L’EXTASE ET LA FOI
EXTASE, substantif féminin – Définition : État particulier dans lequel une personne, se trouvant comme transportée hors d’elle-même, est soustraite aux modalités du monde sensible en découvrant par une sorte d’illumination certaines révélations du monde intelligible, ou en participant à l’expérience d’une identification, d’une union avec une réalité transcendante essentielle.
Au moment où nous commençons à sortir de la sidération désolante de cette période de confinement, tout en déplorant toujours nombre de disparus, de familles endeuillées, de vies bouleversées par la pandémie, j’ai choisi de partager avec vous ces deux versets qui nous conduisent à méditer sur la confiance, l’espérance, et notre foi dans le réconfort que nous apporte le Christ dans les moments les plus difficiles de notre vie terrestre :
« Car pour moi, la vie c’est le Christ, et la mort m’est un gain. » (Philippiens 1:21)
« Nous sommes pleins de confiance, et nous aimons mieux quitter ce corps et demeurer auprès du Seigneur. » (2 Corinthiens 5:8)
Mettons en résonance ces deux versets avec un poème de Théodore Agrippa d’Aubigné (1552-1630) intitulé « EXTASE ».
Méconnu de ses contemporains, Théodore Agrippa d’Aubigné fut redécouvert à l’époque romantique, notamment par Victor Hugo, puis par le critique Sainte-Beuve.
EXTASE
Ainsi l’amour du Ciel ravit en ces hauts lieux
Mon âme sans la mort, et le corps en ce monde
Va soupirant çà bas à liberté seconde
De soupirs poursuivant l’âme jusques aux Cieux.
Vous courtisez le Ciel, faibles et tristes yeux,
Quand votre âme n’est plus en cette terre ronde :
Dévale, corps lassé, dans la fosse profonde,
Vole en ton paradis, esprit victorieux.
Ô la faible espérance, inutile souci,
Aussi loin de raison que du Ciel jusqu’ici,
Sur les ailes de foi délivre tout le reste.
Céleste amour, qui as mon esprit emporté,
Je me vois dans le sein de la Divinité,
Il ne faut que mourir pour être tout céleste.
Le corps, vivant, soupirant, abandonné sur terre, cherche en vain à suivre l’âme tandis qu’elle a été ravie par l’amour du ciel, voilà la description symbolique de l’état extatique.
Le sujet est transporté hors de lui-même, c’est l’extase, l’illumination.
Dans la première et la dernière strophe, le mot « amour » ( » amour du ciel » et » céleste amour « ) explique la raison de l’extase qui emporte l’esprit.
» Amour « , ce mot, le plus doux qu’il nous soit donné d’entendre, résume la confiance en la grâce inconditionnelle qui nous est donnée, et ainsi avec ces deux citations Agrippa d’Aubigné assume sa foi protestante.
L’extase est encore manifestée par » Vole en ton paradis, esprit victorieux « , tandis qu’à nouveau symboliquement, le corps jeté dans la fosse profonde voudrait inutilement suivre l’âme « jusques aux cieux ».
On revient à cet amour céleste, qui calme toute angoisse, toute douleur, toute violence, et qui donne « l’esprit victorieux » à celui qui a la foi.
– « Car pour moi, la vie c’est le Christ, et la mort m’est un gain. » Philippiens 1:21
– « Nous sommes pleins de confiance, et nous aimons mieux quitter ce corps et demeurer auprès du Seigneur. » 2 Corinthiens 5:8
On évoque dans ces versets que l’on peut (doit) en confiance pouvoir quitter un corps (mort réelle ou symbolique) pour vivre l’amour du Christ, notre Seigneur. Un lien m’est apparu, voilà pourquoi j’ai tenu à partager avec vous cette rencontre des versets et du poème « EXTASE ». Ces versets, surtout le second, d’Aubigné s’en serait-il inspiré ? Comment au cours de mes lectures ai-je pu rencontrer à la fois ce texte et ces versets et, à tort ou à raison du reste, faire ce lien ?
La foi qui délivre, qui nous guide, qui nous inspire ?
La foi rend fort, « Sur les ailes de foi délivre tout le reste » écrit d’Aubigné.
THÉODORE AGRIPPA D’AUBIGNÉ (1552-1630)
Poète et soldat, calviniste intransigeant, il soutient sans relâche le parti protestant, se mettant souvent en froid avec le roi Henri de Navarre, dont il fut l’un des principaux compagnons d’armes. Il échappa au massacre de la Saint-Barthélemy, en 1572, alors qu’il avait 20 ans, en marchant dans Paris un livre de messe sous le bras.
Comme de nombreux protestants, d’Aubigné ressent l’abjuration d’Henri IV, en 1593, comme une trahison, d’autant plus qu’il était l’un de ceux qui s’étaient le plus battus pour amener Henri de Navarre au trône. Comme l’écrit Marguerite Yourcenar, « il a parlé pour des voix réduites au silence ; il a aussi vomi sa fureur à l’égard de ceux qui lui semblaient avoir commis, ou n’avoir pas empêché, l’injustice ». Il est peu à peu écarté de la cour, dont il se retira définitivement après l’assassinat d’Henri IV en 1610. Son fils, Constant d’Aubigné abjure le protestantisme en 1618, sa deuxième épouse, Jeanne de Cardilhac, donnera naissance à Françoise d’Aubigné, qui devient la très catholique et très anti-protestante marquise de Maintenon, maîtresse puis épouse du roi de France Louis XIV, et nous connaissons la suite…
Philippe CAGNON, le 27 mai 2020, conseiller presbytéral.