Romains 16, 1-16 : L’Eglise a des visages
Parfois le vide ouvre les yeux. Dimanche 6 septembre – un grand vide sous les arbres à Mialet : là où devaient se retrouver tant de protestants et sympathisants pour l’assemblée du désert ! Peut-être parmi vous aussi, certains et certaines avaient prévus de s’y retrouver ? Cette assemblée est une occasion où l’on aime se retrouver dans la foule, se sentir nombreux (pour une fois),. On aime laisser nourrir sa foi et sa pensée par les impulsions données, et surtout, c’est l’occasion de retrouver des frères et sœurs d’ailleurs, occasion de rencontres, de retrouvailles. L’annulation de l’assemblée du désert nous rappelle les conditions particulières de la rentrée que nous vivons en temps de Covid.
Ce vide m’a rappelé aussi une image qui a circulé dans les médias pendant le confinement : la place saint Pierre à Rome déserte et le pape,seul, à y célébrer les messes de la semaine sainte. Depuis, quelques pèlerins sont revenus, mais comme beaucoup de lieux, Rome est restée dépeuplée de touristes et de pélerins cet été.
Le vide nous ouvre les yeux …..A l’époque où Paul a rédigé sa lettre aux Romains, ce sont les images de foules chrétiennes qui auraient étonné les chrétiens à Rome. Cette épître a été rédigée vers la fin des années 50 du 1er siècle, donc une bonne vingtaine d’années après la mort de Jésus-Christ. On pense qu’à cette époque la communauté chrétienne à Rome rassemblait environ 500 personnes… sur une ville d’1 million d’habitants. A côté de ça, nos petites paroisses paraissent presque grandes !
On déduit ce nombre d’environ 500 personnes de la liste des salutations : 28 noms y sont cités. Ces noms laissent entrevoir les origines différentes des personnes, traces d’une époque où l’on voyageait déjà beaucoup entre la capitale et les provinces : il y a les noms grecs comme Epénète, Stachys, Aristobule ouTryphène, les noms hébreux comme Andronicus, Junias et Marie, et puis aussi des noms qui renseignent sur la situation sociale des personnes : ainsi les noms d’esclaves et d’affranchis comme Amphiatus, Rufus et Asyncrite.
Ensemble, ces hommes et femmes forment la communauté chrétienne : une assemblée de gens différents, de statut social différent, d’origines différentes… un peu comme nous aujourd’hui, rassemblés ici.
Pourquoi je vous raconte tout ça ? Je pense que cette liste de salutations révèle plusieurs choses, qui sont bonnes à se rappeler en ce début d’année. La première chose c’est que l’Eglise n’est pas en première ligne une entité abstraite, comme cela peut paraître dans les différentes dénominations : Eglise catholique romaine, EPUF – communion luthéro-réformée, Eglises Orthodoxes, coptes, arméniennes, Eglises évangéliques et d’autres encore. L’Eglise est vivante parce qu’elle est constituée d’hommes et de femmes, elle vit par les relations humaines. L’Eglise, pour Paul, ce sont Phoébé, Prisca et Aquilas, Epaïnète, Andronicus et Junias, Philologues et Julie etc.
Ainsi, chacun d’entre nous pourrait dire : l’Eglise pour moi, c’est… untel et untel, c’est une communauté, composée de noms et de personnes d’ici ou d’ailleurs. Peut-être que cet été, les noms et visages de ceux qui font Eglise avec vous se sont encore élargis par vos déplacements de vacances, si c’est en Cévennes (les montagnes saintes des Nîmois) ou ailleurs.
Personnellement, ça me fait aussi du bien de me rappeler cela après la coupure des vacances, à la rentrée, sous un aspect tout autre : je trouve la rentrée toujours un peu dure, car elle me replonge dans le rythme soutenu du ministère, avec les charges et responsabilités du quotidien. En étudiant ce texte, je me suis rendue compte que ce qui me redonne l’envie et le goût du ministère, ce n’est pas forcément le fait que j’exerce mon ministère dans l’entité « Eglise Protestante Unie de France ». Ce qui me motive, c’est que je travaille dans l’Eglise de Nîmes, c’est qu’en début d’année je vous retrouve. Ce sont les coups de fil au retour des vacances pour prendre des nouvelles, ce sont ceux et celles que je vais voir dans leurs maisons, parce qu’ils ne peuvent se déplacer. C’est ça ce que j’aime bien à cette liste de salutations : elle laisse entrevoir un petit monde à visage humain, qui est fait de liens fraternels, de liens de solidarité, de reconnaissance et d’engagement.
Ainsi, chacun.e pourrait établir ‘sa’ liste de salutations. Pour celle de Paul, je voudrais encore relever deux aspects : le premier, c’est que les noms originaires des ‘4 coins de l’horizon’ révèlent à quel point l’Evangile est universel, marque forte du ministère de l’apôtre Paul : il a parlé de la bonne nouvelle aux juifs et aux non-juifs (ce qui n’allait pas de soi dans l’Eglise de l’époque). A travers ses voyages, l’Eglise universelle s’est tissée. Pour Paul, l’Eglise ce sont des visages auxquels sont attachés des souvenirs : collaborateurs, compagnons de captivité, protecteurs, rencontres dans les églises de maison.
