, Caïn a tué son petit frère !
Deuxième choc : Caïn a beau avoir du sang sur les mains, il s’enfonce dans le mensonge par dessus le marché. Lorsque Dieu lui demande où est son frère, il répond ces mots terribles : «je ne sais pas ».
Troisième choc : l’indifférence coupable : suis je le gardien de mon frère ? Sous-entendu: ‘c’est pas mon problème’. Ça fait beaucoup pour un seul homme !
Et ce n’est pas fini : il y a autre chose de fort troublant dans cette histoire, c’est le choix de Dieu qui considère l’offrande d’Abel et pas celle de Caïn. Vous y comprenez quelque chose, vous ? N’est-ce pas très injuste ? Deux frères font un cadeau à Dieu (comme cela se faisait en ce temps- là) et voilà que le Seigneur regarde à l’un et pas à l’autre. Abel est le chouchou de Dieu. En tous cas, c’est comme ça que Caïn le ressent et ça le met hors de lui. Humilié, Caïn a le regard abattu. Il en « perd la face », dit le texte. Il brûle de colère. Et c’est là que tout bascule, la relation avec son frère va dégénérer.
Il y a là un gros point d’interrogation : pourquoi l’offrande de l’un est-elle acceptée et pas l’autre ? Avec les enfants, on a essayé d’y réfléchir au samedi caté…Et bien, l’histoire ne nous dit rien ! Aucune explication. Beaucoup d’historiens et de théologiens savants se sont penchés sur ce récit. Certains ont dit : Dieu préfère les animaux que les fruits et légumes ! D’autres ont dit : il y a cadeau et cadeau,tout est dans la manière de faire. Ainsi, Abel aurait donné ses plus beaux agneaux, alors que Caïn n’aurait donné que «des» produits de ses récoltes. D’autres encore ont dit : ça doit être une question de foi : Abel était plus croyant que son frère, il a mis toute sa foi dans son offrande à Dieu, alors que Caïn a fait un geste automatique. (Héb 11, 4).
Oh la la, tout cela n’est pas très convaincant.. Il faut dire que nous n’aimons pas ne pas comprendre. N’avoir aucune explication nous déconcerte. Cela dit, nous avons eu beau chercher, nous n’avons rien trouvé, car le récit …ne dit rien. Ce « rien » est assourdissant. Il y a de la violence non seulement dans le meurtre mais aussi dans ce silence d’Abel et sa passivité. C’est un silence criant.
Or, même si cela nous déplait, il nous faut respecter le silence du texte, ne pas essayer de le combler, laisser ouvert un espace de compréhension et d’interrogation…Et si cette histoire nous était contée non pas pour trouver une explication à des situations d’injustices mais pour nous éclairer sur l’origine de la violence qui déchire la terre ? Interrogeons-nous : qu’est-ce qui nous rend si violents les uns avec les autres ? Comment sortir de la violence ? Quelques pistes :
1) Le danger de la comparaison
Nous sommes tous tellement semblables et en même temps si différents ! Aucun de nous n’est pareil aux autres et l’on peut vivre cela comme une diversité heureuse. Mais cet état de faits peut aussi susciter rancœur, jalousie, haine, voire : envie de se débarrasser de l’autre. Et pourtant, si vous regardez bien, vous verrez que Dieu parle tout le temps à Caïn, Il est en relation personnelle avec lui. Mais Caïn ne l’entend pas. Qu’il est difficile de supporter la réussite de l’autre ! C’est malheureusement classique : l’herbe est toujours plus verte chez le voisin. Se comparer à l’autre, vouloir ce que l’autre a. De force, s’il le faut. Non, la violence n’est jamais loin…
2) Des maux, faute de mots
Avec le jeu de la barrière, les enfants ont découvert combien les mots étaient importants. Des mots capables d’ouvrir les portes et les cœurs les plus fermés, des mots qui peuvent faire tomber les barrières et ouvrir au dialogue, au partage, à l’écoute, à la confiance : autant de « mots- clés » que les enfants devaient découvrir dans le jardin. Ainsi,Caïn aurait pu aller parler à Abel, lui dire ce qu’il ressent. Abel aussi d’ailleurs, voyant la détresse de son frère… Mais la parole n’a pas circulé pas entre eux !
