Marthe ou Marie…Bible ou balai ?

Quelle est la phrase la plus entendue de nos jours, qui vient aux lèvres du plus grand nombre, une affirmation qui coupe court à toute discussion ?  La voici :  JE N’AI PAS LE TEMPS .
Et oui, voilà le credo, le fléau, la maladie de notre siècle ! J’ai pensé pendant longtemps que c’était un tic d’adulte… Et bien non, même les plus jeunes commencent à le dire.

Je n’ai pas le tempsEntre ceux qui n’en ont pas  et ceux qui en ont trop, ou ceux qui courent après le temps et ceux qui essayent de « tuer le temps », on ne sait plus très bien ce qu’il faut faire pour mieux vivre ensemble !

Avec l’histoire de Marthe et Marie que nous venons d’entendre, nous sommes  en plein dans le sujet. La première chose que l’on peut noter c’est que la visite de Jésus n’était pas prévue. Jésus n’est pas un invité inscrit dans l’agenda de Marthe, genre : « 19h30 : Jésus vient manger à la maison. »  Pas de SMS ni de coup de fil pour annoncer sa visite. Non, Jésus vient à l‘improviste, et c’est Marthe qui s’y colle car c’est elle qui reçoit, c‘est la maîtresse de maison. A t-elle dans sa cuisine de quoi faire un repas ? A -t-elle rempli son garde manger ? Allez savoir..

Et vous, recevez -vous souvent des visites -surprise ? De nos jours , et dans nos sociétés organisées, surtout en ville, c’est de plus en plus rare. On prévient, on s’annonce, on prend mille précautions quand on passe voir quelqu’un. Un pasteur Kanak m’avait dit un jour :  »c’est bizarre chez vous, vous passez votre temps à dire : « bonjour, je ne vous dérange pas ? »… Mais de quoi vous avez peur ?
Avec nos journées remplies, nos rendez-vous calés dans l’agenda, nos interphones et nos problèmes de stationnement,c’est presque devenu un réflexe que de prévenir.Le contraire serait presque un manque de respect et de savoir vivre !
Revenons à notre histoire : en recevant Jésus à l’improviste chez elle, Marthe réagit à ce qu’elle considère comme un devoir et une priorité absolue. L’hospitalité, dans la culture orientale, c’est sacré. Quelqu’un qui s’invite chez vous devient prioritaire sur tout le reste, même si juste avant vous étiez absorbé à une tâche minutieuse.
Que penser de Marthe ? C’est beau n’est-ce pas, la façon dont elle accueille le Christ Jésus,  lui ouvre ses bras, sa maison et son savoir-faire. Elle est généreuse,  sort ses victuailles, met les petits plats dans les grands. Oui, belle ouverture à l’autre ! Mais après la spontanéité vient vite la responsabilité, et là, Marthe commence à douter d’elle-même et ….se met à calculer. Or, un élan calculé n’est plus un élan. C’est que cela devient compliqué dans sa tête : oui  bien-sûr je suis contente d’accueillir Jésus, mais me voici en cuisine, toute seule, alors que ma sœur est tranquillement installée aux pieds de Jésus comme une disciple devant son maître ! Et qui c’est qui trime pendant ce temps ? Toujours les mêmes. Qui doit se sacrifier ? Toujours les mêmes ! Le scénario se répète :  il y a dans la vie ceux qui se démènent et ceux qui en profitent, les actifs et les passifs… une rengaine vieille comme le monde, non ?

Avec les enfants, on s’est demandé de qui ils se sentaient le plus proche : de Marthe ou de Marie. Ou encore : tu préfères nettoyer ta chambre ou aller au culte ? Et vous, parents et grands -parents, vous choisissez la bible ou le balai ? En attendant, l’histoire de ces 2 Sisters nous invite à réfléchir  à notre  liberté et aux priorités dans notre vie. Evitons tout d’abord la caricature qui opposerait une Marthe  hyper active à une Marie  passive, ou encore : une militante ouvrière à une religieuse en prière. Ce serait méconnaitre la réalité sociale de l’époque  car en ce temps-là, toutes les femmes étaient vouées aux corvées dans les maisons. La différence avec notre récit, c’est que Marie a osé  faire un choix, celui d’aller écouter Jésus au lieu de rester derrière les fourneaux, celui d’enlever son tablier et d’aller s’asseoir au pieds de Jésus. Or, une telle attitude était inimaginable à l’époque, c’était même choquant. Mais Marie le fait quand même. Tant pis si c’est pas convenable.Tant pis si elle n’aurait pas dû. Tant pis si ça la fiche mal vis à vis de sa sœur. Marie n’a pas d’image ni de réputation à défendre.
A l’inverse de sa soeur, Marthe ne choisit pas, elle  subit. Elle rumine et agit à contre coeur. On connait ça, on y va mais le cœur n‘y est pas.
Marthe s’agite et court dans tous les sens, elle ressemble à notre société : nous sommes des Hyper actifs car si nous voulons réussir professionnellement, si nous voulons nous réaliser dans la vie, il faut se bouger, faire preuve d’initiative, se positionner sur les réseaux sociaux... Notre monde semble fait pour les extravertis qui en jettent, pour les entrepreneurs qui bougent.
Dans notre histoire, Marthe s’agite tellement qu’elle en oublie presque la présence même de son invité. Mais en se mettant la pression, elle se prive de sa propre liberté, ce qui la remplit d’amertume, et presque de jalousie à l’égard de sa sœur qui choisit d’être libre -en compagnie du Christ –

