paroles bleue n° 11/21

Voyons un peu ce que dit la presse internationale en ce premier jeudi du mois d’avril 2021. Commençons par nos voisins :  « Le Süddeutsche Zeitung », « La tribune de Genève »,  «  Le corriere della Sera », « The Guardian ». Bon, rien de bien sensationnel. Voyons un peu plus loin.
Tiens, dans « Haaretz », en première page : « Rencontre au sommet historique entre messieurs Benyamin Netanyahou, Premier ministre Israëlien et Mohammad Shtayyeh Premier ministre de l’autorité palestinienne. À l’issue de cette rencontre, les deux responsables politiques ont déclaré : « Conscients de l’extrême lassitude de nos peuples et de leur désir de vivre en paix, nous avons décidé de reprendre des négociations avec le souci de pouvoir enfin aboutir à un accord de paix et d’amitié définitive entre nous ». Eh bien en voilà un « Scoop » !

Voyons plus loin. Tiens, dans le « Washington post » deux nouvelles sensationnelles : « Messieurs Trump et Biden décident d’enterrer la hache de guerre et de se rencontrer pour rechercher la meilleure façon de réconcilier les deux Amériques qui s’opposent et guérir la fracture qui menace l’unité du pays » Super ! Un peu plus loin dans la rubrique économique du même journal : «  Christine Lagarde, Directrice générale du Fonds monétaire International envisage de plus en plus de remettre la dette des pays pauvres, considérant qu’avec la crise sanitaire qui n’a fait qu’aggraver leur situation ils sont en totale incapacité de faire face aux échéances qui les attendent ». Décidément il y a des jours où l’on est heureux de parcourir la presse !

Ce n’est pas un jeudi noir de sinistre mémoire, mais un jeudi bleu, lumineux, ensoleillé. Avril commence bien. Avril ! Vous avez dit avril. Zut alors ! Je me suis laissé piéger, nous sommes le premier avril. Rien de cela n’est vrai, il s’agit de simples poissons d’avril, de fort mauvais goût je vous l’accorde, mais c’est ainsi. L’humour peut être parfois grinçant.

Tant pis, pendant quelques minutes, je me suis laissé aller à penser que le Royaume de Dieu s’approchait à grands pas. Ce fut bref, mais beau, un rêve magnifique et comme le disait si bien un humoriste : «  tant qu’à rêver, autant rêver riche ». Je ne vais donc pas en vouloir aux auteurs de ces fausses rumeurs, puisque pendant quelques instants j’y ai cru et j’en ai été heureux.

On dit que les farces du 1er avril remontent à l’époque de Charles IX où il fut décidé de faire commencer l’année au 1er janvier alors que dans pas mal de régions elle commençait auparavant le premier avril. La période d’adaptation à ce changement de calendrier fut longue et certains, pour ridiculiser ceux qui avaient du mal à se plier à cette petite révolution, prirent l’habitude de leur offrir des cadeaux improbables ou absurdes au lieu des cadeaux traditionnels que l’on s’offrait habituellement à l’occasion de la nouvelle année. Puis vinrent les farces. Cette façon de brocarder ceux qui ont eu du mal à s’adapter au changement nous rappelle combien il est parfois difficile de changer de paradigme. Les farceurs avaient raison, même s’il est peu charitable de se moquer de ceux qui ont du mal à « digérer » la nouveauté. Ils allaient de l’avant.

Et nous cette année ? Si au lieu de nous en indigner ou d’en rire, nous les prenions aux mots, ces moqueurs ?

Peut-être n’ont-ils qu’un temps d’avance et ne sont-ils finalement que des prophètes, les prophètes d’un avenir possible pour nous et ceux qui vont nous suivre ?

Car, après tout, pendant des siècles, les Juifs ont été mieux accueillis dans les pays de confession musulmane que dans les pays chrétiens. Lors de la « reconquista » espagnole, les Juifs andalous, après avoir dû migrer d’abord au Portugal puis au Pays-Bas ou à Ferrare se sont finalement fixés à Istanbul où ils ont été plutôt bien accueillis dans l’Empire ottoman qui était musulman. De même, après la guerre de Sécession qui fut pour eux, un traumatisme bien plus grand que celui qu’ils vivent actuellement, les citoyens d’Amérique du Nord ont appris à se réconcilier et à faire face ensemble à bien des épreuves. Alors utopie ou simple rêve prémonitoire de ce qui pourrait advenir ? Qui peut le dire ?

Ce qui a été possible il n’y a pas si longtemps au regard de l’histoire, ne le serait-il plus ?

