Conduits dès aujourd’hui vers l’espérance

Prédication donnée lors du culte de la Cité  le 24 novembre 2019 :

Chers amis, chers frères et sœurs en humanité et en Jésus-Christ,
Si nous sommes ici aujourd’hui, c’est dans une certaine mesure parce que nous-mêmes : chacun et chacune d’entre nous, l’avons décidé. Mais c’est aussi parce que nous avons été conduits ; conduits par ce rituel du Culte de la Cité – immanquable ! Conduits peut-être par quelqu’un qui nous a menés jusque dans ce temple, lorsque seuls, nous ne pouvons plus nous déplacer ; lorsque nous ne sommes pas en capacité ou en âge de conduire nous-mêmes. Conduits enfin par une curiosité, ou encore, par un désir : celui de nous rencontrer les uns les autres en vérité, et celui, pourquoi pas, d’être nourris spirituellement ; autrement dit, conduits par Dieu.
Ce n’est pas toujours agréable d’être conduits. Bien souvent, nous préférons affirmer que nous avons le contrôle de nos vies ; de nos actes, comme de nos paroles. Mais qui, plongé au cœur d’une situation inextricable, n’a jamais eu besoin de pouvoir se tourner vers quelqu’un ; pour prendre une décision, suivre une direction, ou tout simplement pour vivre au quotidien ? Quand nous en avons vraiment besoin, qu’est-ce qu’on ne donnerait pas pour être conduits !

Des chefs reconnus publiquement

Les textes bibliques que nous avons lus nous le rappellent : même lorsque nous pouvons bien nous conduire nous-mêmes, nous avons besoin d’un chef. Nous n’aimons pas beaucoup le dire. Surtout chez les protestants ! Mais la confrontation honnête avec le texte biblique nous pousse à le reconnaître, à faire ce constat d’un besoin, d’ordre anthropologique, d’avoir un chef.
C’est bien ce que le peuple d’Israël demande à Dieu, à peine sorti de l’esclavage auquel il était réduit en Egypte : il lui faut un Roi. Comme les autres peuples en fait – c’est l’argument principal qui est présenté : tous les peuples ont un chef, il nous en faut donc un aussi (1 Samuel 8). Cette demande, Dieu n’y accèdera pas immédiatement ; mais il l’entend et y répond finalement en envoyant d’abord David, c’est ce qui nous est raconté dans le livre de Samuel que nous avons lu, dans le Premier Testament ; enfin en envoyant Jésus, le Christ, dont témoigne le Nouveau Testament.
Les passages que nous avons entendus parlent de la reconnaissance publique de ces rois choisis par Dieu. Reconnaissance marquée par un rituel : onction, crucifixion ; qui d’un simple être humain, font un Roi, un Messie, un Christ. Messie et Christ : c’est le même mot, en hébreu et en grec.

Appelés à une reconnaissance libre et responsable

Dans le cas de David, cette reconnaissance est caractérisée par une forme d’unanimité qui fait rêver. C’est le grand amour ! C’est une véritable lune de miel qui commence avec ce chef, prometteur car il a déjà réalisé des exploits, militaires notamment ; et enthousiasmant, car il nous ressemble un peu : « nous sommes tes os et ta chair ! » disent tous les clans désormais assemblés, de quelque parti qu’ils soient.
Et de ce chef on attend… à peu près tout. On lui demande la lune, notre salut en somme ! Ce salut espéré n’est pas une idée vaguement spiritualisante : il est composé d’éléments bien concrets, reconnaissables par toutes et tous : sécurité, protection, nourriture et développement d’une culture commune… d’où la comparaison biblique avec le berger qui fait « sortir et rentrer Israël », et qui sera ensuite employée dans le Nouveau Testament au sujet de Jésus-Christ.

Voici donc des autorités auxquelles est confiée la responsabilité de prendre soin du peuple, jusque dans les dimensions matérielles que cela implique. Et le texte biblique insiste sur un point un peu dérangeant pour nous aujourd’hui : c’est Dieu lui-même qui choisit et institue ces autorités, le peuple n’ayant alors plus qu’à reconnaître son Roi. Mais est-ce que nous n’aurions vraiment « plus qu’à » ? Il s’agit en réalité d’une liberté qui nous est donnée de reconnaître ou non le Roi, comme le montre la figure des deux malfaiteurs crucifiés à droite et à gauche de Jésus. L’un reconnait Jésus, l’autre non : liberté première et donc responsabilité, dans la démarche de reconnaissance d’une autorité.

Dépasser nos images de l’autorité

Quand tout va bien, comme pour Israël avec le roi David il y a environ 3000 ans, pas de problème : on reconnaît l’autorité sans broncher. On encense le chef, on l’adule même !
Mais il arrive un temps où le Roi n’est pas celui qu’on attend. Un temps où les espoirs qu’une foule place en un simple être humain tournent court, tournent au vinaigre ; celui-là même que Jésus-Christ en croix reçoit.
Versatile, la foule qui peu avant encore, l’acclamait lors de son entrée triomphale en ville, cette foule crie, hurle, vilipende : il n’y a plus que du mépris.
Là où les réalisations exceptionnelles d’un David, ou d’un Jésus pendant son ministère de guérisons et de délivrances multiples, permettaient à tout un chacun de reconnaître que ces chefs étaient certainement choisis et institués par Dieu en personne, l’échec ultime qui est rencontré à la croix persuade de l’imposture de celui qu’on avait pris, bien malgré nous, pour l’homme providentiel. C’est dans la réussite seulement que se manifeste le signe véritable d’une élection divine, la marque d’une origine transcendante, pense-t-on.