Le deuxième aspect est celui du ministère des femmes, qui a fait couler beaucoup d’encre : la liste des salutations s’ouvre avec Phoebé, ministre de l’Eglise des Cenchrées (une partie de Corinthe en Grèce). La deuxième c’est Junia : la plupart du temps ce prénom est transmis comme Junias (prénom masculin), mais les recherches ont révélés que c’était un prénom féminin jusqu’au 13ème siècle. Probablement, ce prénom a ensuite été masculinisé parce que l’histoire avançant, il était gênant pour l’Eglise qu’une femme soit reconnue comme un apôtre éminent.
Cela dit, l’ensemble de la liste constituée de juifs et non-juifs, de chrétiens de toute origine, hommes et femmes, correspond à l’enseignement de l’Evangile : il ne nous renvoie jamais à l’humanité comme entité abstraite, mais au prochain. Jésus nous dit : « aime ton prochain comme toi-même ». Exigeant car concret : il est parfois bien plus facile de se laisser habiter par un vague sentiment d’amour pour l’humanité toute entière que de respecter et d’aimer ce prochain, qui est comme il est, avec ses qualités et ses défauts.
De même que la foi nous renvoie toujours dans les choses concrètes de la vie, de même la Bible ne parle pas des personnes en tant que catégories, mais en tant que sujets uniques. D’ailleurs, le principe de catégoriser les individus est un trait de caractère des régimes fascistes et totalitaires. Pendant le nazisme : avec les juifs et les tziganes, les communistes et les homosexuels. Pendant les génocides plus récents: le Rwanda par exemple.
Le racisme fonctionne ainsi, mais aussi – dans une moindre mesure – notre tendance à chacun d’entre nous de cataloguer/ catégoriser facilement les autres : ainsi on a encore entendu pendant les négociations autour du plan de relance européens, que les habitants des pays du Sud seraient des cigales, qui préfèrent chanter plutôt que travailler. Ainsi, on entend dire que les évangéliques sont étroits d’esprit et que les habitants des pays nordiques sont froids etc.
L’Evangile nous met en garde contre toute « classification ou catégorisation des personnes », et nous renvoie à l’individu. Pour aller plus loin, ce principe ‘d’individualisation’ est inhérent à Dieu lui-même : dans le livre de l’Exode, lorsque Dieu se révèle à Moïse, au buisson ardent, Il dit : Je suis qui je suis. Il ne se laisse pas enfermer dans un nom, une définition ni une pensée. Il est dans le simple fait d’être : Il est, et Il est présent.
Dans la suite du passage, Il ajoute : ‘Tu parleras ainsi aux fils d’Israël : Le Seigneur, le Dieu de vos pères, le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, et le Dieu de Jacob m’a envoyé vers vous. C’est là, mon nom à jamais, c’est là, mon nom de génération en génération ».
Un commentaire s’est interrogé sur cette phrase : Pourquoi est-il écrit le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob ? C’est pour nous enseigner, que Dieu se révèle à nouveau à chaque génération, à chaque personne.
La question n’est donc pas d’avoir une définition éternelle et abstraite de Dieu. La question est d’apprendre et de vivre « Qui est Dieu pour moi ? » « Que dites-vous qui je suis ? » demande Jésus à chacun de ses disciples.
Avec cela, nous sommes bien dans la théologie protestante : elle cherche à inciter chacun à une recherche personnelle et un approfondissement personnel de sa foi, sur un chemin qui inclut les doutes et les interrogations aussi bien qu’il réserve des découvertes et des enrichissements. Dans les activités que propose et proposera notre Eglise cette année, cette théologie veut se réaliser : si c’est au KT avec les jeunes, qui savent bien que nous privilégions la discussion avec eux au lieu de leur faire apprendre des vérités par cœur. C’est le cas aussi dans les différents groupes d’études bibliques, qui sont des moments de partage de vie et de foi autour la parole. C’est presque un fil rouge de nos activités….
Approfondir sa connaissance de Dieu et de l’Eglise, cela passe à travers la rencontre avec notre prochain, celui qui est proche ou loin.
Paul conclut sa liste de salutations par l’incitation : saluez-vous les uns les autres par un saint baiser. Ah, actuellement nous ne pouvons faire nôtre son invitation, en temps de masques, de distances etc ! Pour Paul, le saint baiser est expression du lien fraternel. Alors, j’aimerais entendre, pour notre rentrée particulière, une invitation à ne pas laisser déliter ce lien fraternel et humain : à ne pas nous laisser paralyser par la peur et le repli mais à vivre et à nous retrouver – bien que masqué et en gardant nos distances physiques. Car, de tous les virus, celui de la peur est le plus dangereux et le plus contraire à l’Evangile.
Alors, vivons cette rentrée responsables et confiants…. et surtout attentif à l’autre : car, derrière les masques, nous devons encore plus prêter attention à l’autre pour le reconnaître, encore plus prêter attention aux yeux – reflets de l’âme.
Et si à la fin de cette année, notre liste de salutations imaginaire se sera enrichie de quelques visages et personnes, c’est là que cette année aura été ‘réussie’.
Amen
Iris REUTER, le 6/09/2020
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