» Christ est ressuscité ! Il est vraiment ressuscité ! «
Telle est la formule par laquelle se saluent les chrétiens en ce jour de Pâques. Oui, nous avons besoin de nous rappeler chaque année cet événement fondateur de notre foi en Jésus-Christ, mort et ressuscité pour le salut de l’humanité.
Mais comment le proclamer aujourd’hui, 12 avril 2020, à la face d’un monde meurtri et menacé par une pandémie qui risque de lui faire perdre tous ses repères? Comment parler de résurrection à ces centaines de milliers de personnes atteintes du virus et ces centaines de familles endeuillées ? Comment faire pour que le message générateur d’espérance, ne sonne pas creux à leurs oreilles, nous donnant l’impression de dire « juste pour dire »?
C’est pourtant à tous ceux-là que vont mes premières pensées et prières aujourd’hui, en lisant le texte du jour dans l’Evangile de Jean 20/1-8 et où le visage de Marie-Madeleine s’impose comme une évidence :
1 Le premier jour de la semaine, Marie de Magdala se rendit au sépulcre dès le matin, comme il faisait encore obscur; et elle vit que la pierre était ôtée du sépulcre. 2 Elle courut vers Simon Pierre et vers l’autre disciple que Jésus aimait, et leur dit: Ils ont enlevé du sépulcre le Seigneur, et nous ne savons où ils l’ont mis.
Dans cette aube pascale, Marie-Madeleine se rend seule au tombeau, accablée par la douleur que n’a pu atténuer la durée de la fête de la Pâque pendant laquelle toute visite au cimetière était interdite. Peut-être devait-elle s’assurer que c’était bien vrai : Son Maître bien-aimé n’était plus de ce monde, il lui fallait apprivoiser la mort.
Or, voilà et comme pour ajouter du drame au Drame, la pierre qui fermait le tombeau a été roulée et le corps de Celui qui a été crucifié vendredi dernier n’était plus là. Comment est-ce possible? Qui a osé profaner son sépulcre et faire disparaître le corps ? Sa double douleur, il lui fallait la crier : elle courut alors l’annoncer à Pierre et « l’autre disciple ». Ceux-ci viennent vérifier par eux-mêmes; puis s’en retournèrent chez eux, comme si ce qu’ils avaient découvert, les bandelettes et le linge qui recouvraient le corps de Jésus, « soigneusement pliés », avait suffi à donner un sens à sa disparition. L’un d’eux « vit et crut », nous précise le texte.
Mais qu’en était-il de Marie-Madeleine? Pourquoi ne les a-t-elle pas suivis ?
11 Cependant Marie se tenait dehors près du sépulcre, et pleurait. Comme elle pleurait, elle se baissa pour regarder dans le sépulcre;12 et elle vit deux anges vêtus de blanc, assis à la place où avait été couché le corps de Jésus, l’un à la tête, l’autre aux pieds. 13 Ils lui dirent: Femme, pourquoi pleures-tu? Elle leur répondit: Parce qu’ils ont enlevé mon Seigneur, et je ne sais où ils l’ont mis. 14 En disant cela, elle se retourna, et elle vit Jésus debout; mais elle ne savait pas que c’était Jésus. 15 Jésus lui dit: Femme, pourquoi pleures-tu? Qui cherches-tu? Elle, pensant que c’était le jardinier, lui dit: Seigneur, si c’est toi qui l’as emporté, dis-moi où tu l’as mis, et je le prendrai.
Marie-Madeleine, elle, ne cherche pas à s’approprier un quelconque sens; elle reste en-dehors du tombeau, elle pleure. Pour elle, le sens, c’était Jésus. Corps présent ou corps volé, il est bien mort. Et puis elle regarde de dehors. Elle voit. Elle voit des choses qui ont bien un sens pourtant: Des anges, dont la position souligne à la fois l’absence de Jésus et que c’était bien lui qui avait été là. Des anges vêtus de « blanc », signe non trompeur de la gloire de Dieu remplissant ce lieu. Peut-être que cela l’aidera t-elle à comprendre ? Mais comprendre ne l’intéresse pas; seul Jésus l’intéresse. Rien n’y fera, pas même la parole des anges rompant le silence du tombeau.
Insensible à tout, aveuglée par le chagrin et enfermée dans son passé, Marie-Madeleine ne voulait rien voir ni entendre. Elle ne voulait reconnaitre Jésus en rien d’autre qu’en son corps.
Puis elle le voit, là, dehors, là où elle est… Mais elle ne le reconnaît pas! Toujours la même préoccupation: Jésus. « Où l’as-tu mis ?« , lui dira-t-elle, pensant s’adresser à un jardinier. Marie-Madeleine s’obstina dans sa recherche de Jésus, mais pas du bon côté. Elle le cherchait dans son deuil, dans sa détresse, dans sa mort à Lui et dans sa mort à elle. Sa vie entière se trouvait greffée au corps supplicié sur la Croix.
