A la Fraternité, ce fut un accueil…royal ! Oui, ce dimanche -là, le culte démarre avec café & croissants et, de surcroît, l’accueil d’ un invité spécial. C’est au temple de la Frat’, 7 rue Antoine Delon : plusieurs fois par an, un tel rendez–vous est proposé à tous ceux qui désirent relier le temps du culte à la parole partagée.
Ce 14 avril 2019, jour des rameaux, l’invitée est Joelle NICOLAS-RANDEGGER, ancien médecin pédiatre, passionnée par la peinture des icônes.
Faire passer aux jeunes une passion, comment l’avez-vous introduit dans ce culte ?
JNR : Dans le témoignage que j’ai présenté durant le culte café-croissants, j’avais inséré une icône de Jésus dans le Temple à 12 ans pour dire combien j’avais ressenti de la joie à élever mes quatre enfants, même au moment où il faut leur « lâcher les baskets » et leur permettre de faire leurs choix de vie qui peuvent être différents du nôtre… C’est peut-être ce que j’ai fait par rapport à ma famille protestante en me lançant dans la découverte des icônes, alors que j’avais obéi jusqu’ici à l’interdit des images qui est un des piliers la foi réformée. Mais je voulais toucher aussi le coeur des adolescents qui hésitent toujours entre la liberté qui leur est offerte et la sécurité du cocon familial… Je ne sais si cela a été entendu !
Vous avez ensuite mis un pinceau entre les mains des enfants ?
JNR : En introduction de l’atelier iconographique, j’ai d’abord présenté le thème biblique : le Roi David jouant de la lyre, en leur parlant de son parcours : ce petit berger choisi par Dieu comme le plus petit parmi ses frères pour devenir non seulement roi d’Israël mais aussi l’ancêtre de Jésus. Histoire de rassurer ceux qui se sentent petits, incapables, timides et de leur dire qu’un avenir grand ouvert est à eux…
Un berger qui devient roi, est-ce que ça parle aux enfants d’aujourd’hui ?
JNR : Une question amusante m’a été posée par une enfant du groupe: « tu dis que David n’était qu’un petit roi d’un petit pays, alors comment est-ce qu’il a pu être l’ancêtre de Jésus, Fils de Dieu et Roi du Ciel ? » Question très pertinente ! En effet, les ancêtres ne sont-ils pas toujours plus grands et plus forts que leurs descendants ?
J’ai répondu que oui, dans certaines cultures les ancêtres sont considérés comme grands et forts et dictent leur conduite à leurs descendants. Mais pour Dieu, chacun de nous est aussi important, que nous soyons jeunes ou vieux, vivants ou morts, garçon ou fille, nous sommes tous aimés de lui de la même façon et nous sommes tous ses enfants. Jésus est appelé le «Fils» de Dieu car c’est lui le premier qui a appelé Dieu «Père» (et même «papa»), et nous l’a fait connaitre comme notre Père…
La figure du « père» n’est pas forcément évident à faire passer de nos jours …
JNR : Et bien, figurez-vous que certains enfants ont fait le lien et ils m’ont dit : « ah, c’est comme dans la prière du Notre Père ? » Oui, c’est ça – ai-je répondu. Ce qui veut dire que toi, moi, et tous ici vous êtes comme Jésus, ses fils et ses filles, ses enfants, qu’il vous aime et vous protège comme le ferait un père… J’ai raconté aussi que David avait écrit de merveilleux cantiques et que lorsqu’il jouait de sa lyre, il pouvait consoler les malheureux, réjouir le coeur de ceux qui sont en fête, calmer les coléreux et apaiser les angoissés. L’idée était de le représenter chantant et jouant de son instrument à cordes et de choisir ensemble le psaume que nous écririons sur l’icône.
C’est surprenant d’entendre parler de « fabrication » d’icônes, on les imagine souvent anciennes, venant d’une autre époque !
