Au jardin d’Eden, Eve –la Vivante- prend la main d’Adam –le terre à terre- et la serre tendrement en lui soufflant : « Est-ce que tu m’aimes ? ». Adam la regarde, surpris par cette question que pourtant tant de couples se posent, il se retourne, et lui répond : « Est-ce que j’ai le choix ? »
C’est une vieille blague juive,mais pas seulement. Elle pose une question de fond. La question du choix. Dieu lui-même n’y a pas échappé , il a fait des choix, dans sa façon de créer le monde. De nous flanquer de deux oreilles et d’une seule bouche par exemple. Certains disent que c’est pour que l’humain s’efforce d’écouter deux fois plus qu’il ne parle… Allez savoir !
Et nous, dans nos vies, avons- nous le choix, le choix de tout ? Qu’est ce qui dicte nos décisions : est-ce que ce sont nos convictions ? notre foi ? nos obligations ? notre sens du devoir ? nos désirs ? notre raisons ? notre coeur ? nos sentiments ? Notre liberté de choisir est-elle absolue ou relative ?
Revenons au récit que nous venons d’entendre. C’est une très très vieille histoire, elle a au moins 2500 ans. C’est un conte, haut en couleur, plein de poésie. Une sorte de parabole qui n’explique rien, qui ne dit pas comment ça marche mais qui essaye de répondre à la question du sens, du » pourquoi » . Pourquoi sommes -nous là, sur la terre, est ce le fruit du hasard ? Quelqu’un a t-il un projet pour nous ? ou sommes nous seuls, jetés dans le monde, destinés à gambader et à faire ce qui nous plait (chante) et quand ça nous plait jusqu’à notre dernier souffle ? Sommes -nous sous la coupe du Destin ou sommes-nous promis à une destination ? Consommateurs ou serviteurs ? Est-ce que tout est possible ou y t-il des limites ?
Ce conte biblique du « jardin d’Eden » nous parle de la place que nous voulons occuper dans le monde confrontée à celle que Dieu nous donne. Il nous parle de notre fantasme d’indépendance, de ce que nous voulons faire tout seuls, sans tenir compte de rien ni de personne. Il nous parle de notre perte de mémoire. Nous avons oublié qu’un Dieu créateur et sauveur nous précède, et nous a placés avec amour et qu’il a un projet pour nous. Nous pensons à Lui quand ça va mal, quand il nous arrive de gros pépins. Le coeur du récit, nous l’avons vu avec les enfants cet apres-midi, c’est ce petit verset :
« Dieu prit l’Humain (Adam) et le plaça dans le jardin pour qu’il le cultive et qu’il le garde...
et non pas pour qu’il le transforme en objet de consommation illimité.
Le Seigneur place l’Humain pour qu’il prenne soin de ce jardin qu’il lui confie, et qu’il veille sur lui. Or, le jardin que le Seigneur Dieu a planté est offert à l’humain. Cadeau. Le Seigneur aurait pu choisir un terrain vague où tout était à faire. Même pas ! Ici, l’abondance est au rendez- vous :
Y’a des fruits à manger ! Y’a de l’eau à gogo ! Un arbre de vie, symbole de l’immortalité ! Un arbre de la connaissance de TOUT, bien en vue au milieu du jardin , avec des fruits qui donnent des «pépins», dans tous les sens du mot. Bref, il y a une telle abondance de TOUT que le seul arbre interdit d’accès aurait dû ne poser aucun problème. La règle du jeu était simple. C’est comme ces panneaux qu’on voit à certains endroits et qui disent « Danger de mort ».Jusque là, nourrie -logée et sans soucis, la famille Adams n’avait qu’à cultiver son jardin (secret,) celui que Dieu lui demande de garder. En leur déconseillant de toucher au fruit défendu, Dieu fait d’elles des personnes responsables avec choix de vie ou de mort.
Mais comme l’herbe est souvent plus verte ailleurs, ils ont fait le choix d’y mordre à pleines dents !