Or, Jésus appelle Marthe deux  fois par son prénom : c’est pas anodin dans le langage biblique : Le nom, ça représente la personne. Nommer quelqu’un, c’est le faire exister. C’est comme si Jésus lui disait :  » Marthe, tu existes à mes yeux, Marthe tu es quelqu’un que j’aime pour toi-même, tu n’as pas à chercher à être quelqu’un d’autre ».

 » Marthe, Marthe.. » : le ton est affectueux. Choisir ou subir, à toi de décider, lui semble dire Jésus. Les soucis, on ne les efface pas d’un coup de chiffon mais on peut refuser de se laisser dominer par eux. En fait : quel que soit le poids de l’inquiétude qui parfois plane sur nos vies, il y a une part  qui nous appartient et que personne ne peut nous enlever : c’est cette liberté intérieure que Dieu nous donne, celle de décider ce qui est essentiel pour nous, ce qui est prioritaire. Oui, cette liberté c’est la nôtre, et c’est ce que Jésus appelle la  »bonne part ».
Marie a soif, non pas d’une limonade bien fraiche mais de la parole du Christ Jésus pour elle. Alors, elle va boire ses paroles parce qu’elle a en face d’elle Celui qui est la Source même de la Vie. Marthe, elle aussi, est habitée par une soif intérieure mais elle ne l’écoute pas. cette dernière. D’où sa protestation, sa frustration et sa colère…  et c’est aussi parfois la nôtre ! Marthe n’est jamais loin de nous. La question est alors : Comment arriver à nous re-centrer sur l’écoute de Dieu ? Une histoire qui nous vient de loin illustre bien cette question : 

Un maitre japonais, célèbre pour sa grande sagesse et ses cérémonies de thé, reçoit un jour un journaliste français en visite au Japon, qui désirait le rencontrer. Le maitre fait asseoir le journaliste sur le tatami, lui offre un délicieux petit gâteau et commence à préparer le thé. C’est un rituel précis, minutieux, et qui demande une extrême concentration. Chaque geste compte et doit être effectué au bon moment,de la bonne façon. Soudain le journaliste demande en s’inclinant : « Maitre, pourriez -vous m’expliquer le secret de la sagesse qui vous habite ? » Le maître ne répond rien, occupé seulement à verser le thé. Il verse, verse, verse et le grand bol à thé commence à déborder. Le journaliste est affolé et s’exclame : «Mais enfin, maître, la tasse déborde ! » Le maître répond : «  elle est comme votre tête, elle est trop pleine. Commencez par vider votre esprit, et faire de la place, pour pouvoir comprendre ce qu’est la sagesse »

Faire de la place..Voilà ce dont il s’agit, dans l’histoire de Marthe et de Marie ! Oui, à l’origine de notre mentalité inquiète et fébrile d’aujourd’hui, il y a le constat d’un « trop plein » mental ou physique, à l’image de Marthe qui est (je cite) « tiraillée par de multiples services».  Alors ? Il n’est jamais trop tard ! Commençons par faire le ménage dans notre vie intérieure, et s’il faut un balai pour cela, prenons-leLe Christ nous y invite avec la même affection que celle  exprimée à l’égard de Marthe. Oui, nous sommes invités à faire de la place là où tout est occupé, à créer du vide pour laisser entrer Dieu..Faire de la place, c’est choisir la « bonne part » évoquée par Jésus. Et cette part sera vraiment ‘la meilleure  »  si on y ajoute un petit mot de 4 lettres, un presque rien qui fait toute la différence : la JOIE, la joie d’être au service et à l’écoute du Christ. C’est là  l’ingrédient qui a manqué à Marthe. Or, sans joie, pas d’Evangile !  En effet, que serait notre engagement, que serait notre service , que serait notre venue ici même si la joie du coeur n’était pas au rendez-vous ?
Vous connaissez cette parole  « à chaque jour suffit sa peine » ?  Je lui préfère celle-ci :  » à chaque jour suffit sa joie »  ! 

Amen

Titia Es-Sbanti

Prédication à l’occasion du culte inter-générationnel  du 25 mai 2024