Enfin l’idée d’une remise de leur dette aux pays les plus pauvres et les plus endettés est-elle si absurde ? Non, si l’on en croit certains économistes, dont le père jésuite Gaël Giraud. Il est spécialiste en économie mathématique et a été économiste en chef de l’Agence française de développement. Il plaide pour l’effacement de la dette souveraine détenue par la Banque centrale européenne. Je sais que ses positions sont contestées et sans doute contestables et avoue être bien incapable de dire la vérité en la matière, mais je sais également que sa compétence est reconnue de tous, même de ses adversaires. En défendant cette thèse, il ne fait que renouer avec une prescription ancienne du Deutéronome. Au chapitre 15 de ce livre, il est écrit : «  Au bout de 7 ans, tu feras la remise des dettes. Et voici ce qu’est cette remise : tout homme qui a fait un prêt à son prochain fera remise de ses droits : il n’exercera pas de contrainte contre son prochain ou son frère, puisqu’on a proclamé la remise pour le SEIGNEUR. L’étranger, tu pourras le contraindre ; mais ce que tu possèdes chez ton frère, tu lui en feras remise ». Or depuis ces temps anciens, Jésus est venu et nous a appris que nous étions tous frères et sœurs puisque tous aimés comme fils et filles par Dieu lui-même.

Alors voilà, rêve, c’est-à-dire représentation plus ou moins idéale de ce qu’on veut réaliser ou que l’on désire ou bien chimère ou utopie c’est-à-dire vaine imagination, projet dont la réalisation est impossible ? Chacun est libre de faire son choix. Pour moi, je préfère penser qu’il s’agit d’un rêve et non d’une utopie, car le rêve me stimule et m’incite à me mettre en marche. En effet, qui peut dire combien de rêves d’hier sont devenus les réalités d’aujourd’hui et combien de rêves d’aujourd’hui seront les réalités de demain ? Ma compréhension de l’évangile m’incite à penser qu’il m’appartient d’apporter mon petit caillou et m’invite à participer à l’élaboration de ce royaume que nous espérons, qui est encore un rêve, mais dont notre foi nous dit qu’il nous est promis. « Le royaume des cieux est comparable à du levain qu’une femme prend et enfouit dans trois mesures de farine, si bien que toute la masse lève » (Matthieu 13, 33). S’il en est ainsi, notre petite pierre n’est pas inutile mais au contraire absolument nécessaire.

Je pourrais m’en arrêter là, si ce jeudi 1er avril était un jeudi et un premier avril comme les autres. Mais voilà, il n’est pas un jeudi 1er avril « classique ». C’est le jeudi saint. Nous commémorons ce premier jour où des hommes ont mangé du pain et bu à la coupe pour la première fois, à la demande de Jésus lui-même, en commémoration de son passage parmi nous. Institution de ce qui allait devenir la sainte Cène. Que nous soyons de tradition réformée ou luthérienne, ce sacrement qui symbolise à la fois la communion des croyants avec le Christ et entre eux, constitue également un moment fort de notre parcours spirituel où par ces simples gestes nous affirmons notre foi en celui qui est venu et notre désir de nous engager à le suivre sur le chemin qu’Il a ouvert pour nous et qu’ Il nous propose de parcourir ensemble.

Aucune démonstration scientifique ne permettra jamais d’affirmer la Seigneurie de Jésus-Christ, seule notre foi nous incite à le croire. Pourtant nombreux sont ceux qui vivent de cette ferme assurance. Cela peut paraître dérisoire pour certains, folie pour les sages, disait Paul, mais à bien y regarder, dans cette société où nous souhaiterions pouvoir tout maitriser, nous réalisons que les choix les plus importants que nous avons à faire au cours de nos vies, échappent le plus souvent au seul rationnel ; le choix d’une épouse, d’un époux, d’un métier et bien d’autres choix encore ! Ils sont, à l’un ou l’autre moment, pari sur l’avenir, acte de foi véritable.

C’est bien cette foi, cette fiance en quelque chose ou en quelqu’un qui donne sens à nos jours.

La concomitance de date entre ces petits contes ou rêves fait un premier avril et le jeudi saint vient bien opportunément nous rappeler combien, quelles que soient par ailleurs nos options philosophiques et spirituelles, la foi reste aujourd’hui, comme elle l’était hier, un carburant indispensable pour nous aider à avancer dans la vie.

«  Par la foi, répondant à l’appel, Abraham obéit et partit pour un pays qu’il devait recevoir en héritage et il partit sans savoir où il allait. Par la foi il vint résider en étranger dans la terre promise, habitant sous la tente avec Isaac et Jacob, les cohéritiers de la même promesse. Car ils attendaient la ville munie de fondations, qui a pour architecte et constructeur Dieu lui-même » (Hébreux 11, 8-10)

Pour nous Chrétiens, c’est l’addition de toutes ces fois individuelles qui se rassemblent autour de la même espérance à la suite du même chef qui constitue l’Eglise. Elles sont le levain qui permettra à la pâte de lever. Que cette foi demeure et que nous sachions les uns les autres et les uns par les autres la vivifier, c’est le vœu que je forme pour nous en ce printemps commençant au moment où nous allons fêter la résurrection de celui qui, venu pour nous, demeure à jamais.

Bernard Cavalier., le 1er avril 2021

 

Tableaux : Paul KLEE