16 Jésus lui dit : Marie ! Elle se retourna, et lui dit en hébreu: Rabbouni! c’est-à-dire, Maître! 17 Jésus lui dit: Ne me touche pas; car je ne suis pas encore monté vers mon Père. Mais va trouver mes frères, et dis-leur que je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu. 18 Marie de Magdala alla annoncer aux disciples qu’elle avait vu le Seigneur, et qu’il lui avait dit ces choses.
L’impensable se produit alors: L’inconnu l’appela par son nom: “Marie”! C’est sur une Parole et d’abord à l’appel de son nom qu’elle fait un brusque retournement sur elle-même. Dans cette aube naissante, ses yeux vont s’ouvrir et contempler Celui que la mort n’avait pas pu retenir. Elle le reconnaît: “Rabbouni”!
En la nommant, Jésus la crée, la recrée, lui redonne vie, Lui qui désormais vit dans un corps qui a vaincu la mort, mais corps impossible à appréhender. Elle voulait toucher un cadavre pour être scellée dans la mort, mais elle ne peut non plus pas toucher ce corps plein de vie qui l’arrache à sa propre mort.
C’est que ici, il y a l’acte même de Création et cet acte est la PAROLE ! La Parole qui appelle à être, qui appelle à la relation et qui est l’humanisation même, nommée à la première page des Ecritures, comme la puissance propre de Dieu de provoquer la vie.
Le Ressuscité se manifeste à l’aube de Pâques par sa Parole et, avant d’avoir été vu et reconnu, il parle! Il ne nous est rien dit de son aspect nouveau, mais n’avait visiblement pas celui d’avant; sinon comment Marie-Madeleine l’aurait-elle pris pour un jardinier ? La marque de la Résurrection n’est rien d’autre qu’une parole, La Parole !
Dans sa joie, Marie-Madeleine se précipite sur le Ressuscité. “Ne me touche pas, car je ne suis pas encore monté vers mon père ».
Le premier témoin de la Résurrection, celle qui va parler à son tour, a connu la tentation, celle que tous auraient eu: Retenir le Christ dans son état d’hier, proche et accessible, qui lui rappelle ce qu’elle a connu et la rassure; le retrouver, mais sans le « Plus » qui est en lui et dont elle n’a pas idée. Or, pour le trouver, il lui faut désormais perde le Christ-objet; le perdre une deuxième fois pour le retrouver, cette fois définitivement !
Il aura donc fallu du temps et des larmes à Marie-Madeleine pour parvenir à la joie qui, après elle, éclairera tant de disciples. Mais c‘est elle qui reçoit la première, l’Evangile à proclamer, l’Evangile de Pâques. Elle pour qui la question de voir ne se posait plus, elle pour qui la question de croire ne se posait plus non plus. Au-delà de la vue, au-delà même de la foi, elle a été remise debout par une parole; elle a été remise en route et faite apôtre du Seigneur Ressuscité. A présent, elle n’a plus qu’à courir vers ses amis et leur dire ce qu’au moins l’un d’entre eux avait déjà compris:« J’ai vu le Seigneur! Et il m’a appelé par mon nom. Il est vivant. IL EST VIVANT ! ».
La Résurrection du Christ est une pâque, c’est-à-dire un passage: Passage de ce monde au Père pour Jésus, mais passage aussi de la tristesse désespérée à la joie lumineuse pour Marie-Madeleine et les autres disciples. Elle a été le commencement de la résurrection de Marie, de Pierre, de l’autre disciple et de tous ceux qui, depuis, partagent la même espérance. Tous ceux que Jésus nomme ses « frères », ceux qui ont le même Père que Lui, reçoivent ainsi la promesse de Sa vie, une vie plus forte que la mort. Cette promesse de la vie du Ressuscité, est pour nous aussi et pour notre monde, dès aujourd’hui, quoi que nous ayons vu ou pas vu, d’ailleurs!
Certes, chaque jour il y a de pesantes dalles funéraires à déplacer, des bandelettes à délier, des larmes à essuyer et cela durera jusqu’à la fin du monde.
Or, la lumière qui a jailli de la Résurrection du Christ en ce matin de Pâques est irréversible. Les ténèbres du monde pourraient la voiler et même l’engloutir, mais rien n’en ternira l’éclat dans le cœur de ceux qu’elle réchauffe et anime. Elle n’est pas un éblouissement trompeur: Elle a permis à Marie-Madeleine de voir sa vie centrée sur la seule mort, transfigurée par celle du Ressuscité présent et vivant pour toujours à ses côtés.
Que la Parole qui a relevé Marie-Madeleine, nous renomme et nous redresse, puis nous envoie à notre tour, remplis de la certitude d’être les frères et les sœurs du Seigneur de gloire, remplis aussi de la mission d’en être témoins, rayonnants dans l’obscurité de ce monde. Que notre vie toute entière soit placée dans la lumière de Pâques, pour ce temps et pour l’éternité. Amen
Zohra MOKRI, le 12 avril 2020