Commencements

Où commence le commencement ? Et quand ? Evidemment, le commencement, c’est au début de quelque chose de nouveau… mais : ce qui commence, est-ce que ce n’est pas aussi la suite de ce qui a été avant ?

Le texte biblique aujourd’hui, c’est le commencement de l’Evangile de Marc. ‘Commencement de la bonne nouvelle de Jésus Christ, Fils de Dieu’ … C’est un drôle de commencement qu’il décrit là : parce que d’abord, au lieu de nous parler de Jésus, il nous parle du prophète Esaïe (qui, lui, a parlé bien 600 ans avant !)… et puis de Jean-Baptiste, ce drôle de prophète « vêtu de poil de chameau, avec une ceinture de cuir autour de la taille », qui fait un régime de miel et de criquets sauvages’…

Alors : quand la bonne nouvelle de Jésus Christ  commence t-elle ? Au moment où Marc l’écrit ? Eh non, bien avant, même bien avant Jésus …. C’est pour cela que Marc parle des prophètes, de Jean-Baptiste….il fallait tout ça : les prophètes, les Ecritures et aussi Jean-Baptiste pour que puisse commencer la bonne nouvelle en Jésus -Christ.

Finalement, dans notre vie, c’est un peu pareil : il se passe des rencontres, des discussions, des événements et puis, un jour, on se rend compte, qu’il y a quelque chose qui a commencé… Cela peut être quelque chose de beau : un projet, une nouvelle amitié, un approfondissement dans une relation, un chemin vers Dieu. Cela peut être aussi ‘le commencement de la fin’ : la fissure dans le couple, qui devient rupture, une faille dans la confiance qui devient désillusion, une perte comme il y en a tant…

Souvent, les commencements c’est après coup qu’on les voit…. Avec un certain recul, quand les effets se constatent.

Alors, pour revenir à la question : quand  la bonne nouvelle de Jésus-Christ  commence t-elle ? Marc nous dit : bien avant lui ! Et, il commence à nous dessiner en quelques traits le contexte, c’est à dire l’événement  ‘Jean-Baptiste’, qui lui, s’appuie de son côté sur les prophètes bien avant lui… Effectivement, chaque commencement est inscrit dans une histoire qui le précède… Ainsi, être chrétien, c’est être l’héritier d’une longue lignée de témoins, une lignée de témoins vivants qui parlent chacun.e à sa manière de l’évènement Jésus -Christ : oui, il n’y a pas de ‘vérité’ ultime de Jésus -Christ, parce que chaque Evangile, chaque texte du Nouveau Testament le raconte à sa manière. En conséquence, cela veut dire aussi que jusqu’à aujourd’hui chacun.e est amené à chercher ce que cette vérité signifie. Dès le commencement, l’humain est mis à contribution dans sa relation à Dieu – voilà quelque chose qui m’a parlé dans ces quelques lignes du commencement de l’Evangile. Pas de vérité religieuse à gober, mais bien une relation avec le Dieu vivant à chercher…. Chercheur – de génération en génération, de relais en relais.

Marc met au début de son Evangile un relais particulier : Jean, dit aussi Jean-Baptiste ou Jean le baptiseur – peu importe. Un personnage radical et bien différent de ce Jésus qu’il précède. Jean-Baptiste prêche dans le désert – Jésus va à la rencontre des gens là où ils vivent. Jean-Baptiste est un ascète qui se nourrit de miel et de criquets sauvages – Jésus mange à tous les tables, on le traite même de glouton et d’ivrogne ! On pourrait ainsi continuer à relever des différences : ce qui est intéressant là, c’est que la radicalité de Jean Baptiste attire les foules, bien que Marc exagère certainement un peu quand il dit : tous les habitants de la Judée et de Jérusalem venaient sa rencontre. Ça donne à penser quand-même que de tous temps, les humains paraissent plus sensibles aux prédications radicales qu’aux discours nuancés…

Mais Jean Baptiste, lui, ne se prend pas pour un prédicateur à succès : il reste un témoin véritable dans le sens qu’il reste humble, il ne met pas sa personne en avant, mais garde conscience qu’il est un ‘relais’, qui prépare le chemin : quelqu’un qui est plus fort que moi vient après moi, dit-il.  J’aime bien cette idée de relais… être un relais, celui qui fait le lien… être chacun.e un relais, qui fait le lien, qui relie, qui met en relation….

