Nous vivons un temps bizarre – pour beaucoup la pandémie crée comme une impression d’être déconnectés du temps – d’autres ont l’impression de vivre et recommencer éternellement la même journée, privés de temps forts qui souvent donnent sens à la vie. C’est comme si la vie perdait son relief… alors que pour beaucoup de gens la vie gagne son sens justement par les temps fort : comme des montagnes ils émergent de notre quotidien, qui paraît à côté comme une longue plaine, ou même une vallée profonde.
C’est comme si les moments forts encadraient notre vie de tous les jours…… Mais, même s’ils sont forts, ce ne sont que des moments….. la vie et ce qui lui donne sens a lieu surtout dans les ‘plaines’. Temps que nous négligeons souvent….nous privilégions les moments forts par rapport à notre vie quotidienne.
Avec notre vie spirituelle c’est un peu pareil : Il y a évidemment là les ‘montagnes’, les jours de fête comme Noël ou Pâques, baptêmes et compagnie, qui marquent les étapes de l’année et de la vie.
Pour ceux et celles qui « pratiquent leur religion » comme on le dit – tout au long de l’année, tous les jours ne sont pas égaux pour autant – puisque le dimanche – jour du culte – est différent des jours de la semaine : au culte, on cherche un ressourcement, et une bouffée d’air frais. Un moment mis à part… c’est vrai que la plupart des gens se laissent absorber par le quotidien de la semaine – et y prennent peu de temps pour penser à Dieu, s’ouvrir à sa présence, peu de pauses spirituelles pour prier, prendre du recul et retrouver le centre intérieur.
Le texte de la prédication aujourd’hui nous parle aussi de montagnes et de plaines ou vallées. Sous son apparence miraculeuse il nous parle d’expériences que les disciples ont fait jadis avec Jésus. Ces expériences sont tellement humaines que nous nous y retrouvons encore aujourd’hui – au moins je le pense, vous en jugerez par vous-mêmes. On peut interpréter ce récit de la transfiguration de Jésus comme une méditation sur notre vie spirituelle en trois moments : la montée, en haut de la montagne et la descente dans les plaines.
D’abord la montée : Jésus va avec 3 disciples, Pierre, Jacques et Jean, sur une montagne. Cette montée se situe ‘6 jours après’ le moment où il a annoncé que son chemin se terminera bientôt et ce d’une manière terrible et incompréhensible : une condamnation à mort suivi de sa résurrection.
De quoi être déboussolé pour les disciples. J’imagine leurs pas lourds et leurs âmes tristes et leurs esprits en pleine confusion. Pourquoi Jésus va devoir souffrir et mourir ? Ils ont besoin de temps à l’écart pour prendre du recul et respirer. J’imagine que petit à petit les 4 prennent le rythme de la marche, ils respirent plus librement, ils ont l’impression qu’ils laissent leurs soucis derrière eux. Ceux qui aiment la marche en montagne connaissent ces sensations.
Deuxième temps : la montagne
Ils arrivent donc ensemble sur la montagne. La montagne est un lieu symbolique dans la bible : l’endroit, où Dieu se révèle. C’est sur la montagne, que Moïse a reçu les 10 commandement et qu’il a vu la Terre Promise. C’est sur la montage que Jésus a donné son enseignement le plus essentiel, désigné comme ‘discours sur la montagne’… C’est sur une autre montagne, celle de Golgotha, où il sera crucifié, qu’il va se révéler comme le Fils de Dieu.
La montagne où le ciel et la terre semblent se toucher, est ainsi symbole de la vie et de la foi ! La marche sur la montagne comme lieu où Dieu se révèle est en même temps une marche vers nous-même, vers le centre de notre vie.
C’est donc sur la montagne, que Jésus est « transfiguré » – un mot qui est difficile a comprendre. Transfigurer ne signifie pas forcément transformer/changer. Jésus est transfiguré, mais pourtant il reste celui qui il est. C’est comme si son vrai être transperçait et changeait son apparence habituelle : ses vêtements resplendissent ‘d’une blancheur telle qu’il n’est pas de teinturier sur terre qui puisse blanchir ainsi’, dit l’Evangile de Marc.
C’est ainsi que Jésus devient autre, tout en lui resplendit, mais il reste le même. Il ne change pas d’identité, mais il découvre son identité toute entière, il révèle son être de lumière.
Le texte raconte ensuite que Moïse et Elie, deux prophètes, apparaissent et s’entretiennent avec Jésus. Ce trait miraculeux n’y est pas par hasard : Moïse et Elie étaient deux personnages qui ont vécu, eux aussi, une révélation de Dieu sur une montagne : Moïse y a reçu la volonté de Dieu dans les 10 commandements. Et vous connaissez peut-être aussi l’histoire d’Elie : ce prophète à qui Dieu se révélé dans le silence du Mont Horeb.
