Ce n’est pas le moment !

Jésus jette un mauvais sort sur un figuier : voilà qui peut nous étonner ! Précisons : il dessèche un figuier qui ne porte pas de fruit. Que faut-il comprendre par là ? Le premier sens de cette histoire, me semble t-il, c’est que le figuier, c’est nous. Nous sommes appelés à porter des fruits : des fruits d’amour, de justice, de pardon, de joie et de paix. Les fruits, c’est tout ce qui vient de notre existence, c’est ce que nous donnons aux autres, au monde, à Dieu.
Les fruits, en effet, ne profitent pas à l’arbre qui les porte, au contraire, ils lui coûtent, ils sont donnés pour les autres, c’est l’enjeu de son utilité dans le monde, et de sa descendance (on en fait des fêtes). Cette histoire est vraie, elle nous enseigne que si nous ne donnons pas de fruit, si nous restons centrés sur nous- mêmes, nous contentant comme le figuier, juste de ses feuilles qui lui sont utiles à lui et qui le font beau, progressivement nous nous desséchons, et nous devenons des morts vivants.

 

Ce qui a attiré mon attention dans ce texte, c’est cette petite phrase insidieuse que Marc est le seul des évangélistes à ajouter à ce récit : Jésus voit des feuilles, ne trouve pas de fruits, et Marc ajoute : ce n’était pas la saison des figues !
Mais c
omment Jésus peut-il en vouloir à ce figuier ? Il semble que cela soit d’une grande injustice. Marc donne l’impression de saper notre histoire édifiante. J’ai longtemps pensé qu’il ne fallait pas donner d’importance à cette petite phrase de Marc, que c’était juste pour lui un souvenir historique, et que Jésus, selon son habitude, ne se préoccupait pas tant des figuiers que de donner des leçons imagées : Jésus arrive, ne voit pas de fruits, dit que le figuier va se dessécher, il se dessèche, et tant pis pour la saison. Mais ce serait sous-estimer l’intelligence et la profondeur de l’Evangile. Si Marc avait commencé à mettre dans son récit des détails autobiographiques sans importance, il ne serait pas l’Evangile le plus court des quatre…

J’ai donc voulu partir précisément de cette phrase, et essayer d’en trouver l’enjeu. Il faut pour cela se rappeler de quoi il s’agit dans ce texte : de nous, et de notre capacité à donner des fruits pour les autres. La question est alors  : Quel est le moment opportun où l’on doit donner des fruits à ceux qui nous le demandent ? Comment être capable de servir, de donner des fruits d’amour et de justice à l’autre ? 

Deux logiques se présentent à nous ;  Il y a celle du figuier qui ne donne du fruit que quand c’est le bon moment pour lui d’en donner, et il y a la logique du Christ (allant à l’encontre de la loi naturelle), qui demande de donner des fruits au moment où l’autre en a besoin, même si ce n’est pas le moment pour soi. La logique naturelle est, en fait, la nôtre, par nature. C’est une logique d’égoïsme avant tout : je veux bien donner aux autres ou rendre service, mais je décide du moment en fonction de moi-même, je le fais quand ça m’arrange. La logique du Christ, c’est de donner du fruit au moment où on le demande. Le moment de donner du fruit, ce n’est pas à nous de le choisir, mais c’est quand l’autre en a besoin, et si  » ce n’est pas le moment « , c’est quand même le moment, le moment de donner et de servir.

Ce n’est pas le moment » : qui n’a pas déjà entendu ou prononcé cette remarque ? Le plus criant c’est notre actualité. Est -ce le bon moment pour accueillir des réfugiés ? La crise climatique ! Notre pays croule sous le chômage, sous la crise… Des SDF partout dans les rues des grandes villes… Ce n’est pas le moment !

Ce que nous dit Marc avec sa petite phrase insidieuse, c’est que si l’on reste dans la logique du figuier, on ne fera jamais rien, et tout ce que nous avons à attendre, c’est le dessèchement. Il y a un temps pour donner, qui n’a pas à être fixé par nous ; c’est le temps de la demande et du besoin. La parabole est claire là- dessus, et Marc nous donne un enseignement  important. Oui, incrustée dans l’histoire du figuier, s’en trouve une autre : Jésus chassant les marchands du Temple.

Il y a  un rapport entre ces deux épisodes, sinon on ne les aurait pas laissés juxtaposés ainsi. Rappelons que l’enjeu de l’histoire des marchands du Temple n’est pas d’être pour ou contre les ventes paroissiales mais que ces marchands participaient à l’organisation du service des sacrifices ; les fidèles venaient pour se faire pardonner leurs péchés, pour se mettre en règle avec Dieu. Ils achetaient des colombes ou autres animaux et les sacrifiaient sur l’autel. Pour cela, ils devaient changer de l’argent. C‘était un ensemble de rites et d’actes religieux qui se déroulaient dans le lieu même de la présence de Dieu.

