Avec ou sans huile ?

Prédication de la pasteure Sophie Fantoni ,  23 mars 2025, Nîmes

« Alors il en sera du Royaume des cieux comme de dix jeunes filles qui prirent leurs lampes et sortirent à la rencontre de l’époux. 2 Cinq d’entre elles étaient insensées et cinq étaient avisées. 3 En prenant leurs lampes, les filles insensées n’avaient pas emporté d’huile ; 4 les filles avisées, elles, avaient pris, avec leurs lampes, de l’huile dans des fioles. 5 Comme l’époux tardait, elles s’assoupirent toutes et s’endormirent. 6 Au milieu de la nuit, un cri retentit : “Voici l’époux ! Sortez à sa rencontre.” 7 Alors toutes ces jeunes filles se réveillèrent et apprêtèrent leurs lampes. 8 Les insensées dirent aux avisées : “Donnez-nous de votre huile, car nos lampes s’éteignent.” 9 Les avisées répondirent : “Certes pas, il n’y en aurait pas assez pour nous et pour vous ! Allez plutôt chez les marchands et achetez-en pour vous.” 10 Pendant qu’elles allaient en acheter, l’époux arriva ; celles qui étaient prêtes entrèrent avec lui dans la salle des noces, et l’on ferma la porte. 11 Finalement, arrivent à leur tour les autres jeunes filles, qui disent : “Seigneur, Seigneur, ouvre-nous ! ” 12 Mais il répondit : “En vérité, je vous le déclare, je ne vous connais pas.” 13 Veillez donc, car vous ne savez ni le jour ni l’heure.  (Matthieu 25)

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Rappel de l’histoire : des jeunes filles qui vont à la rencontre de l’époux, avec leur lampe. Avancent-elles dans l’obscurité ? Mais elles s’endorment parce que le futur époux n’arrive pas. Finalement, il est là ! Mais malheur certaines n’ont plus de lumière et le prêt d’huile n’est pas possible. Certaines ne peuvent pas le rencontrer.
Le sens de la parabole dite des dix jeunes filles peut nous paraitre simple. Si on va un peu vite dans l’interprétation, on pense qu’il s’agit surtout d’une histoire de prévoyance, qui donne le mauvais rôle à l’insouciance et à la spontanéité. Une histoire culpabilisante aussi : celles qui n’ont pas prévu leur huile se retrouvent rejetées. Ce qui voudrait dire que la présence de Dieu se mérite et se monnaye. On peut s’arrêter là dans l’interprétation. Mais n’y-a-t-il pas quelque chose qui cloche ?

La culpabilisation, le rejet, est-ce cela que Jésus enseigne ? On se souvient plutôt de : « Partage ton pain avec ceux qui n’en ont pas » , « pourquoi regardes tu la paille qui est dans l’œil de ton voisin et que tu ne vois pas la poutre qui est dans le tien ? »

Cela signifie que notre première analyse ne correspond pas au sens de cette histoire, il nous faut chercher encore.  »Le royaume de Dieu est comme… »: Jésus enseigne à quoi est comparable le royaume de Dieu. Au travers de cette histoire, le royaume se comprend comme une rencontre, entre les jeunes filles et l’époux, une rencontre importante qui fait entrer dans une salle de noce. C’est une rencontre qui peut se vivre à plusieurs, lorsque nous faisons Eglise. C’est alors que nous pouvons annoncer et incarner quelque chose de l’ordre de la confiance et de libération.

Le royaume de Dieu, on peut aussi le traduire par son règne, sa puissance : sa capacité à guérir, à faire grandir, à consoler, à pacifier, à réunir, à clarifier, à purifier, à aimer. Son règne est là, au cœur de certaines rencontres marquantes qui nous font toucher du doigt quelque chose en nous, une capacité insoupçonnée à pouvoir nous relever, à guérir, à évoluer, à aimer, à pardonner. C’est ainsi que le règne de Dieu advient. Cela nous est donné, au cœur de nos rencontres, la présence et le souffle de Dieu qui passent par nous.