Le texte nous le montre d’ailleurs de façon étonnante (verset 8) : les deux frères vont dans les champs, et ensuite, on lit : Caïn dit à son frère Abel : ….
Oui,vous avez bien vu : trois petits points et…. rien ! Pas un mot, pas une question, rien que le meurtre, immédiatement. Submergé par la violence, Caïn est incapable de parler. La colère et la jalousie sont telles qu’il ne peut entrer en dialogue, il peut seulement cogner. Parler, c’eût été ouvrir la main. Mais sa main se ferme et se transforme en poing.
Ça nous parle à nous aussi ! Quand, au lieu d’exprimer ce que nous ressentons par des paroles, des mots, un lien, une relation, nous gardons tout au fond de nous, jusqu’à ce que ça explose. Or, sans parole échangée, sans communication, sans acceptation de la différence, notre rapport aux autres bascule dans la violence.
Entre peuples, entre générations, entre convictions, entre chacun de nous, la parole est le meilleur remède à la violence.
3) La persévérance.. de Dieu
Caïn décroche mais Dieu s’accroche. En effet, quand Caïn est plein de colère, que fait le Seigneur ? Il lui parle. Il lui dit de faire attention, de ne pas se laisser envahir, de maîtriser son instinct. Mais Caïn n’écoute pas. Après l’assassinat d’ Abel, Dieu lui parle une seconde fois : « Qu’as-tu fait de ton frère ? » Autrement dit : il lui tend la parole, mais Caïn essaie d’échapper à la réponse, et plonge dans le mensonge : « je n’en sais rien », puis dans l’accusation : « suis-je le gardien de mon frère ? » Alors, Dieu intervient une 3ème fois pour prévenir Caïn que désormais la vie pour lui sera très difficile. Pour la première fois, Caïn s’apitoie mais sur lui -même…
Alors Dieu intervient une 4ème fois…pour condamner Caïn et se venger ? Non, bien au contraire, Il promet de le protéger en plaçant sur lui un signe sur le front pour que personne ne le tue. C’est ainsi que le Dieu de la Bible mettra fin au cycle de la vengeance ..sans fin. Quel retournement que celui d’un Dieu sévère à un Dieu qui persévère !
4)Notre relation à Dieu
Nous avons donc le choix : celui d’écouter ou non cette voix intérieure qui nous parle, et nous pousse à entrer en dialogue…Combien nos relations aux autres seraient plus paisibles et constructives si l’on écoutait mieux le Seigneur, si l’on ne fuyait pas sa parole ! La relation de Dieu avec Caïn nous ramène à nous-mêmes, à l’importance de maîtriser nos pulsions. Si notre «animalité » prend le dessus, alors c’est l’humanité en nous qui recule.
5)La fraternité
Suis -je le gardien de mon frère ? s’écrie Caïn. Cette histoire nous met en garde et nous appelle à la responsabilité. C’est la dernière piste : la fraternité. Un grand mot, n’est ce pas ? Ce n’est pas une valeur qu’il suffirait de revendiquer ni de brandir comme un slogan. La fraternité ça s’apprend. Car elle est fragile, toujours à bâtir, à reconstruire, à fortifier, à restaurer… Toujours en devenir; à venir.
Convoitises, incompréhensions et conflits règnent sur la terre, au près comme au loin, jusque dans nos communautés de foi, dans nos familles et…en nous- mêmes. Mais la violence n’est pas une fatalité, et ce qui nous permet de le dire haut et fort, c’est notre foi en Jésus-Christ.
D’autre part, dans cet apprentissage, nous ne sommes pas seuls. Dieu nous accompagne, et nous fait signe… par le Christ. En venant lui-même dans la violence, jusqu’au bout, jusqu’à la croix, pour la prendre sur lui et la porter avec nous, et nous proposer une autre voie, celle de la parole échangée entre frères humains.
Nous devons apprendre à devenir fraternels. Ça prend du temps..peut-être faut-il toute une vie ..? Martin Luther King, avant d’être assassiné lui aussi, s’adressa aux Eglises américaines et aux citoyens de son pays avec cette conclusion : nous n’avons plus le choix. Si nous n’apprenons pas à vivre ensemble comme des frères et des sœurs, nous mourrons ensemble comme des imbéciles ».
Amen
Titia Es-Sbanti
Culte du « Samedi caté » au Mas des abeilles, Février 2021