Ainsi, débute pour eux une autre vie, à côté du jardin, avec cette nostalgie toute orientale de revenir au paradis, alors que celui ci est fait pour être quitté. En effet, il n’existe aucun lieu sur terre où ne régnerait que le bon et le bien sans que le mal et le mauvais y soit associé. Pas de vie sans pépins !
Adam et Eve ce n’est pas hier, jadis, il y a longtemps, mais c’est nous, tous les jours, depuis la création de l’humanité. La tentation est permanente de vouloir posséder au lieu de recevoir.
Et pourtant, en dépit de tout cela, Dieu a pris une décision sur laquelle il ne revient pas. Il a choisi de faire confiance à l’humanité et de nous donner la liberté d’agir et de changer. C’est un choix qui relève de l’amour avec un grand A. L’Amour ne peut pas imposer sa volonté. Comment Dieu pourrait – aimer sa création s’il la tenait en laisse, s’il lui dictait ses choix ? La personne et la vie de Jésus tout entière ne dira rien d’autre que cela.
Voilà ce que les premiers chapitres de la Bible mettent en scène dans le récit le plus célèbre au monde : surnommé « adam et Eve » , une véritable « success-story » qui marquera l’inconscient collectif de la culture judéo-chrétienne pendant plus de 2000 ans. Quelle drôle de célébrité, celle d’un couple plus proche du zéro de conduite que des héros mythiques ! C’est peut -être le propre de la célébrité : qu’on soit minable ou admirable, la popularité est plus forte. On la retrouve dans le logo d’une des plus puissantes multinationales avec sa très médiatique pomme croquée.
Le célèbre poème de la création n’a fini de livrer tous les secrets de son jardin….et de poser des questions de fond qui demeurent : qu’est ce qu’un humain ?
Le récit, écrit en hébreu , est truffé de jeux de mots, de clins d’oeil et de paradoxes. Je ne vous en citerai qu’un seul. Le mot ADAM que l’on a pris à tort pour un prénom. Ce n’est pas le nom de « Monsieur ». Ce mot ne désigne ni l’homme, ni le genre masculin mais est une allusion à son origine pusique adam/ adama signifie terre.
Alors, c’est quoi un humain ? C’est un terreux, un argileux, ou encore : un glébeux, dit la célèbre traduction biblique de Chouraqui. Quoi de plus éclairant pour illustrer la fragilité de l’humain, fragile comme l’argile. L’humain n’est pas devenu fragile parce qu’il lui serait arrivé de graves pépins. Non, l’humain a été créé fragile à la base. Sa fragilité, sa vulnérabilité fait partie de son ADN. Serait-ce la raison pour laquelle certains courent toute leur vie après la puissance et la gloire ?
Quant à Eve, c’est pareil : pas un prénom, ce n’est pas « Mme Eve ». mais le sens a été perdu en cours de route avec les diverses traductions : EVE vient de l’hébreu YAYA qui signifie « La vivante ». c’est elle qui humanise Adam et lui permet d’accéder à la parole et de s’émerveiller. Façonnée à partir de la côte d’Adam ou de son côté (l’hébreu joue avec le double sens) elle révèle à son partenaire qu’il lui manque une partie de lui -même. Une côte en moins, ça compte, et si c’est le côté, c’est pire. Ce « creux, « , ce manque, c’est comme un rappel de son (heureuse) dépendance, comme pour dire : tu ne te suffis pas à toi même.
La langue hébraïque s’amuse beaucoup puisqu’à la fin du récit, elle a recours à l’assonance en appelant le couple homme/femme ish/isha, ce qui laisse entendre cette dépendance mutuelle, cette complicité et cette fragilité assumée. Difficile à traduire en français ! Un collègue a essayé : cela donne homelette et côtelette.`
Vous voyez, on n’a pas fini de découvrir la Bible. Avec elle, c’est certain, on aura toujours un os à ronger.
Amen
Titia Es-Sbanti
prédication au cours du culte caté du 17/09/2022, temple du Mas des abeilles.