Une histoire à dormir debout

Après son dernier repas pris avec ses disciples à Jérusalem, voici la dernière nuit de Jésus avant son arrestation. Il sort avec ses amis et les emmène à l’extérieur de la ville, dans un lieu calme, à l’abri des bruits de la ville. Cet endroit s’appelle Gethsémané ou le jardin des Oliviers. Là, Jésus leur manifeste son désir d’aller prier. Avant de se mettre à l’écart , il leur dit :« Veillez et priez ! »

Veillez et priez…il fait nuit. Jésus demande à ses disciples de veiller à l’heure où le corps réclame le sommeil. Il faut se faire violence. Où trouver cette volonté et cette énergie pour veiller ? Les disciples n’ont visiblement pas la même conscience que Jésus des instants qu’ils sont en train de vivre.

Veiller, c’est long, très long, surtout vers la fin ! C’est vrai quoi, lutter contre le sommeil quand on a les yeux qui tombent comme des pierres, c’est tout simplement redoutable. Les disciples ont pourtant reçu des avertissements, des paroles fortes. Pendant ce dernier repas de la Pâque avec Jésus, celui-ci leur avait annoncé que l’un d’entre eux le trahirait et qu’un autre le renierait. De quoi faire une nuit blanche si on était à leur place, non ?
Suite à cette terrible annonce, tous avaient d’ailleurs vivement réagi : est-ce moi Seigneur ? Ou moi ? puis s’étaient exclamé en choeur que cela ne pouvait pas être l’un d’entre eux. Pourtant, quelques heures plus tard, le sommeil s’est montré plus puissant.

« Veillez et priez !  » leur demande Jésus. Que s’est -il donc passé avec les disciples ? Pensaient-ils à autre chose à ce moment-là ? Etaient-ils en train de digérer ou bien dans la lune ? Vous en avez certainement déjà fait l’expérience …peut-être même lors d’un culte ! D’ailleurs, j’aimerais vous partager une petite crainte en ce moment : c’est que vous vous endormiez pendant ma prédication. Je vais demander à notre invitée gendarme, ici présente, de vous SUR-veiller !

Je continue : Jésus demande donc à ses disciples de veiller. Il ne le demande pas à tous. Il en choisit trois, ce sont les plus proches. Ne peut-on pas compter sur ses meilleurs amis ? Mais voilà que leurs paupières se font lourdes , nous dit-on. C’est un échec complet ! Pourtant on aurait pu penser qu’au moins 1 sur 3 tiendrait bon. Et bien non. Curieusement, ils s’endorment tous les trois en même temps, comme des automates, comme s’ils s’étaient concertés et qu’ils avaient tous les trois décidé de prendre un cachet pour dormir, pour oublier l’information traumatisante que leur maitre leur a annoncé pendant le repas.
Ainsi, Jésus qui voulait prier dans le calme et se sentir entouré, va devoir les réveiller trois fois.

Même pas cap’  diraient les enfants. Quel triste spectacle, quelle déception.
Pierre, tu n’as même pas su veiller UNE heure ! » dit Jésus au disciple qui veut toujours faire mieux que les autres. C’est raté !  Les apôtres  sont des hommes comme les autres. Ni plus forts ni plus courageux que n’importe qui d’autre.
Finalement, on se demande pourquoi Jésus les emmène avec lui !  Il connaissait la faiblesse de ses amis, il savait la proche trahison de Judas et le reniement de Pierre juste après. D’ailleurs, vous savez quoi ? Quand Jésus sera arrêté , quelques heures plus tard, tous ses disciples s’enfuiront. (un commentateur malicieux a écrit à ce sujet que c’était le moment ou l’Eglise a le plus manifesté son unité !!).

Oui, Jésus aurait pu aller à Gethsémané tout seul. Pourquoi donc les avoir embarqué avec lui ? Judas, entretemps, a quitté la table pour aller préparer son mauvais coup en rejoignant les prêtres et les soldats. Les jeux sont faits. Il va embrasser Jésus sur la joue pour le désigner aux Romains afin qu’ils procèdent à son arrestation.

Franchement, c’est une histoire à dormir debout …Nous assistons à une scène totalement inhabituelle : pour une fois que Jésus demande  quelque chose pour lui-même! En effet, Jésus a besoin des disciples.  Or, que se passe t-il ? C’est le Fils de Dieu qui prie et ce sont les hommes qui dorment ! On découvre ici un Jésus terriblement seul, angoissé, isolé, incompris, alors même qu’il confie à ses disciples qu’il est « triste à mourir » .

