Depuis 22 jours maintenant Sonia et Anita m’offrent leur sourire à pleine dents. Certains parmi vous connaissent cette image, celle du mois avril du calendrier de la Cimade.
Peu de temps avant que le photographe Brent Stirton ait figé cet instant de vie, les deux sœurs en Inde étaient encore aveugles, souffrant d’une cataracte congénital. Guéries grâce à une intervention chirurgicale elles découvrent le monde, s’émerveillant de tout, même des choses les plus simples. Elles vivent une sorte de résurrection dans le monde des couleurs, si normal pour la plupart des autres. La joie est inscrite sur leurs visages.
Depuis 36 jours maintenant nous vivons dans le confinement. Un temps où le regard change. Il subit à la fois un certain aveuglement, parce que l’effet du confinement étiré induit la perte d’envie et l’incapacité d’envisager des projets, et à la fois un désaveuglement car, avec les mots d’une psychologue, « l’inconscient est à ciel ouvert » et déconfine nos abîmes, nos désarrois, nos vides. Dans notre regard collectif, la considération des ‘métiers invisibles’ change aussi, entraînant une prise de conscience que ce sont les personnes souvent mal rémunérées et mal considérées qui sont indispensable au fonctionnement de la société. Et puis les médias nous nourrissent des regards de nombreux penseurs sur la situation actuelle et les conséquences possibles et nécessaires. Le confinement nous fait découvrir notre monde autrement.
La réaction de Sonia et d’Anita, ces deux filles du Bengale, à leur guérison est un profond étonnement, voire un émerveillement.
L’évangile de Luc nous raconte que Pierre, lorsqu’il arrive au tombeau de Jésus et le découvre vide, « s’en va chez lui, s’étonnant de ce qui était arrivé ». (Luc 24,12). C’est étonnant, n’est-ce pas ? On se serait attendu à lire : il s’en va chez lui et il croit. Non, il ne croit pas (encore ?), il s’étonne.
L’étonnement de Pierre raconte en fait le début de sa résurrection : il était figé dans la tristesse, le deuil, le doute, le désarroi. Alors, étonné par les paroles des femmes, il se lève (en grec c’est le même mot que ressusciter !), il court vers le tombeau et … il s’étonne.
L’étonnement nous arrache à une vue « morte » qui croit tout connaître, qui n’attend plus de changement, parce que tout paraît figé. Etre capable de s’étonner, et plus encore de s’émerveiller, c’est être disponible et réceptif à la vie….
…. s’étonner c’est garder un esprit d’enfant qui découvre le monde comme s’il le voyait pour la première fois, qui s’émerveille devant les petites et grandes choses de la vie, comme ces deux filles, Sonia et Anita, du Bengale.
L’étonnement est un trait qu’on trouve non seulement chez les enfants, mais aussi chez les artistes, les chercheurs, les penseurs, les aventuriers et les croyants : bref, chez tous ceux qui sont curieux, qui cherchent à découvrir, qui ne vivent pas dans les vérités acquises, mais cherchent à apprendre, à voir les choses différemment.
Le plus souvent l’émerveillement mène à la gratitude, la gratitude à la solidarité et ainsi de suite….
La période du confinement est propice à un regard changé sur le monde, en commençant par le petit monde qui nous entoure. Que Dieu illumine notre regard, qu’il y sème des pépites d’étonnement, chaque jour !
Iris Reuter, le 22 avril 2020