Le bon grain et… la zizanie

Imaginez un champ de blé… comme on en voit en début de l’été avant la moisson: quand le vent le traverse il ressemble à la mer avec ses vagues. Son vert est prometteur de moisson, de blé qui grâce au travail de l’humain va le nourrir chaque jour pendant l’hiver, prévoyant le pain pour vivre et grandir.

Imaginez – dans ce champ verdoyant – quelques coquelicots, aussi de la mauvaise herbe qui pousse parmi les plants de blé. C’est dans ce monde que Jésus nous plonge, avec la suite des paraboles de semence et de moisson. Il y a là un semeur, semant généreusement, à profusion. Il voit des graines lever, d’autres non à défaut de bonne terre, reflet de l’échec  possible.

Il y a là la toute petite graine de moutarde qui illustre la puissance qui se cache dans une graine minuscule, qui se révèle devenir un grand arbre qui offre ombre et abri aux humains et autres créatures.

Ces images de semence et de croissance inspirent la confiance, la sérénité et la patience. Mais pas seulement.
Aujourd’hui je voudrais méditer avec vous plus particulièrement la parabole du bon grain et de l’ivraie. Elle reflète l’expérience que le monde, champ de blé, est un mélange entre le bon et le mauvais, le bien et le mal : parce que voilà, ce champ de bons grains héberge aussi des ivraies. L’ivraie – le mot grec en dit long sur sa signification – « ivraie », en grec, se dit zizanie : le grain de la discorde. La zizanie est une plante hallucinogène, qui a la réputation de rendre aveugle. Ainsi le mal dans le champ de blé (monde) vient de la zizanie, de la discorde, procède de l’aveuglement dans la manière de voir le monde.

Mais  d’où vient la zizanie ? demandent les serviteurs dans la parabole au maître de maison. D’un ennemi, dit le maître, sans donner plus d’explications suer qui serait cet ennemi et pourquoi il aurait fait cela.
Il attire l’attention sur la stratégie à tenir face au mal qui agit dans le monde. A la question des serviteurs : « veux-tu que nous allions l’arracher » ? Le maître répond : Non, car en l’arrachant, vous risquez d’arracher aussi le blé. Laissez-les pousser ensemble jusqu’à la moisson, et à ce moment-là je dirai aux moissonneurs : enlevez d’abord la mauvaise herbe et liez-la en bottes pour la brûler, puis vous rentrerez le blé dans mon grenier ».

La moisson , c’est l’ image du jugement, de l’achèvement, de l’accomplissement du monde. Cette moisson sera menée, comme le dit Jésus plus tard, par le Fils de l’homme et ses anges. Les serviteurs n’y ont aucun rôle à jouer. Ce « détail » est déterminant. Il nous éclaire sur ce qui appartient et ce qui n’appartient pas aux serviteurs de faire, ces serviteurs -disciples de Jésus et auditeurs de sa parole à travers le temps.
Le verset clé est celui-là : « Non, n’arrachez pas l’ivraie, de peur d’arracher aussi le blé ». Laissez les pousser ensemble jusqu’à la moisson ».

Comment comprendre cet appel, ou plutôt cette mise en garde contre le désir naturel de l’humain de faire le tri, de séparer le bon grain de l’ivraie ?