Et aujourd’hui ? Aurions nous fait mieux que les disciples ? Face au chaos et au tourbillon des événements de notre monde, combien il est difficile de garder les yeux ouverts ! Et quand bien même le voudrions nous, vers où faudrait-il diriger notre regard ? Veiller sur qui , sur quoi ?
On a malheureusement l’embarras du choix. Il y a tant de malheurs, d’injustices et de menaces au près et au loin ! Nous ne savons plus ou donner des yeux et de la tête. Alors la tentation est forte de se replier sur soi, de mettre sa capuche et de dire « bof ». Ou encore, de faire la politique de l’autruche, vous savez, cet animal qui plonge la tête dans le sable..Oui, l’impuissance et la résignation nous guette. Résister au mal, mais comment ? Nous sommes comme anesthésiés par le poids des catastrophes : violence, guerres, menaces climatiques…
Mais voilà, le Christ nous demande notre aide, il nous demande de l’aider à résister à tous les marchands de somnifères, à la somnolence et à l’indifférence car l’humanité est en état d’urgence…  Réveillez vous !! nous dit -il aujourd’hui. J’ai besoin de vous. A Gethsémané, Dieu vient réveiller une humanité engourdie dans ce demi- sommeil que nous appelons «vie quotidienne».

Veillez ! A l’origine, ce mot vient de « vigueur », et de « vie ». Oui, soyons plein de vie, de vigueur, pour regarder, et chercher à comprendre le monde, et ce qui arrive dans nos vies. Eveillons -nous. Ne baissons pas les bras, ne renonçons pas. Albert Einstein disait : « si vous croyez que c’est impossible de changer le monde, vous êtes priés de ne pas dérangés ceux qui essayent ».
Devenez des veilleurs, des « éveilleurs d’espérance », et cela malgré le tragique et la violence dans le monde, et même surtout : au milieu de ce tragique là, de la violence et de la mort !

Veillez et priez ….
Veiller, c’est la condition nécessaire pour entrer en prière : en effet, il faut être attentif, ne pas répondre au téléphone qui sonne à côté, ni prêter attention au vase qui se casse derrière vous, ni penser à ce que vous allez faire à manger ce soir.

Prier, c’est être attentif à une autre voix que la nôtre, aux oreilles et au silence de Dieu qui nous parle. Prier, c’est aussi se décentrer de soi, de ses propres préoccupations, pour remettre à Dieu des situations difficiles, et surtout : puiser des forces pour devenir acteur dans le monde. Avoir la force de Dieu dans son cœur, dans ses bras, dans sa tête ! Prier, c’est parler à Dieu simplement, avec nos petits mots et nos grands silences, avec nos balbutiements et nos doutes.

Il y a, dans la vie chrétienne, un symbole fort, universellement utilisé, qui peut nous aider à conjuguer les verbes veiller et prier.  De quoi s’agit-il ? De la Croix. La croix vide accrochée au mur de nos temples ou de nos églises , la croix autour du cou. A l’origine symbole d’exécution, de mort, de torture et de souffrance, on pourrait dire que la croix est un objet bien sinistre  ! Et pourtant, c’est cela que les premiers chrétiens ont choisi comme signe de reconnaissance. Pourquoi ? Parce que cette croix vide nous rappelle que Jésus n’y est plus, qu’il est vivant, ressuscité. Ce « gros mot » de la foi signifie  »être relevé, réveillé. » Tiens, on se rapproche du verbe veiller ! Jésus est passé par la mort, l’échec, l’humiliation, la trahison, il a traversé tout cela mais il n’est pas resté enfermé dans le tombeau.
La fête de Pâques que deux milliards de chrétiens ont célébré dimanche dernier, proclame la victoire de la vie sur la mort, de l’amour sur la haine, de la joie sur la tristesse. C’est cette croix vide, ce morceau de bois qui dit tout cela, et que nous choisissons pour dire que du coeur même de l’absurde, un chemin de vie et d’espérance est possible. De sorte que, même si nous fermons nos yeux pour ne pas voir la réalité en face, le Christ, lui, garde les siens ouverts. Et nous invite inlassablement à ouvrir les nôtres. Alors, éveillons -nous ! Car  « une petite flamme qui vacille peut soulever le lourd manteau de la nuit ». (1)

Amen

Titia Es-Sbanti

Prédication du 15/04/2023.
Culte caté , paroisse du Mas des abeilles.
Thème : L’arbre veilleur.

(1) citation de Jean-Paul II.

Retrouvez la séance caté sur le même thème :
https://nimes-eglise-protestante-unie.fr/surveiller-ou-veiller/