13 octobre 2020 : Dressons l’oreille vers les mots qui vont et viennent, reviennent, prennent le dessus, naissent comme une vague, montent dans les medias, forment un crescendo d’écumes, avant de retomber, d’éclater, et disparaître (ou se faire discret) jusqu’à …la prochaine occasion.
Parmi ces mots : la vague. Plus précisément : la deuxième vague. Oui, nous y sommes. Dedans ? Dessus ? Dessous ? Allez savoir ! En tous cas, elle est là. On nous en parle tous les jours, difficile de ne pas l’entendre.
La vague est un mot à plusieurs facettes.
Elle évoque le va-et-vient, le mouvement de ce qui revient, recommence, comme un reflux, comme un refrain un brin berceur, nous conduisant à la torpeur…..
La vague est synonyme d’incertitude (« c’est vague ! ») et dans le contexte actuel, quoi de plus incertain que ce que nous réserve le pouvoir d’un virus ? Nous sommes dans le vague, dans le flou, même si nous avons une première expérience derrière nous. Covid-confinement-télétravail-masque-gel-gestes-barrière : cette expérience nous a t-elle rendu plus sage ou plus fou ?
La vague est associée à la répétition : insistance, persistance. Bienvenue à la ‘deuxième’ vague ! A quand la troisième et quatrième ? Cette répétition suscite inquiétude et lassitude. Et parfois l’impatience et la colère nous envahissent, s’emparent de nous comme une vague qui se dresse, fonce sur nous et nous retourne dans tous les sens, comme le tambour d’un lave-linge, et nous voilà lavés, rincés, essorés.. épuisés. Ce qui n’est pas forcément utile car jamais de notre vie nous avons été aussi propres.. des mains.
Enfin, la vague est associée à la mer lorsque le vent se lève, que la météo se fait mauvaise et la mer houleuse. Surgit alors l’impuissance du mal-aise d’être ballotés, secoués, embarqués dans un bateau dont nous ignorons s’il y a un capitaine ou non.
De là à associer la vague à la peur, il n’y a qu’un pas. La vague, les vagues se suivent et nous poursuivent…pourvu que le bateau ne devienne pas un radeau ! Alors, on râle, on se cramponne et en attendant le vaccin messianique, on se demande combien de temps on va pouvoir tenir.
Cela m’a fait penser à un petit récit de l’Evangile :
Le soir de ce même jour, Jésus dit à ses disciples : Passons sur l’autre rive. Après avoir renvoyé la foule, ils l’emmènent comme il était, dans le bateau ; il y avait aussi d’autres bateaux avec lui. Et voilà qu’un vent violent se mit à les vagues se jetaient dans la barque, à tel point que déjà elle se remplissait. Jésus, à l’arrière du bateau, dormait, la tête appuyée, sur un coussin. Ses disciples le réveillèrent en criant : lui disent : Maître, nous sommes perdus et tu ne t’en soucies pas ? Réveillé, il rabroua le vent et dit à la mer : Silence, tais-toi ! Le vent tomba et un grand calme se fit. Puis il leur dit : Pourquoi avez-vous peur ? N’avez-vous pas encore de foi ? Ils furent saisis d’une grande crainte ; et ils se disaient les uns aux autres : Qui donc est-il, celui-ci, pour que même le vent et la mer lui obéissent ? (Marc 4, 35-41)
Ce récit-parabole fait allusion à la situation de l’Eglise primitive (symbolisée par une barque) qui subira, dès sa naissance, une première vague de persécutions, puis une seconde….et ceci sur plusieurs siècles. Une barque- Eglise ballottée par des vents contraires sous l’Empire romain, et qui nous invite à nous interroger sur nos peurs et ..notre foi.
Dans le texte original grec, la peur des disciples est soulignée par le mot ‘phobie’ (phobos) .
Tiens, encore un mot récurrent dans le langage d’aujourd’hui ; on l’entend beaucoup chez les jeunes («les contrôles de maths, c’est ma phobie»). Dans le récit biblique, la phobie se conjugue comme un verbe . Voilà ce que cela donnerait, littéralement : ‘les disciples phobisaient une grande phobie’. Ça craint, non ?
Jésus ne rassure pas ses disciples à bon marché, du style : ‘n’ayez pas peur, je suis là’ ou bien : ‘tout va bien se passer’. Non, il leur pose une question : pourquoi avez -vous peur ?
Et nous ? A l’heure où notre moral est au creux de la (deuxième) vague de pandémie, posons -nous la question: pourquoi avons -nous peur ?
Dans une société qui veut que les religions ne fassent pas de vague, l’Evangile vient à contre-courant nous inciter à regarder nos peurs en face et à les interroger, au lieu de choisir la fuite en avant.
Pourquoi avons -nous peur ? Deux réponses parmi bien d’autres :
Premièrement, parce que personne ne veut mourir ! Même à 80 ans, même à 90 ans, 95 ans.. Et quand on y pense : c’est plutôt une bonne nouvelle, non ?
Deuxièmement, parce qu’on nous fait peur. Pendant le confinement, les medias ont compté le morts de la covid (nouveau rite républicain). Tous les jours, pendant 8 semaines. Un peu comme une bande-annonce. Et depuis la ‘deuxième vague’, on compte les contaminés, les hospitalisés, les réanimés, les testés, le nombre de lits...
La parabole de la barque-Eglise nous invite aussi à nous interroger sur notre foi. Ces derniers temps, ce mot n’a pas tellement le vent en poupe, y compris dans nos Eglises. La phobie serait-elle plus forte ? «S’il est quelque chose qui me coupe de la foi, c’est l’effroi » disait une théologienne (1).
Si l’on compte le temps accordé aux règles sanitaires à appliquer, aux produits à acheter, aux distances à respecter, aux réunions à annuler, que reste t-il pour ce qui fonde la raison d’être de nos communautés, à savoir la foi ?
La foi en Jésus-Christ n’est pas une assurance tous risques, mais elle est, assurément ,un risque à prendre.. .ou à laisser. Elle s’offre comme un pari sur l’espérance en dépit de tout. Aujourd’hui , en ces temps de pandémie, notre foi est plus que jamais convoquée. A nous de ne pas perdre pied, de refuser que la peur s’installe dans nos cœurs et domine nos vies, à garder la tête hors de l’eau.
Nous sommes invités à résister. « Ayez peur de la peur », disait le philosophe Montaigne, contemporain de la peste et des guerres de religion au 16 ème siècle.
Aurions- nous oublié que le Christ s’est embarqué avec nous ? L’avons nous réduit à une bouée de sauvetage, écartée tant que tout va bien et que la vie ne fait pas trop de vagues ?
Le Christ n’est pas venu au monde pour supprimer les tempêtes mais pour les traverser avec nous, il est venu pour nous guérir du vague à l’âme et nous promettre que la peur n’aura jamais le dernier mot.
Peut-être est-il cette puissance d’amour qui dort à mes côtés, et qui attend que je l’appelle ? Et si c’est le cas : qu’est-ce qu’on attend ?
Car oui, je le crois fermement : tout est encore possible, ouvert, à portée de foi. Il nous attend.
Titia Es-Sbanti
13 octobre 2020
(1)Marion Muller-Collard