Mais les prophètes puis  Jésus n’ont cessé de répéter que la volonté de Dieu était autre : « Ce que je veux, c’est l’amour, et non pas le sacrifice. Je ne veux pas que vous vous donniez bonne conscience par des actes religieux en faisant des bonnes œuvres. Ce que je veux, c’est l’amour.  »
En chassant les marchands du temple, le Christ dit :  » Au lieu d’une religion d’amour, et de prière, vous vous faites une religion de négoce et d’achat de bonne conscience. Ce n’est pas ce que Dieu attend, ce qu’il attend c’est que vous donniez des fruits d’amour « .

 

La question importante n’est pas  d’être ou non un chrétien bien pratiquant ou un pilier d’Eglise, mais de savoir si oui ou non nous portons des fruits. Nous sommes donc bien dans la même problématique que celle du figuier.

De plus, qu’est-ce que Jésus trouve sur le figuier et dont il ne se satisfait pas ? Des feuilles. Or en hébreu, la feuille d’un arbre se dit  » alla « – ce qui monte ; mais  » alla  » veut dire aussi ce qui monte vers Dieu, et a donné le mot  » le’ola  » qui signifie le sacrifice. Jésus voit un figuier couvert de feuilles, tel un homme recouvert d’actes religieux et de bonnes œuvres. Jésus espère y trouver des fruits de l’amour, mais il n’y en a pas et il promet à cet homme que si sa vie consiste uniquement à avoir une bonne conscience religieuse, sa vie ne mènera à rien d’autre qu’à rien.

Dans toute la Bible il n’y a que deux passages où il est question à la fois de feuille et de figuier : celui de Marc que nous étudions ici, et ce passage de la Genèse où Adam et Eve, se découvrant imparfaits, cherchent à masquer eux- mêmes leur imperfection avec « des feuilles de figuier », afin de paraître parfaits. Les feuilles de figuier, pour Adam et Eve et donc symboliquement pour nous, c’est la bonne conscience à bon marché, et Dieu refuse cela. Ce n’est ni la religion de la bonne conscience, ni la religion de la culpabilité ; c’est la religion où l’on dit :  » Oui, Seigneur, je ne suis pas parfait, je ne suis pas auto-suffisant, il faut que je donne des fruits, mais Seigneur, pardonne-moi « . C’est alors seulement que Dieu couvre notre honte, Dieu refusant que l’homme et la femme vivent simplement de leur bonne conscience pour en tirer un profit personnel, sans rien faire pour les autres.

A la fin de l’histoire du figuier, les disciples s’étonnent que le figuier ait été desséché. Jésus leur répond : Si vous aviez de la foi, vous arriveriez à dessécher ce figuier, et même à faire des choses plus grandes, comme de dire à des montagnes d’aller se jeter dans la mer.

On a parfois voulu voir là l’enjeu d’un acte de puissance, de la capacité à faire un miracle, les disciples étant impressionnés de ce que Jésus avait réussi à faire, et lui disant qu’ils pourraient en faire bien d’autres avec la foi. Mais sérieusement, y a-t-il dans la vie, un intérêt quelconque à dessécher un figuier ou à jeter une montagne dans la mer ? Absolument aucun. Comment croire que le Christ s’amuse à des enfantillages de démonstration de puissance inutile ? Cela semble indiquer qu’il faille chercher plus loin.

Ce que Jésus nous dit là en fait, c’est que si nous avions suffisamment de foi, nous serions capables combattre les figuiers stériles qui sont en nous, de lutter contre tout ce qui, dans nos vies ne produit pas des fruits pour les autres.

Ce n’est pas facile d’ôter de nous cette tendance à ne produire que des feuilles. Les feuilles profitent au figuier , c’est comme notre bonne conscience, et elle ne nous est pas désagréable. Les fruits, eux, épuisent l’énergie de l’arbre : c’est tout ce que nous donnons aux autres.

C’est pourquoi Jésus dit simplement : Ayez foi en Dieu, c’est l’essentiel. La relation à Dieu n’est pas un marchandage comme avec les marchands du temple, ce n’est pas le figuier qui donne des fruits quand il en a envie. Dieu donne quand on lui demande. Tout l’Evangile est de dire que Dieu donne son amour sans contrepartie, sans condition, sans que vous lui promettiez une bonne œuvre.

La relation à Dieu n’est pas un marchandage, c’est une question de foi. C’est pour cela que le Jésus conclut à la fin :  « Tout ce que vous demanderez en priant, croyez que vous l’avez (déjà) reçu, c’est à dire faire disparaître de notre vie tout le fatras d’inutilités stériles, ne laisser que l’essentiel : la foi en Dieu. Et avec cela nous aurons de lui la capacité de donner et de partager des fruits bons à manger… et tout cela gratuitement…

Amen

Eric Galia

 

Prédication donnée au cours du culte musical au temple de Saint Césaire, le 23/10/22, à l’occasion de l’arrivée de l’automne.

Textes bibliques  :
Marc 11,11-24
Genèse 3, 6-7