Frères et sœurs en Christ : Entre les théories complotistes qui se multiplient, les modifications de la loi de 1905 qui vont impacter notre manière de vivre l’Église, le changement sociétal qui cantonne les religions dans la case d’un loisir possible mais pas très attrayant, la pandémie, qui se transforme en crise économique et sociale et sûrement en une crise politique à venir, et enfin, cette culture individualiste qui relativise toute vérité et qui ne s’intéresse que de loin en loin au bien commun.
Entre tout ce que je viens de vous décrire et un Synode régional en présentiel qui nous rappelle notre système presbytérien synodal, nous pouvons percevoir un écart, voir même un abîme. Mais aussi nous pourrions dire que finalement notre manière de penser et vivre l’Église ne résiste pas trop mal à ce chamboulement sociétal.
Nous pourrions ajouter que ce système presbytérien synodal nous offre aussi la possibilité de proposer encore aujourd’hui une autre manière de vivre en communauté, une autre manière de cultiver nos relations entre individus, une autre manière de nous positionner dans cette société qui est la nôtre. Enfin, nous pourrions encore dire que nous offrons à nos contemporains une autre façon de voir la vie, d’inscrire nos vies dans une véritable espérance, de susciter au cœur de nos vies un relationnel qui s’affranchit de tout désir de domination de l’autre.
Cette manière de penser et de vivre nous permet, par exemple, non seulement d’accueillir le changement sociétal en cours mais surtout nous offre la possibilité, par notre collégialité, en église et en synode, de réfléchir ensemble aux grandes orientations qu’il nous semble judicieux de suivre tout en tenant compte de ce changement sociétal. Et c’est peut-être dans les mois à venir ce que nous allons devoir travailler le plus, la réelle prise en compte de ce changement sociétal afin d’être capable d’annoncer l’Évangile dans un discours audible pour nos contemporains et dans des actions marquées du sceaux de la justice ou de la lutte contre toutes sortes d’injustices. Si nous ne sommes pas en capacité de lire le monde dans lequel nous vivons nos prédications seront vaines non seulement pour nous mais aussi pour ceux et celles que le Seigneur cherche à rencontrer.
Si nous ne sommes plus audibles et lisible à ce monde qui est le nôtre à quoi bon proclamer l’année de grâce 2021 pour nos contemporains !
Chers délégués, chers collègues, Je ne vais insister aujourd’hui dans ce message synodal que sur une orientation que le Conseil régional sortant a porté du mieux qu’il a pu. Cette orientation est en opposition frontale avec cette idéologie qui depuis plusieurs décennies, pour ne pas dire plus, nous empoisonne l’existence et nous empêche de réfléchir collégialement.
Nous faisons tous le constat que le système économique qui règne depuis fort longtemps a réduit notre vie à l’achat de biens que nous devions consommer. Et pour que la machine économique puisse tourner le mieux possible, pour que les individus aient un travail avec un salaire, l’obsolescence programmée des biens de consommation, petit à petit, a fait son nid. Et tout cela au mépris de cette Création qui tout comme nous, est finie, même si sa finitude se compte en milliers d’années.
Nous le savons tous, l’argent est devenu une idole au sens fort du terme. Nous vivons pour lui, par lui, grâce à lui. Sans lui, il nous est impossible de vivre, de nous déplacer, de communiquer. Nos signes extérieurs de richesse symbolisent notre réussite et leurs absences notre échec. Le langage économique et technicien s’est immiscé sournoisement dans nos relations sociales, dans notre langage. Nous devons être « efficaces », « rentables », « performants », « adaptables à souhait » pas seulement dans nos entreprises, ce qui peut être compréhensible, mais aussi, ce qui est, à mes yeux, plus problématique, dans notre vie quotidienne, en famille, en église, entre amis, dans le couple : suis-je suffisamment performant, efficace !
Le langage économique et technicien est tellement prégnant qu’il nous inonde, nous influence sans nous en rendre vraiment compte. Petit à petit, une mise en concurrence se met en place entre les individus, même entre les églises locales qui n’ont que quelques kilomètres d’écarts parfois, entre les religions (qui va remporter le marché du religieux (Les musulmans ou les Évangéliques) ? Qui aura la meilleure image sociétale qui permettra d’attirer bon nombre d’individus : Les réformés ou les catholiques) ? Cette mise en concurrence est un fait sociétal. Il nous appartient de le relever, de le révéler, d’en être conscient et surtout de ne pas en être la marionnette. De lui résister. Cette mise en concurrence permanente nous entraine sans cesse dans la comparaison, dans l’évaluation, dans une pensée binaire à l’image de certains jeux vidéo. « Un voyou rencontre la reine de la mafia doit-il l’agresser ou prévenir la police ! » … Bref, cette pensée binaire et cette mise en concurrence permanente génère surtout de la tension entre les individus, entre les groupes sociaux. Le plus fort doit l’emporter ! Le plus faible s’écraser ! Soyons-en convaincus, si la communauté à laquelle nous appartenons se laisse envahir par cette idéologie dominante, cela sous-entend qu’elle n’est plus en capacité d’offrir la place qui revient à chacun, à l’ancien comme au nouveau venu. Cette communauté dépérira et disparaitra.