Nous pouvons faire nôtre cette mise en garde tant au niveau collectif, de la société qu’au niveau individuel. D’abord le collectif : Jésus souligne que ce n’est pas le but des serviteurs de purifier le monde de sa mauvaise herbe : c’est la démarche des intégristes de vouloir créer un monde pur ou de ramener le monde à une pureté fantasmée initiale. Démarche d’épuration, autrement dit  l’élimination de tout ce qui dans leurs yeux n’est pas pur. Or  l’Evangile  « n’appelle pas à une purification extérieure du monde, mais à une purification intérieure de la personne. La différence entre  pureté extérieure et intérieure rejoint l’opposition entre l’intégriste et le saint. Les intégristes veulent obliger tout le monde à aller au ciel (par le chemin qu’eux ont choisi), alors que le saint cherche la pureté intérieure : son combat spirituel le conduit à convertir son cœur afin de porter sur les humains et sur leurs action le regard de Dieu – un regard de miséricorde. Aux religieux qui multiplient les rites de purification pour rester purs, Jésus ne dit pas : Heureux ceux qui ont les mains bien propres », mais  « heureux ceux qui ont un cœur pur ». Ce verset est la plus belle justification biblique de la tolérance. Comme un commentaire à cette parole de Jésus qui disait : Ne jugez pas, afin de ne pas être jugés… pourquoi regardes-tu la paille qui est dans l’oeil de ton frère et ne remarques-tu pas la poutre qui est dans ton œil ?.  Parce qu’il n’a pas jugé son prochain, Jésus a posé un regard bienveillant sur le monde » (1).

Si on pense un pas plus loin, cette parabole interdit la peine de mort. Tel est, par exemple, le combat de l’ACAT (Action chrétienne pour l’abolition de la peine de mort et de la torture). Arracher la vie aux mauvaises herbes, c’est s’aveugler sur le fait que chaque personne porte en elle aussi les germes du bon grain, qu’elle a en elle un potentiel de changement, de repentance.

L’histoire du monde passé et actuel est parcourue de telles démarches de purification qui ont toutes tué coupables et innocents.
Face à cela, la parabole appelle à l’humilité : la moisson, le jugement appartient à Dieu, origine et aboutissement de la vie, qui seul est capable de voir l’humain dans toute sa complexité, dans son être où bon grain et ivraie s’entremêlent. C’est là la dimension individuelle : reconnaître qu’en chacun.e de nous, le bon et le mauvais s’entremêlent. Et nous savons combien nous pouvons être aveugles par rapport à cela (je vous rappelle que l’ivraie- zizanie est une plante qui aveugle). Dans nos relations humaines, un plant d’ivraie suffit souvent pour cacher un champ de bon grain ! Nous sommes donc invités à l’introspection et l’examen de conscience…et cela sous le regard de bienveillance et de miséricorde de Dieu. Parce qu’il est impossible de porter un jugement définitif  sur l’autre, ou sur soi-même.

Alors, que faire ? Ne plus rien dire  parce que tout se vaut ? On retrouve un peu cette attitude aujourd’hui : « c’est ton choix, c’est ta vie ! »  Je suis convaincue que Jésus ne prêche pas le relativisme, ni un pseudo-neutralisme… Je ne pense pas non plus que Jésus refuse la juridiction. Certes, il s’est opposé à la loi, mais lorsqu’ elle ne met pas l’humain au cœur ! La loi est faite pour servir l’humain, dit-il, et non l’humain pour servir la loi.

Chaque société a besoin d’un système judiciaire, ne serait-ce que pour éviter que règne la loi du plus fort. De même, pour éviter l’autodéfense, l’auto-justice, qui fait fleurir les désirs de vengeance.

Pour terminer, je reviens au contexte plus large de la parabole : l’horizon est la moisson, l’achèvement et l’accomplissement du monde par Dieu. Subsistera le bon grain, qui était premier aussi dans le champ de blé. Chacun.e sera débarrassé de toute la zizanie, de tout aveuglement qui est en soi et verra Dieu face à face. Subsistera le bon grain et nous brillerons comme le soleil dans le royaume du Père. C’est une promesse et un appel.

Cette parabole est finalement une parabole d’espérance, qui invite à la patience, comme toutes les paraboles de semence et de croissance. Elle nous invite à entrer dans cette perspective d’espérance tout en restant lucide.
Et Jésus conclut en disant : Que celui qui a des oreilles entende !

Amen

Iris REUTER. 26/07/20

(1) Antoine NOUIS.

 

Texte biblique : Matthieu 13, 24-43