Le royaume de Dieu est semblable à dix jeunes filles nous dit ce récit. Il n’est pas comparable uniquement aux cinq jeunes filles sages et prévoyantes, il est une invitation pour tous, les sages comme les moins sages, que l’on s’endorme ou que l’on veille.Lorsque la parole de Dieu vient nous rejoindre, ce récit nous laisse entendre que c’est avec toutes les difficultés de la rencontre, avec nos  élans et nos ouvertures ; nos indisponibilités, nos manques de confiance ou notre manque de générosité. Ce n’est pas une rencontre déjà joué d’avance.

Ce n’est pas une rencontre un jour, telle heure, tel lieu. C’est une rencontre spirituelle qui se tisse, pas à pas, qui prend du temps, qui est faite d’endormissement parfois, de désespérance aussi. Le règne de la parole évangélique dans le cœur de l’homme se construit, s’apprivoise, s’accueille, dans les conditions de vie qui sont les nôtres.

Il y a un détail qui a son importance, c’est la lampe des jeunes filles ; elles ne vont pas à la rencontre sans rien, elles y vont avec quelque chose et ce quelque chose, c’est le désir, l’envie.
Oui, Le royaume est avant tout désir de rencontre. Pas si évident que cela d’avancer toujours dans la vie le cœur ouvert à la rencontre ; Pas facile de conserver l’élan et l’entrain nécessaire. C’est une vraie question dans notre vie d’église et de foi personnelle ; Comment garder l’envie de la rencontre ? A quelle source puiser le gout de la confiance ? Comment conserver notre capacité à nous laisser émerveiller et émouvoir, en tant que communauté ? Si nous perdons cela, nous ne sommes plus que des techniciens, nous gérons le quotidien, les affaires courantes, sans affect, sans envie, sans rêve, pour nous et notre prochain.

Une vraie question : l’Eglise ne doit-elle pas être un lieu d’accueil et de ressourcement avant tout, pour nous permettre de recharger nos batteries et de repartir prêt pour la rencontre ? Lorsque les jeunes filles s’endorment, n’est ce pas aussi une façon de marquer notre indisponibilité pour la rencontre ? Ce n’est pas rien d’être intérieurement en capacité d’écoute, de recevoir, d’accueillir, alors que nous désirons si souvent au contraire donner, faire, parler, agir.

Lorsque l’époux est finalement là et que c’est le moment propice pour qu’advienne la joie, l’amour, la libération, et bien, il n’est pas dit que nous aurons assez de force, d’envie ou de courage pour saisir le moment et oser le partage. Il n’est pas dit que nous ayons assez de confiance en nous.  A l’image de ces cinq jeunes filles un peu désespérées qui courent acheter de l’huile parce qu’elles croient que Dieu ne les acceptera pas sans leur lumière et qu’elles font face aussi au manque de générosité des autres.

Est-ce que les autres peuvent nous prêter un peu de leur envie, de leur désir de rencontre ? Oui, certainement, nous sommes au bénéfice des désirs des uns et des autres. C’est parfois en écoutant la parole d’une personne que l’on reprend confiance. « En t’écoutant, cela me donne envie de… »

Mais alors, pourquoi cet égoïsme des jeunes filles sages ? Au travers de cette histoire, Jésus nous enseigne que la rencontre avec Dieu est à l’image de nos états intérieurs, fonction des différentes étapes de notre vie. Nous sommes parfois bien réveillés et disponibles, parfois sur la réserve ou cupides, parfois prévoyants et parfois remplis de spontanéité.

Mais l’époux lui, se présente toujours, quelque soit là notre état. Même les jeunes filles égoïstes entrent dans la salle de noces. Pourquoi ? Parce qu’elles sont là alors que les autres sont parties. L’époux ne demande pas de lumière ou d’huile, il se tient présent et ouvre une entrée vers le royaume. Ce qu’il nous faut, c’est simplement être là, avec ce que nous sommes, tel que nous sommes et oser l’entrée, oser saisir ce qui se présente à nous et qui est de l’ordre du vivant, d’un festin de noces. Notre simple présence fait déjà toute la différence.
Réjouissons-nous de la présence des uns et des autres. Le règne de Dieu devient possible.

Amen

Sophie Fantoni