Il y a une dizaine d’années, j’étais en poste dans le Tarn et pour l’occasion de quelques festivités autour des 450 ans du protestantisme local, nous avions invité l’actuel président du sénat Gérard Larcher. Très proche de la foi protestante de par son union maritale avec une luthérienne, Monsieur Larcher, venu pour la journée, avait dévoilé en fin d’après-midi une grande et magnifique croix huguenote avant de donner une conférence sur son engagement « protestant » dans le temple en début de soirée. La croix, placée sur le mur d’une maison de retraite de tradition protestante « Le Refuge Protestant », venait inaugurer la fin de gros travaux de rénovation. Pour la cérémonie, on m’avait demandé d’apporter quelques commentaires sur les origines de cette « fameuse » croix huguenote. Je vous livre ici ma courte recherche, à peine retravaillée sur le sujet.
Comme nous le savons, un certain dépouillement caractérise le protestantisme. Pour ce dernier, hormis Dieu, il n’y a pas de personne, de lieu ou d’objet, qui intrinsèquement autoriserait une quelconque vénération. La croix huguenote bien évidemment ne fait pas exception de cette compréhension et attitude. Pour autant, cela n’enlève en rien au besoin identitaire et naturel d’appartenance ou de reconnaissance qu’une personne peut éprouver et souhaiter signifier, notamment en portant une croix huguenote.
A l’origine, la croix huguenote est un bijou féminin composé d’une croix dérivant de la croix de Malte et de celle du Languedoc et qui porte, en pendentif, une colombe. Les différents éléments qui la composent, à l’instar d’autres croix, ont un sens à la fois politique et spirituel. Cette structure permettait à une femme adhérant aux idées dites de la réformation, d’affirmer en même temps un vrai loyalisme, à l’égard du roi et de l’État, et une vraie foi évangélique ; les protestants, nous le savons, étant alors considérés comme des sujets déloyaux et hérétiques.
Pour entrer dans quelques descriptions, observons que notre croix est « boutonnée » aux extrémités de ses huit pointes. Celles-ci sont séparées les unes des autres par une échancrure (coupure) triangulaire qui laisse apparaître en creux une fleur de lys. Au total il y quatre fleurs qui apportent une certaine rondeur à La croix, donnant un effet nimbé qui évoque la sainte auréole.
Selon certaines sources, les huit pointes « boutonnées », renverraient aux huit Béatitudes que l’Evangile selon Mathieu évoque (chapitre 5) comme la règles de vie du chrétien persécuté pour sa foi. Quant aux fleurs de lys, étroitement liées aux emblèmes du royaume de France, elles indiqueraient combien les protestants tenaient à proclamer malgré les persécutions, leur attachement sans faille au roi.
La croix huguenote présente en ce sens une forte analogie avec la croix très honorifique de l’Ordre de Chevalerie du Saint-Esprit, un ordre instituée par Henri III en 1578. Rappelons-nous que les huguenots ont été pendant longtemps exclus du droit de recevoir ou même de postuler à une quelconque décoration. (image croix de malte)
C’est cette dure réalité qui fait supposer à certains que c’est en partie pour répondre à cet ostracisme que vint l’idée de créer ce bijou. C’est-à-dire, un emblème huguenot qui traduirait un peu à l’identique la même grandeur que celle de la noble décoration. La seule différence majeure entre les deux croix, étant la position de la colombe. Toujours le bec en bas en pendentif pour la croix protestante et une colombe toujours située au centre de la croix pour celle de l’Ordre.
Dans le nouveau testament, la colombe représente le Saint Esprit. Dessinée en vol, le bec vers le bas, elle est une allusion directe au baptême de Jésus recevant pleinement l’Esprit de Dieu. Cela dit, d’autres inspirations préférèrent voir dans ce symbole une allusion à la première pentecôte où l’Esprit Saint vint sur tous.
Selon l’historien André Encrevé, attachée en pendentif à la croix, la colombe, hommage rendu au Saint Esprit, devenait à la fois signe d’adhésion à la doctrine du sacerdoce universel et signe difficilement punissable par les persécuteurs car dérivant d’une décoration monarchique officielle, reconnu par l’Eglise romaine.
Cela dit, certaines croix huguenotes ont une sorte de boule allongée à la place de la colombe.
Selon l’auteur Pierre Bourguet, il s’agirait en fait d’une ampoule, sorte de petite bouteille semblable à la « sainte ampoule » conservée à Reims jusqu’à la révolution et contenant les huiles utilisées pour l’onction royale lors des sacres des rois de France. Hormis le fait que l’huile soit aussi un symbole de l’Esprit de Dieu, la colombe du Saint Esprit figurait sur la « sainte ampoule ».
Pour l’Histoire, la croix huguenote aurait été imaginée vers 1688 par un orfèvre de Nîmes nommé Maystre et aurait été rapidement adoptée par les protestants du Sud-est de la France. Le regain grandissant que connaît aujourd’hui cette croix daterait surtout de la fin du 19eme et son appellation courante « croix huguenote » pareillement. Auparavant on l’appelait parfois « Saint Esprit », « Trissou » ou plus rarement « croix cévenole ».
Aujourd’hui, la croix huguenote est toujours un signe qui affirme l’appartenance et l’adhésion à la foi protestante ou pour le moins à ses valeurs morales bien connues comme le respect de la liberté de conscience ou la tolérance, notamment à l’égard des minorités ; le protestantisme français lui-même étant depuis toujours minoritaire dans l’hexagone.
Cette croix est aussi un signe de reconnaissance entre les protestants de France, et plus particulièrement entre ceux issus du courant réformé. Pour autant, on observe que de plus en plus de personnes sans lien particulier avec le protestantisme porte ce bijou.
Pour terminer ce rapide parcours, je vous dirai que placée ou même évoquée sur le mur d’un établissement associatif et laïc, la croix huguenote apporte un élément visuel fort sur l’âme et l’état d’esprit d’une maison et d’une oeuvre de service. Elle dit, certainement aussi, quelque chose des rapports très amicaux qui peuvent se tisser, parfois depuis plus d’un siècle, entre une entreprise de service et une communauté de foi.
Thierry Azemard, 11 décembre 2020
Pasteur proposé à l’aumônerie des maisons de retraite de tradition protestante à Nîmes.