Moïse et Elie sont dans la tradition juive les deux personnages liés à l’arrivée du Messie, du temps de salut. Moïse, symbole de la loi, Elie, représentant des prophètes. Ainsi ce récit dit, que Dieu par les prophètes et à nouveau dans la personne de Jésus Christ, dans son chemin de vie vers la croix et la résurrection.
On imagine la stupeur des disciples. Quelle rencontre…! Quel moment, où le ciel s’ouvre !
Pierre, impulsif comme toujours, dit aussitôt : Il est bon, que nous soyons ici, dressons trois tentes ! Je le comprends ce Pierre… il veut rester dans ce moment fort, ce moment extraordinaire. Rien ne lui paraît plus beau, plus attirant….que de rester là haut, dans ce moment de lumière. Comment penser à redescendre ds la vie normale quand on pourrait rester là-haut sur la montagne, près de Dieu, en paix ? Il agit comme nous – quand nous voulons que le temps s’arrête parce que le moment est trop beau.
Eh oui, la montagne est belle… ainsi le chantait Jean Ferrat
https://www.youtube.com/watch?v=cR1HNrjKwYg
Oui, impossible de rester sur la montagne…. La vie est en mouvement, on ne peut ni garder les moments privilégiés, ni dans la vie, ni immortaliser les moments où nous sommes dans une proximité particulière à Dieu.
Il nous arrive, je l’espère pour nous tous, de vivre des moments où nous avons le sentiment que Dieu est particulièrement présent, dans une célébration, une émotion, en silence, devant la beauté. Goûtons ces moments, rendons grâce à Dieu pour ces moments. Même si nous ne vivons certainement pas la même révélation qui est arrivée aux disciples, comme le raconte l’Evangile : un nuage les couvre tous ensemble et ils entendent la voix : Celui-ci est mon fils bien-aimé. Ecoutez-le ! C’est la même voix qui s’est fait entendre lors du baptême de Jésus. Ecoutez Jésus, dit la voix.
Et puis, c’est fini. Arrive le 3ème temps, la redescente
Les disciples, qui osent se lever et regarder voient Jésus seul. Et puis ils redescendent de la montagne dans la plaine… dans le ‘plat pays qui est le mien’, comme le chante si bien Jacques Brel
https://www.youtube.com/watch?v=OZxmE-YAFs0 …
Le plat pays… ils y sont, les disciples après être redescendus de la montagne. Sans doute changés, empreints de tout ce qu’ils ont vécu là-haut. remplis d’une lueur, d’énergie et de force.
Ils suivent Jésus, qui redescend de la montagne vers les gens qui ont besoin de lui….tout de suite après les évangiles racontent une histoire de guérison d’un enfant possédé. Et puis suit la 2ème annonce de sa mort et résurrection. Annonce que les disciples ne comprennent toujours pas.
Dès le retour dans la plaine ils se retrouvent ainsi dans la tension de la foi et l’incrédulité, le manque de foi. Comme nous, si souvent, quand la foi vient à manquer. Dès le retour les disciples sont pris d’incompréhension face à l’annonce du chemin de souffrance de Jésus. Comme nous, car qui peut prétendre avoir compris pourquoi le chemin de Jésus devait finir ainsi, sur cette dernière montagne/colline à Golgotha ? qui peut prétendre avoir vraiment compris que Dieu se manifeste dans la mort de jésus Christ sur la croix ? Cela semble un paradoxe… Folie pour la raison, dit l’apôtre Paul non sans raison.
Alors, vous voyez, ce récit qui peut paraître si miraculeux, sans lien avec notre vie, parle ainsi aussi de notre chemin spirituel à chacun de nous, comme je l’ai dit tt à l’heure. Monter au sommet, s’exposer au soleil de la présence de Dieu, redescendre dans la plaine, le ‘plat pays’ de la vie. C’est une gymnastique perpétuelle. Notre vie est certainement faite plus de plaines que de montagnes. Mais, comme l’a dit le théologien R. Bultmann : « Notre existence toute entière, aussi celle du quotidien, devrait être porté par la conscience, que chaque moment de notre vie a le potentiel de devenir un moment ‘eschatologique ‘ », un moment donc, où notre vie est confrontée aux questions fondamentales, comme sa finitude, comme le sort de l’individu et de l’humanité après la mort etc.
Ainsi, notre foi se joue aussi et devrais-je dire, surtout ? dans ce quotidien, appelé à être ‘transfiguré’ par Dieu.
Monter au sommet, s’exposer au soleil de la présence, redescendre dans la pleine, les bas-fonds de la vie. C’est le chemin de notre propre transfiguration, pour que nous reflétions chacun notre rayon de cette immense lumière de Dieu.
Je nous souhaite, à vous comme à moi, que dans notre quotidien nous ayons conscience que nous sommes tous ancrés dans le ciel, en relation avec Dieu, même dans la grisaille quotidienne, afin qu’elle en soit transfigurée, vivifiée.
Amen.
Iris REUTER, culte du 28/02/21, Radio Alliance Plus
Texte biblique: Marc 9, 2-9