Comme le malfaiteur attaché à la croix voisine de celle de Jésus, on peut dire alors : « si toi Jésus, tu as vraiment été choisi par Dieu pour régner sur nous et sur tout l’univers comme c’est écrit dans cette étrange lettre aux Colossiens, sauve-nous donc et sauve-toi toi-même ! » Quelle idée en effet, de passer par la croix.
Et si nous ne sommes pas ce malfaiteur nous pouvons aussi être cette foule. Quand Dieu lui-même viendrait à nous aujourd’hui, une fois encore : s’il ne ressemble pas aux images que nous avons de lui, il y a de fortes chances pour que nous ne le reconnaissions pas, et que nous nous en débarrassions tout simplement. C’est que nous n’avons pas besoin d’intrus ou d’imposteurs : c’est un chef qu’il nous faut, et un bon !

De quelle autorité avons-nous besoin ?

Dieu vient ce matin nous poser une question. Quelle est l’autorité dont nous avons besoin ?
– Est-ce une autorité qui doit réaliser des exploits, par la force s’il le faut – comme David qui prit maintes fois les armes ?
– Est-ce une autorité servile, qui doit répondre à nos moindres attentes et prévenir tous nos désirs, avec laquelle nous-mêmes pourrions nous comporter comme des petits rois ?

Et Dieu vient nous poser une autre question. Quelle autorité acceptons-nous de reconnaître ?
En Jésus-Christ, Dieu nous propose un Roi ; un Roi qui vient se mettre à notre service, jusqu’au bout, mais pas de la façon dont nous l’attendons. Pour ce crime de lèse-majesté consistant à nous désarçonner dans nos attentes et dans nos propres capacités de reconnaissance d’une autorité, Jésus le Christ a été mis à mort.
Aujourd’hui, nous reprochons souvent à Dieu son silence et une certaine inaction vis-à-vis des malheurs et des drames qui occupent notre monde ; mais le roi que Dieu nous envoyait, le Roi dont nous avions besoin et que nous réclamions à grands cris car nous avons besoin d’un chef ! Ce roi, nous l’avons condamné à mort. Il y a de quoi désespérer de l’être humain, et des institutions qu’il met péniblement en place pour tâcher de conduire le monde. D’ailleurs, beaucoup d’entre nous aujourd’hui – ici comme à l’extérieur de ce temple, désespèrent et se terrent dans le silence.

Au cœur de notre situation

En effet, aujourd’hui plus que jamais, il y a de quoi désespérer. Car la responsabilité que Dieu confie aux puissants, mais aussi à chacun d’entre nous pour que nous nous conduisions mutuellement – chacun dans son domaine de compétences, cette responsabilité est souvent oubliée ou dévoyée ; l’égoïsme prenant le pas sur l’intérêt général. Beaucoup alors se terrent dans le silence, car beaucoup ont perdu confiance.


Comment croire encore en l’être humain, capable des pires exactions hier comme aujourd’hui ? Comment continuer tandis que la confiance a été brisée ; que les débats ont laissé place aux dialogues de sourds, laissant paraître une incompréhension mutuelle radicale c’est-à-dire à la racine même des choses ? Tout cela résultant en violences : violence symbolique, à travers l’humiliation et les manifestations de haine ; violence physique, avec d’abord les coups et puis le meurtre.
Comment croire encore en l’humain, en la glorieuse cité, en nos institutions, en la politique ? Peut-être en se plaçant sous l’autorité du Roi juste que Dieu nous a envoyé, Jésus-Christ. Car il est encore vivant ! Nous l’avons mis à mort, mais il est ressuscité. Ce Roi qui connaît les cœurs nous redit jour après jour sa confiance en nous malgré tout. La confiance de Dieu en l’humain malgré tout ; malgré l’erreur judiciaire la plus connue de l’histoire humaine ; malgré les jalousies et les luttes de pouvoir stériles qui y ont conduit ; malgré l’oubli du peuple et le mépris de celles et ceux des humains qui ont le moins d’apparence.

Dieu nous garde sa confiance

La résurrection en laquelle nous croyons et que nous annonçons est plus qu’une restauration de la confiance ; une restauration bien souvent est passagère, et à recommencer dès la prochaine frasque. La résurrection en laquelle nous croyons est une rédemption : une réhabilitation pleine et entière de l’humain, là même où tout porterait à désespérer de lui, là même où il met au pilori son prochain, son frère, sa sœur : à la croix de Golgotha, ce lieu « du Crâne ».
C’est là que contre toute espérance et contre l’évidence même, la réconciliation commence, là qu’est engendrée la vie ; à un niveau imperceptible d’abord, comme lorsque l’embryon se forme et se déploie : au début dans la plus grande discrétion. C’est bien du grain qui meurt dans le silence de l’hiver que germera au printemps une plante, qui portera du fruit.
Voici l’autorité que nous reconnaissons et qui ne nous décevra pas : Jésus-Christ. Il est vivant, et tout est réconcilié en lui.  Car Dieu lui-même l’a établi au-dessus de tout nom ; et c’est par lui que tout a été créé, dès le commencement du monde ; par lui et pour lui. Par le baptême nous sommes associés à la mort du Christ, et à sa résurrection : morts à l’humain désespérant que nous sommes, nous vivons désormais par Christ et pour Christ dont la vie, par-delà la mort, nous appelle à la confiance et nous conduit vers un avenir plein d’espérance.   Amen

Pasteure  Claire DES MESNARDS

Textes bibliques   : 2 Samuel 5, 1-3 ; Luc 23, 35-43 ; Colossiens 1, 9-22