Jean Baptiste, lui, était un relais entre les prophètes avant lui et Jésus après lui. Ecoutez, encore une fois ces paroles du prophète Esaïe sur lesquelles il  s’arrête : « Dans le désert, ouvrez le chemin au Seigneur, dans cet espace aride, préparez une route pour notre Dieu. » Un passage qu’on lit et chante souvent au temps de l’Avent… « Il faut préparer la route au Seigneur » . Mais ensuite, Esaïe continue  : « Toute chair est herbe – tout son éclat est comme la fleur des champs..  elle se dessèche, elle se fane, mais la parole de notre Dieu subsistera toujours. »

Là aussi, il est question de relais – mais dans la perspective de Dieu : le relais humain dure un temps, un temps très éphémère – comme la fleur des champs – oui : le relais a son importance, mais : pour un temps… pas pour toujours. Cette idée invite à la confiance : la parole de Dieu subsistera encore, quand moi, je ne serai plus…être relais c’est être à sa juste place : chacun.e est important, car il EST relais – mais chacun.e passe, car éphémère et d’autres prendront le relais pour faire retentir la parole de vie.

Je reviens encore une fois à ce point que j’ai relevé il y a quelques minutes : Jean Baptiste était un personnage bien différent de Jésus qu’il annonce. On aurait tendance à penser que le précurseur ressemblerait à celui qu’il annonce, non ? Dans le cas de Jean Baptiste et de Jésus, ce n’est pas le cas, ni pour la manière de se vêtir, de se nourrir, et pas non plus pour le message. Jean Baptiste prêche un baptême de ‘repentance’, il relève le fossé radical qui sépare l’humain de Dieu. On pourrait dire qu’il met les choses ‘à plat’. Peut-être est-ce dans ce sens qu’il faut comprendre cette image qui dit qu’il « relève le niveau des vallées et que les collines et montagnes soient abaissées – symbole pour ‘mettre les choses à plat’ – relever que l’humain est radicalement séparé de Dieu ? Ainsi, selon Marc, il prépare le chemin pour la bonne nouvelle vécue, annoncée et incarnée par Jésus. Celui qui sauve – comme le dit son nom : Jésus – en hébreu Jeshua : Dieu sauve. Quel programme !

Je n’aurai pas la prétention ce matin de faire le tour de ce mot ‘sauver’, ou encore ‘salut’. Un mot à la fois chargé, à la fois peu audible aujourd’hui, car il fait partie de ces ‘grands mots de la foi’ qu’on doit retranscrire ‘en français courant’. Chose qu’on a essayé de faire lors de notre dernière rencontre au SpeaKfé … – un temps d’apéro autour de questions spirituelles dans un bar à Nîmes – le Délicafé à la place Bellecroix pour être précis. Apéro auquel viennent des chercheurs de vérité et de sens de tout horizon, croyants, non-croyants, agnostiques. « Sauvé – qu’est-ce que ça veut dire ? » était donc la question. Et je vous livre tout simplement quelques réflexions : être sauvé, a dit une personne, ça vient de l’extérieur, d’une main tendue, comme une bouée. C’est trouver une ouverture en face de toi, ne pas se cogner tout le temps à tes murs. Être sauvé, c’est être accueillie, sortie du désespoir. Et cette personne continue : La sensation de m’être sentie accueillie ici, ça a été un peu comme me sentir sauvée. » Une autre a dit : Moi, ce que je trouve intéressant dans le fait d’être sauvé ; c’est le fait d’être l’objet d’un amour gratuit, un cadeau qui ne peut que faire du bien ! C’est être sauvé de l’absurde, du non sens, sauvé d’une solitude absolue…. » Les personnes qui ont prononcé ces mots se disent non-croyants, d’ailleurs, alors que leurs mots sont pour moi comme des relais d’Evangile.

Ce soir-là au SpeaKfé,  nous avons parlé plus d’une heure sur le sens de ce que c’est d’être sauvé ou ce qui nous sauve dans notre existence : je crois effectivement que ces temps de désert que nous vivons actuellement -individuellement et collectivement, sont propices à une prise de conscience sur ce qui nous sauve.
Oui, je crois que nous sommes actuellement encore dans une histoire de commencements, commencement nouveau d’une histoire ancienne. Et cette histoire-là, elle passe par des relais – de toi ou de vous, de moi, de nous…Amen

Iris REUTER, prédication du 6/12/2020

 

Texte biblique : Marc 1, 1-8