JNR : En réalité on parle non pas de fabrication ou de création mais « d’écriture » d’icônes, car l’icône est un objet, une image, qui apporte les Ecritures à ceux qui ont besoin de ce support pour méditer, pour prier, pour comprendre avec le coeur le message du texte biblique. Les enfants qui ne maîtrisent pas encore l’abstraction sont très sensibles aux images. Ils en usent et en abusent sur leurs écrans sans beaucoup de discernement entre les images angoissantes et celles qui apaisent et mettent en mouvement vers l’autre. Avec les icônes basées sur la découverte de la Lumière, j’essaie de porter leur regard sur la beauté et nourrir leur spiritualité.
Les premières icônes ont été écrites par des chrétiens, souvent des moines, au cours du 4eme siècle mais ensuite leurs codes, leur langage et leur symbolique ont été repris à toutes les époques et dans de nombreux pays. Elles ont joué un rôle essentiel dans tout l’Orient chrétien puis dans la spiritualité orthodoxe grecque et russe. Aujourd’hui on assiste à un renouveau de cette tradition picturale et liturgique et d’autres confessions se les sont appropriées pour transmettre l’Evangile. L’iconographe en effet n’est pas un artiste, il est un interprète de l’Ecriture…
Comment avez vous procédé pour conduire les enfants dans ce cheminement ?
JNR : Nous nous sommes installés autour des tables, avec tout le matériel pour peindre. Avant de donner les consignes, j’ai fourni quelques indications sur la fabrication des icônes dans les monastères :
« Qu’est-ce qu’un monastère ? C’est un lieu où vivent moines ou religieuses qui ont le désir de consacrer toute leur vie à Dieu et vivent en communauté dans des lieux beaux et silencieux. Ils vivent de la prière, plusieurs fois par jour, et de leur travail : travail des champs, travail d’accueil et travail d’écriture et de peinture pour étudier, transmettre et illustrer la Bible pour ceux qui ne savaient pas lire. Alors nous allons durant un petit moment vivre comme eux dans cette salle qu’on appelle le scriptorium dans les monastères. Nous essaierons de travailler en silence pour bien nous concentrer sur notre « écriture ». Et avant de commencer, nous allons prier ensemble.
J’ai alors distribué à chacun un exemplaire enluminé de la prière de l’artisan que nous avons lue tour à tour :
« Apprends-moi, Seigneur, à bien user du temps que tu me donnes pour travailler et à bien l’employer sans rien en perdre.
Apprends-moi à tirer profit des erreurs passées sans tomber dans le scrupule qui ronge.
Apprends-moi à prévoir le plan sans me tourmenter, à imaginer l’œuvre sans me désoler si elle jaillit autrement.
Apprends-moi à unir la hâte et la lenteur, la sérénité et la ferveur, le zèle et la paix….. »
Alors seulement nous avons pris pinceaux, couleurs et papiers. Pour que chacun puisse participer à l’oeuvre commune, j’avais découpé en 16 morceaux une feuille de 80 x 60 cm, où figuraient les contours du dessin. Chaque enfant avait ainsi son morceau de puzzle à enluminer.
Enluminer, c’est un drôle de verbe !
JNR : Mais c’est bien le bon mot ! Parce travailler sur une icône, c’est poser d’abord une couleur de base, unie et assez foncée puis de couche en couche plus claires faire advenir la lumière jusqu’à la touche finale du reflet blanc pur de la pupille, en général posé par le maître. On passe donc de l’obscurité à la lumière, comme on passerait du doute vers la foi, en suivant le Christ qui dit : « Je Suis la Lumière… »
Nous avons terminé par la reconstitution du puzzle sur une planche. Le roi David est alors apparu dans toute sa beauté… Une enfant a proposé qu’on y inscrire des versets du « psaume du berger », ce psaume très connu des protestants et qui commence ainsi : « Le Seigneur est mon Berger, je ne manquerai de rien… » Ce que j’ai fait un peu plus tard, en donnant les derniers coups de pinceaux pour unifier l’ensemble et donner à David un visage lumineux.
D’après vous, qu’est-ce que les enfants peuvent retenir de votre tout cela ?
JNR : Je ne sais pas, mais c’est comme si j’avais semé quelques graines de beauté, de joie, de lumière et certaines de ces graines, je l’espère, donneront plus tard quelques belles fleurs et quelques fruits savoureux…
Bibliographie :
Joëlle Randegger : Porteuses d’eau vive, éd. Médiaspaul.
https: //joelle-randegger-iconographe.fr