L’Évangile c’est comme le blues : il faut savoir improviser !
C’est sur cette affirmation que je voudrais partager avec vous ce message… Mais il faut tout de suite remettre les choses à leur place, car souvent le terme « improviser » est plutôt péjoratif… sauf peut-être pour la musique ! Voyez la définition du dictionnaire :
improviser : 1.Produire, élaborer un discours, un texte, un morceau de musique directement, sans préparation : Les acteurs improvisent sur le scénario. / 2.Faire quelque chose d’emblée et sans préparation aucune, avec les moyens du bord : Improviser un repas entre amis.
C’est un peu une vision fausse de l’improvisation. Celle-ci est souvent vue de cette manière : sans préparation, avec les moyens du bord ! Un indice pourtant nous est donné : les acteurs improvisent sur un scénario. On n’improvise donc pas à partir de rien ! Même pour le repas entre amis, on prend les ingrédients que l’on a et on le cuisine avec un savoir-faire, on n’invente pas de rien.
Je crois qu’il en est de même avec l’Evangile. C’est pour cela que j’ai voulu partager avec vous aujourd’hui deux passions : la musique et l’Evangile.
Une grille d’accords
La musique, parce qu’elle exprime quelque chose là où les mots (de type discours) ont leurs limites. Pas uniquement sur du ressenti, mais sur l’indicible, sur ce que nous n’arrivons pas à le dire avec des mots… il en va de même avec toutes forme d’art, ou tout geste créateur.
Et l’Évangile, la bonne nouvelle, cette parole donnée par des témoignages de croyants, nous indiquent un chemin à suivre, un chemin qui tend vers l’amour du prochain, la confiance, le partage et la paix.
L’Évangile comme grille de lecture, grille d’accords, comme thème sur lequel nous pouvons construire notre vie, improviser notre vie.
Mais l’improvisation ce n’est ni du hasard, ni de la non préparation… l’improvisation c’est de l’écoute, du travail, et de la créativité. Cependant, une question se pose au préalable…Dans l’Évangile, tout est-il dit ou faut-il improviser ? Il y a différentes manières de lire l’Évangile :
-Le fondamentalisme : aucune improvisation, tout est écrit… C’est un peu comme quand on pose l’affirmation « c’est écrit dans la Bible » avec lequel on a pu justifier la Shoah, le châtiment corporel, l’esclavage etc. Ou encore quand le dogme, nos certitudes prennent la place de l’Ecriture. C’est quand l’improvisation remplace le thème, la grille, elle devient la norme et donc aucune autre improvisation n’est possible. C’est ce que les réformateurs ont dénoncé au 16ème siècle face à une Église catholique à l’époque qui s’endoctrinait de plus en plus, où les dogmes qui ne sont qu’une improvisation parmi d’autres devenaient la norme à la place de l’Évangile. C’est comme si l’improvisation sur un thème prenait la place du thème et devenait la mélodie principale.
Luther et Calvin ont redonné sens à la prédication, c’est -à -dire à l’Évangile commenté, qui est pour eux le lieu où l’on peut entendre une parole qui vient de Dieu. La Bible n’est pas parole de Dieu, elle est parole de Dieu du moment où nous la lisons et la commentons ( le ton de la voix est déjà une improvisation, une interprétation).
J’en reviens à l’improvisation, à l’Ecriture et l’improvisation (interprétation) – unique chaque fois, là où on peut entendre l’inspiration (l’Esprit, Dieu qui parle à chacun).
Improviser notre vie
L’improvisation c’est une écoute : pour improviser il faut savoir écouter. Écouter ce que la musique, le thème nous raconte. Écouter ce que l’Évangile nous dit. Puis il y a une grille, un cadre qui nous permet de vivre, de nous construire, de nous épanouir, de créer. Ce cadre nous est donné : c’est la Bible. Le thème quant à lui se résume dans ces paroles que Jésus reprend de l’Ancien Testament : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ton intelligence. C’est là le commandement le plus grand et le plus important. Et voici le second commandement, qui est d’une importance semblable : “Tu dois aimer ton prochain comme toi-même. Toute la loi de Moïse et tout l’enseignement des prophètes dépendent de ces deux commandements. »
C’est dans ce cadre, cette grille de vie, ce thème, que nous devons improviser notre vie. Improviser dans le bon sens du terme, c’est à dire créer quelque chose d’inspiré de toute notre écoute des Ecritures.
Voilà pourquoi j’ai choisi le blues comme exemple… j’aurais pu choisir un autre style de musique, mais je pense que l’exemple du blues est parlant. Ce n’est pas pour faire moderne (le blues existe depuis une centaine d’années) mais c’est parce que son histoire ressemble au croyant qui tente de vivre ce que l’Évangile lui indique comme chemin.
Les moments « blues »
Le terme blues vient de l’abréviation de l’expression anglaise blue devils (« diables bleus »), qui signifie « idées noires ». Le terme blue d’où le blues est aussi dérivé de l’ancien français et signifie « l’histoire personnelle ». La note bleue ou blue-note en anglais (quarte augmentée ou quinte diminuée) ajoutée à la gamme pentatonique mineure, donne une sonorité particulière caractéristique au blues, qui a de nombreuses origines (africaines, asiatiques via les Amérindiens, irlandaises,….). Cette note a été interdite au Moyen- âge, car considérée comme note du diable, alors qu’aujourd’hui elle est donnée même comme céleste, utilisée dans le gospel et negro spiritual, le blues et rock chrétien !
Le blues c’est dire en « je » en « tu » ce que l’on ressent, ce que l’on croit. Il y a comme de la confession, de la confession du péché, de la confession de foi et la prédication. C’est dire avec ces propres mots (impro) ce que je vie, ce que je crois, de ce que j’ai entendu.
J’ai envie de dire que la confession de foi et la prédication sont les « moments » blues de la liturgie ! Ils sont notre improvisation de ce que nous ressentons et croyons. Mais ils se construisent à partir d’une grille qu’est l’Évangile.
Souvenez-vous de cette parole que le Christ adresse à ses disciples : « et vous qui dites-vous que je suis ? ». Ou encore : « aime ton prochain». Comment le vivez-vous ? La résurrection c’est quoi ? Avez-vous remarqué que l’Évangile ne nous laisse souvent que des questions ? Des questions comme grille de vie, grille d’improvisation.
Personne n’a la « bonne » réponse. Personne ne détient la seule improvisation possible. Sinon l’improvisation devient le thème. Personne ne détient la vérité.. Nobody Knows nous dit le Gospel : personne ne sait ! Mais chacun est invité à tenter, créer, improviser une réponse dans l’écoute fidèle de l’Évangile. Nobody Knows.
Amen
Pasteur Eric GALIA,
extraits de sa prédication du 20/10/2019 au temple de St Césaire (culte musical)
Texte biblique : Matthieu 20, 16-20
Allez chez tous les peuples pour que les gens deviennent mes disciples. Baptisez-les au nom du Père, du Fils et de l’Esprit Saint. Apprenez-leur à obéir à tous les commandements que je vous ai donnés. Et moi, je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde.»