Il me semble qu’en Église nous développons autre chose. Et cet autre chose c’est l’Évangile qui nous le donne. Lorsque l’Apôtre Paul dans la lettre aux Corinthiens décrit l’église comme un corps humain, ou chaque membre du corps compte, ou chaque membre du corps a un rôle à jouer, a une mission à partager, un service à vivre. En Église nous apprenons à nous dessaisir de cette mise en concurrence entre les personnes, entre les communautés, pour mieux découvrir ce que c’est qu’une une mise en coresponsabilité, une mise en commun non pas uniforme mais complémentaire. C’est cette mise en complémentarité que le Conseil régional sortant a tenté de mettre en avant en rappelant que chacun d’entre-nous avions un don ou des dons, des charismes. Et si nous avons reçu ces dons et charismes c’est pour les offrir à cette communauté locale à laquelle nous appartenons afin que celle-ci puisse témoigner de la bonne nouvelle de Jésus Christ pour le monde d’aujourd’hui. Car notre raison d’être c’est d’aller à la rencontre de ce monde, ne l’oublions pas.
Il me semble que nous devrions approfondir davantage cette mise en complémentarité au sein de nos églises locales, dans les lieux où des décisions sont prises, dans les actions que nous menons. En approfondissant cela, nous serons plus en capacité de lire ce monde qui insiste tant sur cette notion de l’individu. Pour nous chrétiens, nous avons pleinement conscience de notre individualité, de son importance dans ce face à face avec Dieu et dans cette découverte de l’autre, ce prochain qui m’enrichit de sa différence. Insister sur cette mise en complémentarité c’est à la fois encourager chaque église à offrir une place à chacun et rappeler que notre individualité se vit devant Dieu, en Christ avec l’aide de L’esprit Saint et en partenariat avec tous nos semblables !
Oui, approfondir cela c’est proposer une autre manière de vivre cet individualisme contemporain qui peut devenir desséchant à force de se couper de Dieu et du prochain. Approfondir cette mise en complémentarité, en coresponsabilité, c’est apprendre à se faire confiance différemment, à découvrir l’inattendu de Dieu qui se révèle chez cet autre que je côtoie, depuis belle lurette, sans même penser qu’il pouvait tout comme moi apporter sa pierre à l’édifice, offrir son don, son charisme.
Ah, il est vrai qu’il y a une prise de risque. Peut-être, certains vont s’apercevoir qu’ils ne sont pas à leur place mais qu’une autre place attend sa venue au sein de la communauté, d’autres vont découvrir qu’une place les attendait, d’autres vont s’apercevoir qu’ils peuvent changer de place et qu’ils ne sont pas obligés d’être trésorier ou président de Conseil Presbytéral à vie !
Accepter de se lancer dans cette mise en complémentarité, en coresponsabilité, c’est une prise de risque. Oui, c’est une prise de risque, car c’est accepter d’être déplacé. C’est accepter que quelqu’un vous dise, je pense que ta place, vu les charismes que nous discernons en toi, trouvera toute sa plénitude dans cette fonction, dans cette mission, dans ce service. C’est accepter d’écouter l’autre, de se laisser déplacer et de moins écouter certains de nos désirs qui nous poussent à briguer certains postes, certaines fonctions…
Il me semble que tout est ouvert devant nous, tout est possible. Même si ce monde ne correspond plus pour beaucoup d’entre nous au monde de notre enfance, il n’empêche que ce monde est à aimer car « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique afin que quiconque met sa foi en Lui ne se perde pas mais ait la vie éternelle. »
Dieu a tant aimé le monde et nous avons été les uns et les autres créés à l’image de Dieu par Jésus Christ, et nous sommes tous enfants de ce Dieu là pour aimer ce monde et rencontrer les individus de ce monde-là et les aimer gratuitement, c’est notre vocation.
Jean-Pierre JULIAN, président du Conseil régional en Cévennes-Languedoc-Roussillon.
Message synodal, Saint-Jean-du-Gard, 17 janvier 2021